La prison au coeur du système de classes par Michel Foucault

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

“La France ne peut pas être fière des conditions dans lesquelles un certain nombre de personnes sont détenues sur son territoire du fait d’une surpopulation chronique” – Emmanuel Macron, le 31 octobre 2017 devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg. 

À l’aube de la fin de son mandat, des bilans se dressent sur la gestion du système carcéral en France par le président de la République et les chiffres sont significatifs. Selon les données du ministère de la Justice récoltées à la rentrée 2021, tandis qu’en prison 113% de la place disponible est occupée, 132% l’est en maison d’arrêt. On parle de pression carcérale : les prisons comptent plus de détenus que d’espace. Face à ce dysfonctionnement les débats sont agités : notre système pénitentiaire est-il obsolète ? Doit-on fermer ou ouvrir des prisons ? Les sorties des détenus doivent-elles être encouragées ? Pour des entrées qui se font à quelle fréquence ? Dans son ouvrage Surveiller et Punir, Michel Foucault a étudié la naissance de la prison en tant que peine et a fourni un argumentaire de taille quant à ces questions. L’analyse qui nous intéresse aujourd’hui est la suivante : celle de l’instrumentalisation de la prison au sein d’une société divisée en différentes classes sociales. Qui sont ceux qui expérimentent le système carcéral français et quels phénomènes historiques nous ont menés à cette organisation stagnante, selon Foucault ? 

La prison : conséquence d’une criminalité de masse

D’un lieu d’attente à une punition 

Surveiller et punir s’ouvre sur une double documentation à propos de la peine de Damiens, un homme condamné à mourir écartelé et brûlé vif au XVIIIe siècle – en pleine période de pratique de la peine-spectacle et du supplice public. La justice à l’époque servait à rétablir l’autorité du Roi en montrant à la population quel sort était réservé à ceux qui l’outrageaient. La punition était toujours celle de mourir mais la manière d’arriver à cette finalité différait d’un coupable à l’autre, en fonction du crime commis. Pour avoir osé contredire une décision royale, un accusé pouvait par exemple être amené à se faire sectionner la langue (dans le cas de mauvaises paroles prononcées) ou à se faire trancher les mains (dans le cas d’un article jugé diffamant, écrit par un journaliste). Entre le procès et la peine de mort, un lieu d’attente avait été créé : la prison. 

Encore à des lieues d’être une peine en soi, elle s’intégrait néanmoins dans le processus punitif général. Tout délit n’était pas automatiquement passible de la peine cruciale, notamment grâce à la pratique des illégalismes pour laquelle la prison s’avérait utile. En effet, lors des exécutions publiques, les dirigeants tenaient à maintenir la paix des foules, alors certains actes illégaux de vol et de délinquance étaient plus ou moins acceptés en nombre limité et sur des périodes définies, par individu. En somme, la prison était utile mais n’avait pas la fonction qu’on lui attribue aujourd’hui.

Une évolution de la société axée sur la monétisation alliée à un nombre de délits important 

Après la Révolution Française de 1789, les droits de l’Homme entrent au cœur du débat et un dialogue se crée autour de la construction d’un État de droit. Ceux qui érigent cette société ne sont ni nobles ni illettrés. Ils se sont éduqués grâce à leurs revenus, pour ensuite faire entendre leurs idées. La bourgeoisie entre sur l’échiquier politique. Elle fait valoir ses droits, s’exprime, garantit des libertés fondamentales, et insère la pensée et le dialogue au centre de son fonctionnement. 

Tout bonnement, la criminalité change. Les agressions ne sont plus tant faites aux corps, mais plutôt aux biens des individus. La délinquance et le vol – cautionnés avec la pratique des illégalismes, deviennent les délits les plus fréquents. Sauf que le but du système juridique n’est plus celui de rappeler l’autorité du Roi, mais celui de garantir les droits de ses concitoyens. Le Parlement – élu par le peuple, fait les lois auxquelles ce dernier se soumettra. Pour légiférer, cependant, il faut avoir suivi un enseignement disponible soit avec un titre de noblesse, soit avec du revenu permettant de se l’octroyer. Au lendemain de la Révolution les nobles se font petit ; les bourgeois élisent des bourgeois qui défendent les droits des bourgeois. Et ce groupe social, qu’a-t-il à défendre ? Sa propriété privée. Les vols ne sont plus acceptés et l’ère des illégalismes prend fin, malgré l’enfermement dans la pauvreté d’une large partie de la population. Les plus privilégiés s’enrichissent et se protègent légalement. Les autres sombrent dans une spirale de l’oubli et n’ont pas de revenus assez conséquents pour survivre, multipliant le taux de cette nouvelle criminalité de vol et de délinquance. Face à cette croissance, la solution ne pouvait plus être celle de mettre à mort tant d’accusés. 

Source : Article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527444/

Foucault explique qu’une autre punition, capable d’accueillir tous ces nouveaux criminels à qui on avait précédemment laissé de la marge, devait être envisagée. La prison est devenue la peine par défaut à ce moment. Elle répondait au besoin de praticité et de place exigée par les nouvelles normes sociales et juridiques. Dès le départ, elle a répondu à une criminalité de masse qui a conduit à un grand nombre d’enfermements, comme aujourd’hui. En résumant et simplifiant son propos, on constate que le message de Foucault est le suivant : la prison a été un outil pratique d’enfermement des foules pauvres par les classes les plus riches, afin d’atténuer les agressions faites à ce qui leur appartenait.

