L'urgence écologique exige-t-elle une politique autoritaire ?
L'urgence écologique exige-t-elle une politique autoritaire ?

L’urgence écologique exige-t-elle une politique autoritaire ?

📋  Le contexte  📋

L’impact du changement climatique se traduit aujourd’hui dans de nombreux domaines : destruction des écosystèmes, des habitats, pénuries alimentaires et migrations forcées. Et cela risque de s’empirer.

D’après les experts du GIEC, il est nécessaire de limiter le réchauffement climatique à 2°C si l’on veut pouvoir s’adapter à ce phénomène et éviter des conséquences encore plus dramatiques. Au-dessus de ce seuil, les coûts économiques et humains pourraient s’avérer catastrophiques : disparition de certaines espèces, îles submergées par les océans… Or, la trajectoire actuelle nous amène vers un réchauffement de la planète de 4°C. 

Source : BL évolution

En signant l’Accord de Paris, les pays se sont engagés à limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C, et si possible 1,5°C. Pour cela, ils se sont engagés, conformément aux recommandations du GIEC, à atteindre la neutralité carbone au cours de la deuxième moitié du 21ème siècle au niveau mondial. Les pays développés sont appelés à atteindre la neutralité le plus rapidement possible. La France s’était engagée, avec la première Stratégie Nationale Bas-Carbone adoptée en 2015, de diviser par 4 ses émissions GES à l’horizon 2050 par rapport à 1990. Concrètement, cela suppose de réduire les émissions de la France à 80  millions de tonnes de CO2 en 2050 contre 445 en 2018.

Source : Ministère de la transition écologique  

En suivant cette trajectoire, l’empreinte carbone de chaque français passerait de 10,5 tonnes d’équivalent CO2 en 2017 à 3,7 tonnes de CO2 en 2030. Cet objectif va demander des efforts importants et une transformation profonde des modes de vie, de consommation et de production dans tous les secteurs. Dans un rapport publié fin 2018, le cabinet B&L évolution a mis en lumière l’ampleur des mesures à mettre en place pour s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5°C en France, en s’appuyant sur le scénario proposé par le GIEC. La plupart des mesures apparaissent drastiques comme l’interdiction d’acheter une voiture neuve, de prendre un long-courrier ou encore la mise en place d’un couvre-feu thermique pour abaisser la température dans les logements. La France sera-t-elle capable de mettre en place ce type de mesures ? Si oui, quel régime faut-il adopter pour y parvenir : autoritaire ou démocratique ?  On en débat ! 

Source : Novethic

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
L'urgence écologique exige-t-elle une politique autoritaire ?
Le « Pour »
François-Marie Bréon
Chercheur climatologue au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
Les mesures « liberticide » pour protéger le climat ne sont qu’une extension de l’existant

Le changement climatique est en cours. Cela aura quelques conséquences graves pour les personnes qui sont vivantes aujourd’hui et en capacité de prendre des décisions, mais surtout pour les générations futures qui ne peuvent pas voter, qui ne peuvent pas nous pousser à faire les choix nécessaires pour les protéger. Il y a donc un devoir moral plus que égoïste à limiter le changement climatique. Limiter le changement climatique passe par une diminution des émissions de dioxyde de Carbone et autres gaz à effet de serre. 

Une partie de cette limitation peut être obtenue par la technologie (isolation, moteurs plus efficaces) et par un transfert massif des usages de l’énergie fossile vers une électricité peu carbonée. Cependant, les études sur cette question montrent que ce ne sera pas suffisant et qu’une part de sobriété est absolument nécessaire. Cette sobriété implique une diminution de notre consommation au sens large, et donc des restrictions d’usage. Ces restrictions peuvent elle être uniquement volontaires ?

L’expérience montre que la grande majorité ne peut accepter une limitation de son mode de vie que si cette limitation est partagée

L’expérience montre que la grande majorité ne peut accepter une limitation de son mode de vie que si cette limitation est partagée ; on ne peut pas compter sur une décroissance volontaire puisque ceux qui n’y adhéreront pas créeront une jalousie qui, à terme, encouragera les autres à ne pas faire d’effort.

Ce pour quoi je milite n’est qu’une extension de ces règles, avec pour objectif de protéger le climat, qui est aussi un bien commun.

C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent mettre en place des règles qui, au final, conduisent à une diminution de la consommation. On peut voir cela comme liberticide. Pourtant, de telles règles existent déjà aujourd’hui et sont largement acceptées. On peut citer la limitation de vitesse sur les routes, l’interdiction de faire du bruit après 22 heures, les normes sur les émissions des moteurs, l’interdiction de jeter ses déchets dans la nature… Ce sont là des règles qui visent à protéger le cadre de vie du plus grand nombre. Ce pour quoi je milite n’est qu’une extension de ces règles, avec pour objectif de protéger le climat, qui est aussi un bien commun.

