📋 Le contexte 📋
Régulièrement, deux étudiants en philosophie décortiquent un sujet sous forme de débat. Le but est de vous donner des pistes de réflexion pour philosopher autrement. Ils écrivent, vous pensez !
La philosophie est la discipline dédiée à l’amour et à la recherche de vérité. La vérité, c’est le caractère de ce qui est conforme à la réalité, c’est ce qui est vrai. C’est un concept qui fait débat, et il est difficile de ne donner qu’une seule définition de la vérité.
Toutefois, il existe deux grands courants :
- L’empirisme, selon lequel toute vérité ne peut venir que de l’expérience. Ce courant est entre autres représenté par Locke et son principe de tabula rasa (table rase) : l’homme vient au monde sans aucune connaissance et ne se forme que grâce à l’expérience.
- Le rationalisme, selon lequel il existerait des vérités indépendantes de l’expérience, comme des vérités mathématiques, par exemple. Cette définition de la vérité rattachée à la raison est surtout représentée par Kant.
Au-delà de notre conceptualisation de la vérité, de ce que l’on tient pour vrai, il s’agit alors de comprendre s’il est de notre devoir de toujours la dire.
Sources : Schoolmouv, Dicophilo
Le devoir, c’est agir moralement, en s’orientant vers le bien.
En philosophie, cette notion a surtout été explorée par Kant, qui définit le devoir comme un impératif catégorique.
Il s’agit donc d’agir moralement sans contrepartie, comme fin en soi. En cela, le devoir se détache du concept d’impératif hypothétique, qui indique la réalisation d’une action dans un but intéressé, et qui selon Kant n’est donc pas une action morale.
Dans le contexte du débat « Faut-il toujours dire la vérité ? », il est alors question de comprendre ce que nous dit la notion de devoir en relation à l’impact de la vérité sur soi et sur autrui.
Sources : les-philosophes, Schoolmouv
🕵 Le débat des experts 🕵
Beaucoup cherchent à échapper au devoir de vérité par l’exemple du mensonge aux bonnes intentions, proposé par Benjamin Constant. Les menteurs y deviennent des figures du sujet moral bien plus positives que ce que nous disons communément d’eux. Si des individus mal-intentionnés cherchaient votre ami dans le but de lui nuire, et venaient à vous demander où pourraient-ils le trouver, que feriez-vous ? (1)
Si l’exemple de B. Constant est frappant, il ne peut toutefois nous satisfaire. Il fait d’un cas particulier et excessivement rare, une généralité. Cet exemple ne remet pas en doute à lui seul notre devoir de vérité. Cela reste avant tout un pouvoir. Nous pouvons ne pas la dire en certaines circonstances, mais devons tendre vers une sincérité des plus régulière. Nous ne saurions exiger des autres la vérité si nous ne faisons pas nous même cet effort. Dire la vérité à l’un et la refuser à d’autres est la porte ouverte à une absence totale de vérité dans nos échanges. D’autre part, la vérité n’est ni bonne, ni mauvaise en elle-même. C’est ce qu’on en fait et notre manière de la recevoir qui peuvent l’être.
Au-delà de ces considérations quotidiennes, dire la vérité est un devoir vis-à-vis de l’humanité tout entière. Mentir, c’est mépriser l’autre et lui refuser son autonomie dans la mesure où par la tromperie, je lui refuse de se tenir sur un pied d’égalité avec moi-même comme je lui refuse de penser correctement par lui-même. Dire la vérité si nous sommes convaincus de notre propos, c’est s’éviter de se voir confronter à l’humiliation de cette même vérité découverte. Si j’ai menti et que la vérité « saute aux yeux », suite à cela je suis alors vu comme menteur aux yeux d’autrui d’une part mais aussi aux yeux du monde.
