Habiter la France de demain : voiture individuelle vs nouvelles mobilités

Cette controverse est publiée dans le cadre de la démarche Habiter la France de demainlancée au mois de février par le ministère en charge du Logement. Le but est de croiser des avis d’experts et des consultations citoyennes afin d’identifier de nouvelles solutions en réponse aux défis de la ville et des territoires de demain.

La voiture occupe une place privilégiée

La voiture occupe une place encore privilégiée dans les foyers français. D’après une étude de de la société Kantar, 86 % des ménages possèdent une ou plusieurs voitures en 2019 et  plus d’un tiers d’entre eux affirment avoir absolument besoin de la voiture pour se déplacer tous les jours. Une dépendance devenue de plus en plus problématique à l’heure où l’on incite à en restreindre son usage par l’utilisation de péages urbains, de vignettes, ou encore de circulation alternée. Les politiques publiques actuelles cherchent à pallier les problèmes causés par l’usage excessif de la voiture comme le trafic, la consommation d’espace urbain et surtout la pollution. En France, le secteur des transports contribue à environ 30% des émissions de gaz à effet de serre du pays et les voitures individuelles sont responsables de près d’un sixième de la contribution française au changement climatique (15,7 %). A elles seules, elles polluent plus que l’ensemble des poids lourds (6,3 %) et des véhicules utilitaires (5,8 %).

Une société de l’automobilité  

Pour comprendre pourquoi la voiture a pris une place si importante dans nos vies, il faut s’intéresser aux origines de son développement. Auparavant, les villes étaient des espaces pédestres, on s’y déplaçait principalement à pied ou en vélo. Ce n’est qu’après 1945 que la voiture va s’imposer comme le principal mode de transport en France. Autrefois réservée à une élite, elle devient plus accessible et se démocratise, à la fois en ville et en campagne. En 1980, les deux tiers des français possèdent au moins une voiture.

Cette évolution a complètement bouleversé nos modes de vies et nos espaces. La voiture rend l’éloignement de son lieu de résidence à son lieu de travail plus accessible, on assiste à un véritable phénomène d’étalement urbain, les banlieues pavillonnaires se multiplient, une nouvelle industrie de consommation et de loisir se développe autour de l’usage de la voiture (centre commerciaux et de loisirs, zones industrielles).

Nous sommes ainsi devenue une société de “l’automobilité” que ce soit au niveau symbolique, spatial ou social. Les villes sont entièrement reconfigurées pour être plus accessibles en voiture : à Paris on compte près de 2 800 hectares de voies publiques dédiés à son usage, comprenant les axes de circulations et les parkings. Certains espaces urbains ne sont uniquement accessibles en voitures, que ce soient des logements, bureaux, centres d’achats, ils deviennent ainsi des “car-only environnement” (Sheller et Urry, 2000). 

La voiture détient un important statut symbolique, elle est devenue un objet de consommation à forte valeur sociale et identitaire : “dis-moi quelle voiture tu conduis et je pourrais te dire qui tu es!”. A l’âge de l’ère capitaliste, elle incarne alors un symbole de réussite, de liberté et d’efficacité. 

La voiture, un mal à abattre ? 

Aujourd’hui, cette image tend à se détériorer, on pointe du doigt les voitures comme étant un “mal public” auquel il faudrait remédier. Les externalités négatives qui en découlent amènent les collectivités territoriales à repenser leur politique d’aménagement du territoire dans l’objectif de réduire notre usage de l’automobile.

En 1986, la loi LOTI (loi d’orientation des transports intérieurs) affirme un droit de transport devant permettre de se déplacer  « dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coûts pour la collectivité ». En 2011, un livre blanc des transports produit par l’Union européenne insiste sur la nécessité d’aller vers une mobilité plus durable et moins polluante. Plus récemment, la loi d’orientation des mobilités de 2019 prévoit d’instaurer des transports du quotidien plus propres avec pour objectif d’interdire la vente de voitures à énergies fossiles carbonées d’ici 2040.  La maîtrise des déplacements en voiture devient ainsi un enjeu de politique publique à part entière, que ce soit à l’échelle globale, communautaire ou locale. 

Vers une nouvelle mobilité ? 

