Le débat des experts
Nous sommes le 3 septembre 2018. Moussa Dembélé et Mbaye Niang sont arrivés en L1 dans les derniers jours du mercato. Rencardé sur leur arrivée imminente, j’avais vendu en loucedé quelques joueurs d’appoint pour me constituer un pécule à investir sur l’un, l’autre ou les deux buteurs. Mon mercato – jusqu’alors parfaitement moisi – allait prendre une autre tournure et j’allais pouvoir lire un minimum de crainte dans les commentaires qu’allaient en faire mes potes.
Le deal d’Ingram
Mon téléphone sonne. C’est Ingram, mon pote turc (dont le prénom est modifié pour les besoins de cette tribune). Il m’appelle pour me proposer un deal et éviter – dit-il – un carnage. On est tous les deux en galère de buteur, on a tous les deux la même somme, on a tous les deux intérêt à s’entendre et mettre all in sur des joueurs différents.
Une confiance aveugle
Qui prend Dembélé ? Qui prend Niang ? Il me dit que Niang vaut largement autant que Dembélé. Qu’il a joué au Milan AC, alors que Dembélé n’a éclaté qu’au Celtic Glasgow.
Puis-je lui faire confiance ? À vrai dire, je ne me pose même pas cette question. Il a gagné nos deux dernières ligues avec des joueurs venus de nulle part. On était sur les bancs de la fac ensemble. On est parti en vacances ensemble. C’est même avec lui – plutôt qu’avec ma femme – que je suis allé à Venise. Je lui ai donné une tribune libre à mon mariage. Et, depuis, nos enfants jouent ensemble régulièrement.
Ces gens-là ne mentent pas. Alors OK, on y va.
Le foot tue des amitiés
À lui Dembélé, à moi Niang… À lui la gloire… À moi l’amertume. Dembélé plante 9 buts dans la 1ère partie de saison, contre 2 à Niang. Niang que je revends bien sûr à la fin des matchs aller, avant qu’il ne plante 10 buts en 2nde partie de saison.
Je savais déjà que l’amitié n’existait plus sitôt que l’on rentrait sur un terrain de foot. Ce que je retiens de cette histoire, c’est que l’amitié n’existe plus sitôt qu’il s’agit de foot. Réussir dans le foot est trop dur, trop exigeant pour que l’on puisse y arriver sans tacler des deux pieds un sens élémentaire de l’éthique.
Depuis ce jour, j’ai cessé d’essayer de gagner avec la manière. Ce qui m’importe maintenant, c’est de plomber le moral de mes adversaires. Et de foutre la haine à mes amis grâce à MPG.
Laissez-moi vous conter l’histoire d’une trahison. Elle devrait vous convaincre de ne jamais céder à cette tentation.
Personne n’a osé miser sur Mbappé
Tout a commencé par un mercato ultra-stressant : à la fin du premier tour, mon attaque est constituée en tout et pour tout d’Enzo Crivelli (Caen), et de Ludovic Ajorque (Strasbourg)… Mon milieu ne pèse pas beaucoup plus lourd. Quand 90% de tes joueurs viennent de villes qui fleurent bon la ligue 2, c’est qu’il est temps de s’inquiéter.
J’ai des sueurs froides qui me coulent le long du dos quand je pense à ces 18 lundis matin d’horreur. 18 lundis matin durant lesquels je devrai supporter les regards pleins de suffisance et d’ironie de mes intraitables adversaires (et néanmoins amis) après la sortie des résultats du week-end. Mais il me reste un espoir : suite à une semaine d’intox et de bluff, personne n’a osé miser sur Mbappé. Il est donc toujours disponible.
J’ai trahi mon meilleur ami
Problème : Damien, un de mes meilleurs amis, dispose tout comme moi d’un budget pharaonique pour aborder ce second tour d’enchère. Je panique, j’angoisse, je sue. Mbappé ne doit pas m’échapper !
Je commets donc l’irréparable : je trahis. Contre quelques bières et la promesse de ne pas utiliser mes bonus contre certains joueurs, je finis par savoir quel montant Damien a prévu de miser sur Mbappé : 110 millions. J’en mettrai 111 et finirai mon mercato avec une équipe solide. La trahison est évidente, mais étrangement, Damien ne semble pas m’en tenir rigueur. Je culpabilise quelques heures et je passe à autre chose en me convainquant que la trahison fait partie de MPG.
Ça, c’est pour Mbappé…
Plusieurs semaines passent et nous voilà à la dernière journée du championnat. Un championnat improbable qui m’a propulsé à seulement 1 point du leader. Pour l’emporter, le leader doit obligatoirement chuter face à son adversaire du jour : Damien. Mon destin de champion est donc en partie entre ses mains.
Ce vendredi soir, nous finissons ensemble la compo de notre équipe. La dernière de la saison. Il est 20h et Damien me tend son téléphone avec un sourire pervers. Et je comprends vite pourquoi : il a laissé sa défense aux bons soins de Glik et de 2 Rotaldos, et a préparé une attaque composée de Valère Germain et de Nolan Roux… Je m’écroule, terrassé. Il lâche une seule phrase : “ça, c’est pour Mbappé…” et perd 7 à 1 en prenant 5 buts MPG.
La place tant convoitée de champion s’envole.
Moralité : bien mal acquis ne profite jamais.