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La BCE peut-elle nous sauver de l’inflation?

📋  Le contexte  📋

L’inflation, autrement dit l’augmentation généralisée et durable des prix des biens et services, atteint aujourd’hui son niveau le plus élevé depuis ces quarante dernières années : d’après Eurostat, le taux d’inflation annuel de la zone euro en août 2022 était estimé à 9,1%. Les prix de l’énergie en sont la principale cause, puisqu’ils connaissaient une inflation de 38,3% en août. Cette hausse des prix de l’énergie a plusieurs causes : d’une part, la reprise de l’activité économique post-pandémie qui provoque une hausse de la demande. D’autre part, la chute d’approvisionnement en gaz et pétrole russes suite à la guerre en Ukraine et aux sanctions européennes. Les travaux de maintenance sur certaines centrales nucléaires françaises sont également à prendre en compte. En conséquence, les citoyens européens perdent en pouvoir d’achat, même si la France est moins touchée que certains de ses voisins, notamment grâce à son « bouclier tarifaire ». Au niveau européen, c’est la BCE (banque centrale européenne) qui va intervenir afin de ralentir cette inflation.

La Banque Centrale Européenne (BCE) est responsable de la politique monétaire dans l’Union Européenne. C’est un organe indépendant des autres institutions de l’Union et des Etats Européens. Elle est aujourd’hui dirigée par la française Christine Lagarde, ancienne directrice du FMI. Il ne faut pas confondre politiques monétaires et budgétaires : la BCE contrôle la politique monétaire, tandis que les Etats gardent leur souveraineté sur leur politique budgétaire (gestion des dépenses publiques et fiscalité). Ainsi, la mission principale de la BCE est d’assurer la stabilité des prix dans la zone euro pour préserver le pouvoir d’achat des européens. Elle a pour objectif de maintenir un taux d’inflation de 2% à moyen terme. Pour cela, l’instrument principal dont elle dispose est le taux des opérations de refinancement, qui correspond au taux auquel les banques se font prêter de l’argent par la BCE. Concrètement, si les taux directeurs de la BCE augmentent, les taux d’intérêt des banques commerciales grimpent aussi, ce qui décourage l’emprunt des particuliers et des entreprises, ralentissant de fait l’économie et la hausse des prix.

En juillet 2022, la BCE a annoncé qu’elle allait remonter ses taux directeurs de 75 points de base, soit de 0,75%. Elle suit ainsi l’exemple de la Fed, la banque centrale des Etats-Unis, qui annonçait une remontée de ses taux directeurs dès mai 2022. C’est une décision historique pour la BCE, puisque la dernière remontée de ses taux remonte à 2011. En effet, suite à la crise de la dette dans la zone euro, la BCE avait progressivement mis en place une politique monétaire expansionniste, notamment via la baisse de ses taux d’intérêt afin de faciliter l’accès au crédit et de relancer l’économie. Durant la crise de la Covid-19, cette politique expansionniste a continué avec l’achat d’obligations aux banques pour qu’elles puissent continuer à prêter aux ménages et aux entreprises, soutenant les dépenses et l’investissement, et donc la croissance économique. Cette nouvelle remontée des taux d’intérêts tranche donc avec les politiques menées cette dernière décennie.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Faut-il que la BCE remonte ses taux directeurs?
Le « Pour »
Anne-Sophie Alsif
Cheffe économiste de BDO France
La BCE a dû relever ses taux pour conserver sa crédibilité

La crise sanitaire, la reprise économique, les problèmes d’approvisionnement des chaînes de valeur, les pénuries et la guerre en Ukraine ont créé des tensions inflationnistes remettant en cause la politique monétaire ultra accommodante adoptée par la Banque centrale européenne (BCE) depuis la crise financière de 2008. En effet, depuis cette date, les liquidités affluaient sans créer d’inflation incitant les banques centrales à rester durablement dans une situation de taux bas afin de soutenir le financement de l’économie. 

Les niveaux d’inflation inédits constituent un enjeu fondamental pour la BCE

Il aura fallu attendre la reprise économique post-covid pour retrouver de l’inflation dans un premier temps maîtrisée puisqu’en France, le taux d’inflation s’éleva à 1,6% en 2021. La hausse du taux d’inflation au-delà des 2% a été engendré par la guerre en Ukraine et la flambée des prix de l’énergie en raison de l’absence de diversification du mixte énergétique et de politique énergétique européenne. Le taux d’inflation atteint 9,1% au sein de la zone euro dont 8,8% en Allemagne ou encore 6,5% en France au mois d’août 2022. Ces niveaux d’inflation inédits depuis les années 1980 constituent un enjeu fondamental pour la Banque centrale européenne dans la mesure où ils dépassent la cible fixée des 2%. 