Des nouvelles stratégies et projets se créent dans l’objectif d’offrir des alternatives à la voiture individuelle, notamment au problème d’auto-solisme (usage de la voiture par une seule personne). En 2006, on crée le concept de Maas (Mobility as a Service) qui vise à simplifier l’expérience de mobilité urbaine par ses utilisateurs. Pour y arriver, ils misent sur un écosystème hybride composé d’infrastructures de transports (véhicules, gares, bus, vélos) et de dispositifs numériques (plateformes, applications). Dans cet esprit, on retrouve notamment les applications Citymapper, Mappy ou encore Uber. Cette stratégie a été mise en place dans la ville d’Oslo, où l’on cherche à favoriser la multimodalité (présence de plusieurs modes de transports différents entre deux lieux) à la voiture personnelle, donc favoriser une mobilité plus propre, facile et accessible. On parle également de développer les “altermobilités”, donc développer les comportements de déplacement alternatifs à un usage exclusif de la voiture individuelle, comme les transports en commun, le vélo ou la marche. Ainsi, plusieurs initiatives en France apparaissent pour développer ces nouvelles mobilités. A Strasbourg, le vélo représente aujourd’hui près de 16% de la part modale, elle est devenue la cinquième ville mondiale du vélo en 2019, avec plus de 600 km d’aménagements cyclables. 

Une transition qui reste difficile…

Pourtant le Maas comme les altermobilités ne semble pas aujourd’hui pouvoir proposer une alternative viable à la voiture. Elles ne permettent pas de répondre par exemple aux problèmes des inégalités spatiales, sociales qui scindent le monde rural et urbain. Le développement des infrastructures en termes de mobilité est beaucoup plus dense en ville qu’à la campagne. Toujours selon l’étude réalisée par Kantar (2019), 60% des habitants du monde rural disent ne pas pouvoir aller au travail sans leur voiture alors que ce chiffre est seulement de 11% pour les habitants de la métropole parisienne. 

Malgré tous les efforts fournis par les pouvoirs publics pour proposer des alternatives, la voiture reste le transport le plus flexible et rapide pour se déplacer. Elle est ancrée dans les mœurs de la population, changer les comportements ne sera donc pas un défi simple à relever. Rappelons que la voiture a encore aujourd’hui une valeur symbolique et affective importante, elle est devenue indispensable à nos nouveaux modes de vie, surtout pour ceux qui habitent en périphérie des centre-villes. Certains pensent qu’au lieu d’interdire totalement la voiture individuelle, encore trop indispensable pour une large partie de la population, il vaudrait mieux la réinventer en misant sur des nouvelles technologies comme l’électrique ou l’hydrogène ou l’intelligence artificielle. Une vision assez controversée, ces nouvelles technologies sont critiquées par un certain nombre d’experts comme étant des fausses bonnes solutions, car elles restent coûteuses en ressources polluantes et ne permettent pas d’apporter de réelles réponses au problème.   

Parole d’expertes et d’experts

Alors, quel est l’avenir de la mobilité ? Voitures autonomes, électriques ou à hydrogène ? Mobility as a service ? Ou transports en commun ?

Pour plus de réponses à ces problématiques, nous sommes allés à la rencontre de plusieurs experts pour avoir leur avis sur la place de la voiture individuelle dans la mobilité du futur.

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Aurélien Bigo
Chercheur sur la transition énergétique des transports

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Aurélien Bigo, Chercheur associé à la chaire énergie et prospérité. Il a notamment soutenu une thèse sur les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement.

Les défis de la mobilité sont nombreux. Notamment à l’heure de la transition énergétique et écologique, il devient impératif de repenser nos usages des transports pour réduire les émissions de CO2, la pollution de l’air et de se séparer du pétrole, une énergie limitée en stock. Les externalités négatives liées à l’usage de la voiture sont multiples : les consommations de ressources, les problèmes de congestion, la consommation d’espace publique, l’accidentologie, les mobilités inactives (moins de pratique d’activités physiques, plus de sédentarité) et enfin des enjeux économiques (le secteur des transports reste très important en France, pourvoyeur de nombres d’emplois que ce soit au niveau de son utilisation et de sa production).

Pour atteindre la neutralité carbone promise en 2050, la place de la voiture individuelle dans la mobilité future peut être appréhendée de deux façons. Premièrement il s’agit de réduire l’utilisation de la voiture, notamment par la diminution des distances de déplacements, cela peut passer par l’incitation à se rapprocher de leur lieu de travail, des espaces de consommations, etc. Cela peut aussi passer par l’utilisation d’autres modes de transports, comme les modes actifs (le vélo et la marche), les transports en commun, ou le covoiturage. Deuxièmement, il faut faire en sorte que les voitures restantes soient les plus propres possibles, que ce soit au niveau de l’efficacité énergétique (moteurs plus efficaces, véhicules plus légers comme les quadricycles ou les voiturettes) et la décarbonisation des énergies utilisées (par l’électricité, le biogaz ou encore l’hydrogène). Malgré tout, la solution miracle n’existe pas. Plusieurs leviers existent pour réduire les impacts de la voiture, ils doivent être utilisés conjointement tout en s’adaptant aux besoins des différents ménages et des territoires.

