Le fonds de compensation de la COP27 : solution miracle pour les pays du Sud ?

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Durant la COP27 en novembre 2022, Les pays les plus pauvres ont exprimé avoir besoin de soutien pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique provoqué en grande partie par les nations industrialisées. Pour répondre à ce besoin, un nouveau fonds spécial de pertes et préjudices a été adopté pour dédommager les pays les plus vulnérables et victimes d’incidents climatiques. Décryptage.

Réchauffement climatique : des effets inégalement répartis sur la planète

L’année 2022 a été marquée par de nombreux incidents météorologiques qui démontrent l’urgence à agir pour limiter le réchauffement climatique : records de température en France, sécheresses en Chine, canicule puis inondations au Pakistan, tempête de neige aux États-Unis…

Le réchauffement climatique est en grande partie causé par les pays industrialisés (aussi appelés pays du Nord), notamment en raison de leur production et consommation d’énergie. La combustion d’énergie fossile est grandement responsable de la pollution de l’air et du réchauffement de l’atmosphère. Les décisions politiques prises dans les pays industrialisés se font souvent au détriment d’autres pays, avec une partie de la population mondiale laissée pour compte. À l’inverse, les pays non industrialisés ou en voie d’industrialisation ne consomment pas autant d’énergie et n’ont pas un impact aussi conséquent sur le climat que les pays du Nord. Pourtant, ils sont les premières victimes du réchauffement climatique et des incidents météorologiques. L’ONG Oxfam estime par exemple qu’en 2022, la Somalie a été confrontée à des sécheresses qui a contraint près d’un million de personnes à fuir leur lieu de vie. Ce pays est en proie à la famine et connaît une importante crise humanitaire. L’ONG pointe également qu’au Guatemala, la sécheresse a causé la perte de près de 80% des récoltes de maïs. Le réchauffement climatique a donc des conséquences directes sur la faim dans le monde, phénomène qui ne cesse d’empirer depuis quelques années.

Pour faire face à cette grave crise, les pays du Sud ont obtenu la création d’un nouveau mécanisme de compensation lors de la COP27, qui prévoit un dédommagement pour les pays les plus touchés par la crise climatique. Il s’agit d’un nouveau fonds spécial de pertes et préjudices. Mais quelle sera l’utilité réelle de ce fonds face à cette situation dramatique ?

Un nouveau fonds spécial de pertes et préjudices : quel impact ?

Ce nouveau fonds spécial de pertes et préjudices a pour objectif d’aider les pays les plus touchés par le réchauffement climatique, de venir en aide aux populations les plus impactées, et d’investir dans une transition vers une économie verte. Si cet accord est historique et répond aux réclamations des pays du Sud qui plébiscitaient la création d’un tel fonds depuis des années, ses contours restent encore flous. Le montant exact de ce fonds reste à déterminer. Ensuite, nous ne savons pas encore exactement quels seront les pays qui devront participer à son financement, et qui en seront les bénéficiaires. Un comité est en charge de répondre à ces questions d’ici la COP28 de 2023, qui aura lieu à Dubaï. L’Union Européenne a accepté la création de ce mécanisme de financement des pertes et dommages pour les pays les plus vulnérables en échange de leur engagement à progressivement cesser d’utiliser des énergies fossiles.

Ensuite, malgré la création de ce fonds, peut-on dire que la COP27 a été un succès ? Si l’ONU a rappelé que maintenir la hausse des températures en dessous des 1,5°C était essentiel pour limiter des pertes et dommages supplémentaires à l’échelle mondiale, aucun accord n’a été conclu sur les énergies fossiles, alors même qu’elles sont au cœur des enjeux de lutte contre le réchauffement climatique. On peut raisonnablement craindre que les pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre (GAS) ne changent pas leurs habitudes de consommation. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que les pays du Nord s’engagent à verser des fonds aux pays du Sud. En 2009, un accord avait été signé pour que 100 milliards par an soient versés à partir de 2020. L’OCDE estime qu’à ce jour, il manque encore 16,7 milliards pour que ce versement soit complet.

Ainsi, même si ce fonds de compensation représente une réelle avancée pour les pays du Sud, le cœur du problème, à savoir les émissions du Nord et des pays comme la Chine, n’est pas du tout résolu. Ce mécanisme de financement porte donc bien son nom : il s’agit d’une compensation. Au lieu de réellement adopter des mesures qui les forceraient à diminuer leurs émissions de GAS, certains voient en ce « dédommagement » des pays les plus touchés par la crise climatique un moyen pour les pays du Nord de s’acheter une bonne conscience.