La problématique réside davantage dans le niveau de la hausse et dans sa temporalité

Dès lors, afin de juguler ce niveau d’inflation, il apparaît nécessaire de remonter les taux directeurs. Cette hausse augmentera les coûts du crédit permettant une diminution de la masse monétaire en circulation. Néanmoins, au-delà de la question de la hausse des taux indispensable, la problématique réside davantage dans le niveau de la hausse et dans sa temporalité. La BCE a augmenté ses taux de 50 points de base au mois de juillet et devrait faire de même au mois de septembre 2022. D’autres hausses de taux auront surement lieu en 2023. La difficulté porte sur la nature de l’inflation en Europe. Contrairement aux Etats-Unis, c’est une inflation importée concernant la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires sur les marchés internationaux. Dès lors, une hausse des taux est beaucoup moins efficace pour baisser le niveau d’inflation lorsque celle-ci est importée. Le risque est de rester dans un contexte de forte inflation énergétique jusqu’à la fin de l’année 2023 conjugué à un important ralentissement de la croissance économique en raison de la hausse des coûts de financement des agents économiques ; une situation de stagflation. 

Un équilibre complexe doit être trouvé pour ne pas casser la demande

Les années 2021 et 2022 devaient être des périodes de fortes reprises économiques en raison du stimulus budgétaire ; le fameux « quoi qu’il en coûte » et devaient assurer à la France un taux de croissance élevé à 6,8% en 2021 et à plus de 4% en 2022. Or, selon nos prévisions ; le taux de croissance devrait s’élever à 2,4% en 2022 et à 1,1% en 2023 soit un fort ralentissement. Ainsi, pour préserver la croissance, un équilibre complexe doit être trouvé entre maitrise de l’inflation et resserrement de la politique monétaire progressive et modéré afin de ne pas casser la demande. 

Au-delà de la hausse des taux, tout l’enjeu réside dans la crédibilité de la banque centrale auprès des marchés financiers. Sera-t-elle suffisante après plus d’une décennie de taux bas.

Le « Contre »
Fredj JAWADI
Professeur des Universités en finance et économétrie à l’IAE de Lille
L'augmentation des taux d’intérêt de la BCE est-elle problématique?

Face à un contexte inflationniste alarmant, les dirigeants de la BCE ont décidé de poursuivre les actions qui consistent à réduire l’achat des actifs financiers et à remonter leurs taux d’intérêt. Cette politique des taux devrait pousser les banques à réduire la distribution des crédits (en raison de leur coût désormais élevé) et en conséquence la liquidité disponible sur le marché. En outre, de telles mesures devraient se poursuivre durant les mois/années à venir pour ramener le taux d’inflation autour de 2% contre environ 6% actuellement. Cette mesure est-elle vraiment adaptée ?

L’augmentation des taux pourrait se traduire par une récession

En augmentant les taux, la BCE cherche à réduire la hausse des prix et donc l’inflation. Le scénario prévu est d’augmenter les taux afin de provoquer de nouvelles contraintes financières pour les ménages qui verront leurs dépenses se réduire. Cela les poussera à augmenter leurs demandes de travail tout en étant moins exigeant en matière de prétention salariale. Il s’ensuit une atténuation des tensions sur la progression des salaires et à terme une baisse des prix. Cela dit, l’économie est loin d’être une science exacte. Tout est possible, y compris un scénario différent. Dès lors, cette politique des taux est non seulement problématique mais elle est aussi risquée et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’augmentation des taux devrait (effectivement) induire une baisse de la consommation ; freiner l’investissement et en conséquence, engendrer une réduction de la production et un affaiblissement du niveau actuel de croissance économique, qui est déjà fragile. Par exemple, l’augmentation des taux impliquera une baisse de la demande des crédits et un gel de la demande des biens immobiliers. Cela se traduirait à terme par une récession économique, des pertes d’emplois, une augmentation du chômage et de la pauvreté.

La cause de cette inflation demeure incertaine

Deuxièmement, les causes de cette inflation sont encore discutables : choc de demande versus choc d’offre. Si l’inflation est causée par un choc de demande, une telle politique des taux serait effective pour encadrer la demande et lutter contre l’inflation. Néanmoins, certains économistes considèrent que cette inflation excessive est plutôt causée par des chocs d’offre et s’interrogent encore sur la durée de l’inflation (court versus long terme). Par exemple, pendant plusieurs mois la Fed a considéré l’inflation marquant la période post-Covid-19 comme temporaire. Dans un tel contexte, la remontée des taux qui cherche à éviter un choc de crédit durable (lorsque les ménages et les entreprises décident de s’endetter pour protéger leurs pouvoirs d’achat et réduire leurs pertes de trésorerie) et donc une inflation structurelle, peut être contreproductive. Tant que la cause de cette inflation demeure incertaine, l’usage de l’instrument des taux est risqué.

La hausse des taux peut entraîner une multiplication des défauts de paiement

Troisièmement, l’histoire de l’économie américaine nous enseigne le risque et le danger de la politique des taux. Lorsque la Fed a baissé ses taux après 2000-2001 pour éviter une récession économique, elle a certes fait du bon travail, mais elle a aussi créé une facilité de crédits sans précédent et de l’inflation. Puis, quand elle a remonté ses taux rapidement à partir de 2004 pour lutter contre l’inflation, elle a provoqué une crise immobilière majeure (crise des subprimes en 2007) due en grande partie à la multiplication des défauts de paiement causée par l’augmentation des taux.

Pour conclure, augmenter les taux pourrait limiter la hausse des prix mais en sacrifiant la croissance et provoquant une récession économique. En d’autres termes, on ne soigne pas l’économie mais on substitue un problème par un autre !

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