Pour qu’une transition soit possible, il faut créer des incitations, à la fois pour les usagers mais aussi pour les constructeurs automobiles pour les aider à développer de nouvelles formes de mobilités. Cela peut notamment passer via des aides à l’achat, le développement d’infrastructures adaptées, des incitations financières ou encore une bonne stratégie de communication. A l’avenir, nous serons sûrement amenés à devoir contraster les véhicules que nous utilisons selon nos différents besoins, que ce soit pour un usage quotidien ou pour effectuer des trajets de longue distance. Il est inutile d’avoir une voiture de cinq places capable de rouler à 180 km/h pour faire des trajets de courte distance avec une seule personne à bord, il nous faut donc développer une gamme de véhicules diversifiés qui correspondrait mieux à ces usages.

Ainsi, c’est en mettant en place toute une série de mesures complémentaires, adaptées aux différents besoins sociaux et territoriaux, qu’on peut espérer voir des effets d’entraînements qui nous permettront de voir un changement dans nos mobilités sur le long terme. Cette transition risque sûrement d’être lente et complexe, c’est pourquoi il est essentiel de la prendre en compte dès aujourd’hui dans nos politiques publiques et dans notre politique d’aménagement du territoire.

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Elodie Trauchessec
Coordinatrice mobilité émergentes à l’ADEME

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Elodie Trauchesseccoordinatrice mobilité émergentes à l’Ademe, agence de la transition écologique

Parlons mobilité

La mobilité renvoie à une capacité à se déplacer librement, c’est un droit, une liberté fondamentale. Dans une société du mouvement comme la nôtre, la mobilité touche un panel très large de problématiques. Elle est reliée bien évidemment à la transition écologique, mais aussi aux enjeux sanitaires, politiques, économiques et sociaux. Aujourd’hui, si nous voulons offrir des réponses à tous ces enjeux il faut changer notre rapport à la mobilité et notamment à la voiture individuelle. En France, cette transition reste compliquée, certaines politiques publiques sont perçues comme trop contraignantes et liberticides. Ce sont en effet des mesures comme la “taxe carbone” en 2019 qui ont fait éclore le mouvement social des Gilets Jaunes.

Pourquoi cette transition est-elle compliquée?

Si cette transition nous paraît si difficile, c’est parce qu’elle nous amène à concevoir de nouveau notre rapport à la voiture. L’automobile reste pour beaucoup un symbole de liberté et de réussite sociale. Un imaginaire accentué par la publicité, 25% de la part de la publicité Française est consacrée aux voitures. Cela fait plus de 60 ans qu’en France la ville et l’espace public sont pensés et construits pour l’automobilisme, nous vivons dans une véritable culture de la voiture. Malgré tout, ce n’est pas un état immuable, rappelons qu’il y a 70 ans à peine, les gens se déplaçaient énormément en vélo ou à pied. Certains pays industrialisés réduisent déjà son usage, comme les Pays-Bas.

Une évolution nécessaire quand on considère toutes les externalités négatives engendrées par l’automobile. Avoir une voiture est devenu une véritable contrainte financière, son coût global est de cinq à dix mille euros par an pour les ménages. Les voitures sont également source de problèmes dans l’espace public. Elles créent des embouteillages, donc de la pollution sonore, de l’agacement et de la perte de temps. Elles occupent aussi une part trop importante de l’espace urbain. A Paris, c’est la moitié de l’espace public qui est occupé par des infrastructures automobilistes, comme des routes ou des parkings, une consommation d’espace importante alors que les voitures ne représentent que 13% de la part modale de la ville.

Rendre la ville plus humaine

Il est urgent de rééquilibrer la ville pour la rendre plus humaine. On a constaté pendant le confinement qu’en enlevant les voitures des rues, les habitants se réapproprient plus facilement les lieux, les enfants jouent dans la rue, la ville devient plus apaisée. Il convient également de rappeler que la voiture joue un rôle non négligeable dans le problème de l’accidentalité, qui continue de tuer en moyenne deux mille personnes par an en France. Si nous voulons sécuriser nos déplacements, il est important de laisser plus de place aux piétons et de limiter les vitesses de circulation dans les centre-villes.