Source : Statista, La Terre se réchauffe, de Tristan Gaudiaut, 18 déc. 2020

Par ailleurs, l’Union Européenne a adopté fin décembre 2022 un mécanisme de taxe carbone aux frontières. En effet, l’UE s’est engagée à réduire ses émissions de GAS de 55% d’ici à 2030, et à parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050 (conformément à l’accord de Paris). Cette taxe carbone a ainsi vocation à inciter ses partenaires commerciaux à en faire de même. Ce nouvel accord renforce le principe du pollueur-payeur. Les marchandises issues de pays où les exigences environnementales sont moindres seront plus sévèrement taxées. Cela devrait avant tout concerner des produits dont l’extraction est polluante : ciment, le fer, l’acier, l’aluminium, l’engrais, l’électricité, l’hydrogène. Pour l’UE, il s’agit notamment de prendre en compte le phénomène non négligeable de la « pollution importée » : des entreprises européennes tentées de délocaliser leur production pour échapper aux normes environnementales seraient alors contraintes de payer cette taxe pour accéder au marché européen.

On voit donc que si des décisions peuvent être adoptées à l’échelle régionale, il est encore difficile de s’accorder au niveau mondial. Des pays dépendants des exportations d’énergies fossiles ou des pays comme la Chine restent réticents face à l’adoption de mesures en faveur de la protection du climat. Quant à l’Union Européenne, les effets que pourra avoir sa taxe carbone sont encore débattus, même si la volonté politique est bien là.

Piège de la dette : une situation insolvable pour les pays du Sud ?

La situation économique des pays les plus vulnérables rend la lutte contre le réchauffement climatique encore plus complexe. En effet, lutter contre le réchauffement et protéger les populations les plus vulnérables implique un besoin conséquent en investissements. Il peut par exemple s’agir d’assurer une réduction des émissions de GAS, de construire des infrastructures pour faire face aux pertes et dommages causés par le changement climatique, ou encore de restaurer les terres et la nature. Or, ces pays ne disposent pas, dans la plupart des cas, des fonds nécessaires pour mener de tels travaux, car ils sont déjà lourdement endettés. Cela signifie que pour eux, emprunter coûte très cher. Les institutions internationales en mesure de leur prêter des fonds demandent des garanties proportionnelles aux risques que présentent ces pays. Étant déjà fortement endettés, ces institutions estiment que le risque qu’ils ne soient pas capables de rembourser un prêt est élevé. Elles n’accepteront donc de prêter qu’à un taux d’intérêt très élevé, ce qui signifie que pour ces pays, réaliser un emprunt est très cher ou quasiment impossible. Ils se retrouvent alors dans un piège à pauvreté, voire un piège de la dette. Ce piège rend la lutte contre le réchauffement climatique encore plus difficile.

De plus, une plus lourde dette pousse les États du Sud à maintenir un modèle productiviste nocif à l’environnement, notamment pour assurer les exportations (produits agroalimentaires, minerais…) et ainsi rééquilibrer la balance commerciale et rembourser leurs créanciers. Face à cet engrenage, certaines ONG militent pour une annulation totale des dettes des pays du Sud.

Par ailleurs, les compensations financières proposées par les pays du Nord, comme c’est le cas avec le fonds spécial de pertes et préjudices de la COP27, sont souvent soumises à condition. Aujourd’hui, l’UE demande aux pays du Sud de s’engager à progressivement cesser d’utiliser des énergies fossiles pour obtenir des fonds. Cette conditionnalité pose l’épineuse question de la dépendance des pays du Sud aux pays du Nord. Certains y voient les vestiges du colonialisme.

Pour conclure, au-delà d’un fonds de compensation qui représente certes un progrès, il faut donner une réelle opportunité aux pays du Sud de se protéger du réchauffement climatique. D’une part, en développant des économies plus vertes que celles dans le Nord. D’autre part, en ne les laissant pas plus longtemps dans un piège de la dette créé par les institutions de prêts internationales. Enfin, l’urgence est de faire en sorte que les pays du Nord, largement responsables de la pollution atmosphérique, trouvent réellement des solutions et des accords contraignants pour mettre fin à leurs émissions de gaz à effets de serre.

Sources :

The Washington Post – Sarah Kaplan : « COP27 leaves world on dangerous warming path despite historic climate fund ». November 20, 2022

Oxfam – Les pays les plus vulnérables au changement climatique gravement touchés par la faim – 16/09/2022

Courrier International – À la COP27, un accord historique pour un fonds d’aide aux pays vulnérables – 20/11/2022

Vie-publique.fr – COP 27 : vers la création d’un fonds pour les États victimes du réchauffement climatique – 23/11/2022

UNFCCC – Funding arrangements for responding to loss and damage associated with the adverse effects of climate change, including a focus on addressing loss and damage

OCDE – Tendances agrégées du financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés en 2013-2020

Vie-publique.fr – Plan climat européen : un accord sur la réforme du marché du carbone dans l’UE – 19/12/2022

Green Peace – COP27 : et si les pollueurs payaient enfin ? – 23/11/2022

 

 

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