En quoi une limitation de la vitesse à 110 km/h sur autoroute serait plus liberticide que l’actuelle limite à 130 ? En quoi une augmentation de la taxation des carburants serait plus liberticide que ce qui existe déjà ? En quoi l’interdiction de rejeter du CO2 dans l’atmosphère serait plus liberticide que la même interdiction pour des pesticides dangereux ?

La vie en société nécessite des règles pour la préservation du bien commun. Ces règles doivent être étendues à la question climatique.

Le « Contre »
Emeline Baudet
Chercheure, docteure en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle, Signataire de la note « Gouverner la transition écologique : démocratie ou autoritarisme » du Think et Do-Tank La Fabrique Ecologique.
L’autoritarisme, un leurre nuisible pour la planète et les sociétés

Rappelons les enjeux : si les Etats poursuivent leurs trajectoires actuelles de production de GES, la planète connaîtra un réchauffement de 5°C d’ici 2100. Afin d’éviter ce qui se présente comme un drame absolu (montée des océans, pertes drastiques en biodiversité, basculement de régions dans un ratio climat/humidité invivable), il faut atteindre zéro émission nette de CO2 en 2050. En France, l’objectif affiché du gouvernement est de diviser nos émissions par deux d’ici à 2030. Mais, votée en juillet 2021, la loi Climat est bien trop timide, comme le soulignent scientifiques et activistes climatiques.

Il faut des mesures radicales : pour décarboner nos moyens de transport, diminuer au maximum le transport aérien (supprimer des lignes intérieures quand une alternative est possible en train) et, surtout, l’usage de la voiture individuelle à essence ; décarboner l’agriculture, en réduisant l’usage de produits polluants et en limitant l’élevage, responsable de fortes émissions de méthane ; rénover nos logements pour qu’ils retiennent mieux la chaleur en hiver, etc. Abandonner sa voiture, devenir végétarien.ne, couper le chauffage : l’autoritarisme est alors séduisant.

Rien de mieux qu’une pression venue d’en haut pour pousser les Français.e.s à avoir enfin un comportement écologiquement vertueux, puis qu’iels en seraient incapables s’il fallait leur laisser le choix.

Mais quels effets sont produits par la force ? Tout le monde se souvient de l’échec de la taxe carbone en 2018 ; considéré comme socialement injuste, ce projet de loi a été vite abandonné, face aux pressions des Gilets jaunes. Lorsque le pouvoir tente de faire passer en force l’écologie contre le social, les deux sont perdants. Méprisant, infantilisant, un autoritarisme dirigé contre la population serait surtout inefficace. 

L’exemple de la Convention citoyenne ne démontre-t-il pas que, bien informé.e.s, les citoyen.ne.s savent prendre les bonnes décisions pour le climat ?

Car celle-ci n’est pas un troupeau de moutons qu’il faudrait forcer à aller dans le sens de l’Histoire, écologiquement parlant. L’exemple de la Convention citoyenne ne démontre-t-il pas que, bien informé.e.s, les citoyen.ne.s savent prendre les bonnes décisions pour le climat ? Les Français.e.s ont déjà adopté des comportements vertueux. On ne compte plus les initiatives qui fleurissent ici et là, rurales et urbaines, pour s’entraider dans ce grand projet de transition écologique et solidaire. Agriculture bio ou raisonnée, économie de partage, valorisation de l’ancien, de la récup’… Dans les autres cas, ce n’est pas la volonté qui manque : c’est plutôt l’argent, le nerf de la guerre, comme toujours.

Quitte à faire preuve d’autoritarisme, autant que ce soit pour les véritables coupables : que penser des milliards d’euros qui échappent au pays, lorsque les grandes entreprises ne paient pas leurs impôts en France ?

Car le véritable problème est ailleurs. Quitte à faire preuve d’autoritarisme, autant que ce soit pour les véritables coupables : que penser des milliards d’euros qui échappent au pays, lorsque les grandes entreprises ne paient pas leurs impôts en France ? Quelles mesures contre les banques et les assureurs, qui continuent d’investir dans des projets soutenant les énergies fossiles ? C’est là que le gouvernement devrait assumer son autorité, au lieu de se contenter de timides invitations à ne plus financer de pétrole, de gaz ou d’hydrocarbures non-conventionnels.

La transition écologique sera démocratique ou ne sera point.

Dernier argument. Quels sont les grands absents de la COP26 ? La Chine, le Brésil, la Turquie… qui ne respectent ni les droits humains, ni les écosystèmes. Espérer que la transformation de notre pays en « dictature verte » permettrait de soulager la planète, c’est oublier que parmi les dictatures actuelles ou passées, aucune n’est verte. Il ne faut pas se laisser happer par cette dangereuse illusion. La transition écologique sera démocratique ou ne sera point.

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