Des mobilités diverses

Il faut que les politiques de mobilités prennent aussi en considération les diversités géographiques et sociales. On ne peut pas comparer les mobilités parisiennes, à celles de banlieues ou du monde rural. Si la mobilité est un droit fondamental, personne ne doit être laissé aux portes de la cité. La mobilité appartient à tout le monde. Dans cette perspective, il est illusoire de croire que nous pourrons un jour abandonner la voiture individuelle, beaucoup de territoires ne sont accessibles que par l’automobile. Bien entendu, il faut en réduire son usage, mais seulement dans les espaces où cela est possible, notamment dans les centre-villes.

Pour éviter de créer des disparités entre le périurbain et le centre-ville, deux solutions se proposent à nous. Nous pouvons commencer par désaturer les transports en commun, en poussant les habitants du centre-ville à emprunter davantage les transports actifs. Cela permet de libérer de la place dans les transports en commun, surtout pour les habitants des périphéries qui effectuent des trajets plus longs. On doit aussi développer des parkings relais qui permettront aux usagers de la voiture d’emprunter les transports en commun à l’entrée de la ville plus facilement. Je ne pense pas qu’il faut faire disparaître entièrement les voitures de nos centre-villes, il faudrait que seules les personnes qui ne peuvent pas s’en passer aujourd’hui y circulent.

Nous avons les solutions !

Les solutions pour changer nos mobilités nous les avons. Elles sont low tech, nul besoin de projets très innovants comme les voitures volantes ou l’hyperloop. Le problème réside dans leur mise en application : il faut réussir à engendrer une transition culturelle et faire évoluer notre conception de la mobilité. Nous devons absolument sortir du modèle de la mono-modalité, c’est-à-dire arrêter d’utiliser qu’un seul gros véhicule pour répondre à tous nos besoins de déplacement. Aujourd’hui il faut diversifier nos modes de transports, les adapter à nos différents besoins. Pour changer les comportements, une transition lente et complexe est en marche. Elle passe par des campagnes de communication mais aussi des politiques publiques incitatives, comme le forfait mobilité durable ou encore la prime à la conversion pour acheter un vélo en mettant à la casse une voiture.

La crise sanitaire actuelle contribue à changer notre perception de la mobilité. Le télétravail ou encore le développement de l’e-commerce ont bouleversé nos habitudes et nos déplacements. Il est encore trop tôt pour dire si ces changements vont réellement dans le bon sens. Une chose est certaine, nos mobilités sont en mutation et c’est à nous de faire en sorte de les rendre meilleures.

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Mathieu Flonneau
Historien

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Mathieu Flonneau, historien, maître de conférences, directeur de l’Institut AES-EDS, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Mathieu Flonneau travaille sur les questions de mobilité, de civilisation routière et d’automobilisme et vient de co-diriger un ouvrage sur les Métropoles mobiles (PUR, 2021).

Les nombreux enjeux de la mobilité

La mobilité est une combinaison d’enjeux multiples, sociaux, politiques, patrimoniaux, économiques, ce n’est plus seulement un enjeu technique lié aux transports. Cette conjugaison d’intérêts multiples et croisés fait de la notion de mobilité une donnée complexe, qui peut être appréhendée de manière différente selon sa temporalité et sa situation géographique.

Les politiques publiques qui s’y consacrent, au moins dans leur affichage médiatique, sont aujourd’hui focalisées sur la lutte contre l’auto-solisme, c’est-à-dire l’usage de la voiture par une seule personne. Pourtant les vrais enjeux ne se limitent pas à cela, il faut repenser de manière globale l’automobilisme, soit ce que j’appelle “la civilisation routière ». Elle comprend non seulement les voitures mais aussi les routes, les camions, les véhicules utilitaires… Il ne faut donc pas uniquement se concentrer sur le problème de la voiture individuelle, mais s’intéresser à notre culture de l’automobilité, qui détermine à bien des égards nos modes de vie. La crise du Covid-19 a largement démontré l’utilité de la route, notamment pour le ravitaillement. Aujourd’hui on ne peut pas faire sans, et remettre en question l’automobilisme, c’est remettre fondamentalement en question la vie sociale contemporaine.