Produire, guérir, normaliser : moteurs historiques de notre système punitif

Le corps, esclave de production 

Au fil du temps, Foucault démontre que la prison sert aussi à se défaire de l’illusion que la pénalité est avant tout un moyen de punir les délits. Des effets positifs sont aussi à en tirer, notamment dans le contexte post Révolution Industrielle. Avec l’économie marchande, le système pénal a tendu à produire de la main d’œuvre menant à la création de maisons de correction, de travail obligatoire et de manufactures pénales. Tant de lieux replaçant le corps des condamnés dans une position de docilité. Le corps se plonge, dans ce contexte, dans un champ politique où les rapports de pouvoir ont prise sur lui, en entendant qu’il est force de travail. Ce point amène à conclure que même le système pénal, pourtant rattaché au pouvoir public, reproduit un modèle capitaliste bilatéral tendant vers la productivité : celui du patron et de son employé. Tout condamné soumis à du travail obligatoire s’intègre de manière analogue dans une classe prolétaire d’une société capitalisée.

La prison prétend à une normalisation des comportements. Foucault théorise une mise en scène de la punition faisant oeuvre d’éducation. Une éducation à produire, une éducation à respecter le bien et la vie d’autrui.

Une révolution économique certes, une révolution de la peine certainement pas

Cependant, cette création de la manière pénale à lire comme une stratégie de réaménagement du pouvoir de punir, ne peut pas être uniquement définie comme régulière, constante et mieux détaillée dans ses effets. Sous certains angles, elle ne punit pas mieux que l’Ancien Régime et ses supplices. En droit pénal, le principe même d’exemple est cité. On punit un détenu pour inciter ses concitoyens à ne pas reproduire ses méfaits. On rend publiques les lois pour que tous prennent connaissance des comportements à ne pas appliquer. Cette publicité et cette démonstration d’exemple étaient au centre du principe même des mises à mort publiques. La prison n’est qu’une manière plus douce de cesser une vie. On ne le fait plus par une peine de mort, mais par une marginalisation des individus voués à attendre une libération dans un même lieu.

L’outil de création d’une classe délinquante, entre entrées et sorties régulières de prison

Un décalage entre volonté et réalité 

Foucault reconnaît, dans la prison, un motif d’institutions complètes et austères. Pour lui la prison est complètement à l’opposé d’une pénalité transparente et visible. Au contraire, elle enferme des individus entre quatre murs, en-dehors de la vie quotidienne. La prison redonne une dimension corporelle à la peine puisque celui-ci  sépare un corps individuel d’un corps social, pour ensuite délimiter son espace de mouvements et son champ de possibilités. Un motif de rééducation et de réinsertion ne peut se produire en prison selon lui, surtout dans ces conditions. En prison, les coupables côtoient quotidiennement violence, menaces, insultes ou embrigadement des idées – peu importe les fautes qui les ont menés dans cet endroit. La prison ne guérit pas, elle met en quarantaine. Des exemples de notre époque auraient pu être cités pour cette théorie, bien que Foucault ne les ait pas affrontés directement. Récemment le thème de la radicalisation terroriste dans le milieu carcéral a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre. Des individus à des lieues de s’investir dans la religion sortaient de prison prêts à vouer leur vie à des croyances qu’ils avaient ignoré jusqu’à l’exécution de leur peine. On pourrait lire dans ce fait d’actualité l’absence d’accompagnement moral et éducatif pourtant prôné dans les valeurs des codes pénaux européens. 

Source : La radicalisation en prison, un phénomène reconnu dont parle l’OIP dans la 108e édition de sa revue Dedans Dehors https://oip.org/publication/prise-en-charge-de-la-radicalisation-en-prison-la-grande-illusion/

Création d’un groupe social déliquant entre récidives et marginalité économique et sociale 

On remarquera que ces détenus nouvellement prêts à vouer leur vie à la religion en sortant de prison étaient, pour la plupart, enfermés pour des crimes mineurs – en comparaison avec des meurtriers. La peine est pourtant la même pour tout le monde. La différence se retrouve dans la durée passée en prison et la somme d’argent payée – ayant parfois le pouvoir de réduire certaines durées. C’est pourquoi dans ce lieu où les détenus attendent une libération, on remarque la création d’un motif récurent selon Foucault qui créerait en fait une classe délinquante des marginaux peinant à s’intégrer au système économique dans lequel nous évoluons.

À l’époque du fordisme, la prison était utile au système économique en positionnant les prisonniers comme main d’oeuvre, donc comme outil de production d’entreprise. 

Aujourd’hui on cherche à maintenir une part de la population marginale, sous un contrôle permanent des institutions pénales. Selon Michel Foucault, cette part de la population représente la classe délinquante qui peine à s’intégrer dans le système économique et politico-libéral de notre société. Les trafiquants de stupéfiants, ou les commetteurs de violation de la propriété privée, sont stigmatisés comme criminels notamment avec les créations de casiers judiciaires, qui les marginalise encore plus. Dans une société où posséder du bien et de l’argent est très souvent un but, la marge de tolérance pour des vols diminue. En plus d’être envoyés en prison à la moindre incartade, les délinquants y font des allers-retours, dans une vie rythmée par délit et peine. Le propos de Surveiller et Punir tend vers la conclusion forte que tenue dans un gouffre de récidive de délits, la classe délinquante contrôlée par les institutions en capacité de punir, subit de manière croissante la difficulté de trouver du travail – élément essentiel d’insertion économique et sociale au sein de nos sociétés.

Source : Surveiller et Punir, Michel Foucault

https://www.mediapart.fr/journal/france/061121/dans-l-air-libre-la-societe-en-debats

 

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