Il s’agirait surtout de distinguer la Vérité, idéal inaccessible, de la vérité, plurielle et partielle. Les choses sont, quoiqu’il arrive. Le refus de dire la vérité chez autrui tient donc d’un refus de la réalité elle-même. Le menteur cherche à la fuir ou à la reconfigurer. Se refuser justement à cette vérité tiendrait soit d’une attitude entêtée, d’une complaisance face à l’illusion et à l’erreur et donc d’une malhonnêteté intellectuelle, soit d’une bêtise propre au menteur.
Nous ne pouvons dire la Vérité, assumons donc celle à notre portée. Parce que nous ne savons pas tout du monde et des choses, il s’agirait, quand nous le pouvons, d’apprécier la vérité qu’elle soit difficile ou non. Notre rapport avec autrui pourrait bien être l’un des seuls espaces où la vérité est accessible, où elle n’est pas un idéal lointain et inatteignable.
(1) Benjamin Constant ; Emmanuel Kant, Le droit de mentir, Mille et une nuits / La petite collection, septembre 2003, 94 pages.
Toujours dire la vérité. Cette assertion se réfère à notre devoir envers autrui et envers nous-même. Comme un relent inflexible d’une morale kantienne (1) qui nierait la fluctuation des vies en nous demandant d’agir en cela que notre comportement s’érigerait en exemple pour la nature humaine afin, en dernière instance, d’envisager la constitution d’une société viable. Je voudrais plutôt proposer l’inflexion de cette rigidité morale et la vision figée, froide et géante, qu’elle induit de la Vérité.
Cet impérialisme de la morale s’identifie à une vision de la vérité comme absolu en incarnant le vrai dans le bien et le bien dans le vrai. Cette conception de la vérité ne nous transporte-t-elle pas en un monde rigidifié en lequel les subjectivités se verraient enchaînées à un unique modèle de conduite ? Toujours. Dire. La. Vérité. Mais la réalité des existences et du monde social n’en soulève-t-elle pas la caducité ? A l’abstraction d’un idéal moral s’oppose la concrétude des vies humaines. Observons des cas limites. Le médecin face à la vulnérabilité de son patient : est-il toujours tenu de faire connaitre la vérité ? Ne peut-il pas l’atténuer, la moduler ? A la personne atteinte d’Alzheimer, doit-on, tous les jours, lui rabâcher que le monde auquel elle croit est illusion et ainsi faire s’écrouler sur elle, chaque fois, la brutalité d’une réalité qu’elle ne saisit plus ? La vérité est une idée si grande qu’elle peut écraser, étouffer. Il s’agit de prendre en compte la variabilité du rapport à la vérité et de le comprendre au regard, sensible, des situations.
La question est donc celle de la transmission de la vérité. Ouvrant l’espace du choix, elle questionne notre liberté. Que faire de la vérité ? C’est d’abord un événement subjectif, plutôt lieu d’intimité que fait d’Humanité. Ainsi, le choc de la vérité la reconsidère comme un vécu, et pose un droit à la prise de recul, un droit au secret. Elle ouvre aussi la possibilité d’une autre éthique se jouant sur son non-dit altruiste. Choisir la manière de dire la vérité, ou de ne pas la dire, c’est penser à sa réception, penser à l’autre. Il ne s’agit pas de se demander si toute vérité est bonne à dire, mais plutôt si tout dire fait, toujours, sens.
Puis il y a des vérités qui ne se disent pas. La vérité est une idée qui nous rassure mais sa réalité nous échappe plus que nous l’imaginons. Il s’agit alors de considérer ses déclinaisons qui se taisent dans le silence des corps et des émotions qui, dans leur indicibilité, demeurent éminemment vraies. Plutôt que de dire, écoutons les vérités qui hurlent en deçà des mots (2).
(1) E., KANT, Fondement de la métaphysique des mœurs, Paris, Le livre de Poche, 1993.
(2) Voir La vérité est un cri de HENRY, M., texte adapté au théâtre et La Barbarie, qui introduit à la phénoménologie de la vie qui pose l’affectivité comme fondement de la réalité et propose ainsi une nouvelle éthique.