La complexité des modèles alternatifs

Pour trouver des alternatives à l’automobilisme, il faut considérer toute la chaîne de valeurs. Bien évidemment il y a des enjeux de soutenabilités écologiques, mais aussi des enjeux sociaux et économiques, et également géopolitiques. Aujourd’hui, selon beaucoup d’expertises concordantes, la stratégie menée par nos politiques publiques ne paraît pas être estimée à son juste coût. Par exemple, certains calculs économiques révèlent que l’électrification des voitures coûtera plusieurs milliards d’euros. Malgré des aides des pouvoirs publics, ces voitures restent et resteront peu accessibles aux classes les plus populaires. De plus, l’électrification de nouvelles mobilités comme le vélo ou la trottinette engendre une nouvelle forme de contradiction car elles consomment elles aussi beaucoup de ressources. Si dans un avenir très proche nous sommes amenés à fermer nos centrales nucléaires, cela pourrait devenir un réel problème…

On peut aussi être réticent sur l’emploi de la terminologie liée aux “mobilités douces”. Le mot douceur peut être trompeur. Si vous demandez aujourd’hui aux piétons des grandes villes s’ils pensent que les trottinettes sont douces, vous avez fort à parier qu’ils vous diront le contraire… On assiste à une hyper individualisation des mobilités et il en découle une forme d’incivilité dans leurs usages, peu compatible avec leur prétendue “douceur”. Ces mobilités sont surtout accessibles dans les hyper-centres urbains, elles ne s’adressent pas aux périurbains ni aux ruraux qui restent dépendants des modes lourds (voitures ou transports en commun).

Un autre problème engendré par le développement de ces nouvelles mobilités c’est la gestion des données personnelles. Beaucoup d’entre elles marchent aujourd’hui grâce à la capitalisation des données, qui ne sont pas gratuites. Cela pose de sérieuses questions éthiques, sachant que les transports sont considérés communément comme un bien public.

Alors quelles solutions ?

Le transport public, quant à lui, reste encore très coûteux. Il mériterait d’être davantage réhabilité car il permet de transporter beaucoup plus d’individus. Il faut en finir avec les “bullshit mobilities” trop individualistes, qui aujourd’hui, ne représentent pas une alternative viable à la voiture. Il faut encourager l’innovation, de nouveaux projets émergent et sont prometteurs, comme les transports automnes ou encore les véhicules partagés. Toutefois, il faut que ces solutions soient bien réfléchies, qu’elles prennent suffisamment en compte toutes les problématiques liées à la mobilité, que ce soit l’aspect social, économique, ou environnemental pour qu’elles puissent représenter un jour de véritables alternatives à l’automobilisme.

Mathieu Flonneau est l’auteur de « L’automobile au temps des Trente Glorieuses » et « En tous sens ! Histoire des équipements de la route » (Loubatières 2018 et 2021). Il a co-dirigé « Choc de mobilités ! » (Descartes&Cie 2016) et « Métropoles mobiles » (Presses Universitaires de Rennes, 2021).

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Hadrien Bajolle
Bureau de recherche sur la mobilité

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Hadrien Bajolle, chef de projets au Bureau de recherche sur la mobilité

Qu’est-ce que la mobilité ?

La mobilité c’est ce qui relie des activités et des lieux de vie, donc c’ est intrinsèquement liés à nos modes de vie. Pendant les trente glorieuses, une corrélation se crée entre l’accroissement des vitesses, des distances et notre dépense énergétique. Une idée qui est bien illustrée par ce que l’on appelle la conjecture de zahavi. Depuis l’empire romain, nous avons un budget temps constant qui est dédié aux mobilités, qui est d’environ une heure. Aujourd’hui ce qui a changé ce n’est pas le temps de transport, c’est la vitesse. Grâce à des nouveaux vecteurs énergétiques on peut faire plus de déplacements sur le même temps de trajet. Nous sommes donc facilement passés de la mobilité pédestre à celle de l’automobile, ce qui bien évidemment a participé à espacer nos lieux de vie.

Avons-nous atteint une limite ?

Certains disent que le développement de la voiture est arrivé à un “tipping point” depuis les années 2000, la croissance des kilomètres parcourus atteint un sommet. On se retrouve à un moment de l’histoire où nous ne savons plus si nous devons continuer l’accélération de la vitesse de nos déplacements ou aller inversement vers sa décélération, qui passera alors forcément par un réajustement de nos modes de vies. Ralentir nos mobilités semble encore être assez théorique aujourd’hui, les politiques publiques peinent à mettre en place des mesures concrètes qui permettent de changer nos habitudes. Mais de plus en plus de projets se développent dans ce sens, comme la ville du quart d’heure, l’incitation à aller vers des mobilités plus actives (vélo et marche) ou encore la revalorisation des commerces de proximité.

Vers une décélération heureuse pour tous ?

Cette décélération est aujourd’hui visible dans les hypercentres, où une véritable réflexion sur les espaces publics est en cours à travers la conversion des grandes infrastructures routières en boulevards urbains, l’instauration de zones à trafic limités (ZTL) ou encore l’essor des ZFE, qui, même si ce n’est pas leur objet principal, participent à augmenter les contraintes sur l’automobile. Il s’agit là bien sûr de politiques nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique mais il faut être aussi très attentifs à ce qu’elles n’engendrent pas de nouveaux problèmes. On peut se demander si ces mesures ne vont pas participer à la consolidation de “forteresses urbaines”; des espaces qui favorisent des modes de vie bobo, urbain, connectés aux autres métropoles et qui par conséquent excluent les habitants des banlieues, soit leur “hinterland productif”. Il est problématique de les exclure de la solution, car les habitants des périphéries sont ceux qui utilisent le plus la voiture dans leurs déplacements.

Comment faire pour le péri-urbain et le rurale ?

De fait, la décarbonation des mobilités en zones périurbaines et rurales est aujourd’hui notre principal défi. Et il n’y a aucune solution miracle devant nous. Le développement massif de nouvelles lignes de transport public est difficilement envisageable dans le contexte tendu des finances publiques. L’essor du vélo est une vraie solution mais il ne permettra pas de se passer complètement de la voiture. Reste l’électrification du parc automobile, qui sera pour l’essentiel un coût privé, que les ménages devront assumer. Il est vrai qu’aujourd’hui elles sont devenues plus accessibles, elles sont au même prix que les véhicules thermiques, et ce grâce aux aides fournies par l’Etat. Pourtant, rappelons que la majorité des français n’achètent pas de véhicules neufs, mais d’occasion. Or, le marché d’occasion n’existe pas encore chez les véhicules électriques, ce qui les rend moins accessibles auprès des ménages les plus modestes.

Attention, l’électrification des voitures est loin d’être une solution idéale. Elle est la plus facile à mettre en place car elle ne questionne pas directement nos modes de vie. Mais si on veut trouver des solutions plus viables, il faut avant tout réfléchir à modifier nos habitudes de consommation, de mobilité, nos lieux de vie. Il faut que les élus locaux de zones rurales se questionnent eux aussi sur la question suivante : comment faire pour que les habitants utilisent moins leurs voitures ? Cela peut passer par une pluralité de mesures différentes, que ce soit le soutien des commerces de proximité, (interdiction des centres commerciaux en périphérie), la sensibilisation aux modes actifs (valorisation du vélo et la marche), ou encore la création d’infrastructures (parkings à vélos). L’individualisation de nos modes de vie n’a jamais été épanouissante. Il faut réapprendre dès à présent à recréer un sentiment de collectivité, plus ancré dans le local et nos territoires.

Pour conclure

La voiture est encore un synonyme de liberté pour bon nombre de personnes et pas seulement au niveau symbolique. Un grand nombre de français en sont encore dépendants, notamment en zone rurale. Il faut leur redonner le “pouvoir d’agir”, rendre des alternatives plus crédibles, plus confortables tout en changeant leur regard sur leurs mobilités et sur leurs modes de vie.

Des ressources pour aller plus loin

Pour creuser le sujet et en savoir (encore) plus, nous vous invitons à consulter les éléments suivant :


CO₂, pollution de l’air, bruit… Des outils pour évaluer l’impact de son futur véhicule, sur le site de The Conversation.


une voiture électrique qui est en chargement

Elle est souvent citée comme l’avenir de la voiture individuelle, ou un moyen propre de se déplacer : il s’agit de la voiture électrique. Faut-il chercher à encourager l’achat de voitures électriques ?


Habiter en campagne est souvent synonyme de trajets en voiture. Pour sortir de ce paradigme, des solutions existent-elles ?


Parfois citée également comme l’avenir de la voiture, les véhicules à hydrogènes peuvent paraître un peu difficile à comprendre. Alors pour tout comprendre sur ce sujet, lisez l’article de The Conversation.


Un conducteur de voiture à hydrogène la recharge à une borne adaptée.

Et pour compléter, un débat sur le sujet. Voiture à hydrogène : est-ce vraiment une bonne solution ?


La loi d’orientation des mobilités a été publiée au Journal officiel le 26 décembre 2019. Cette loi transforme en profondeur la politique des mobilités, avec un objectif simple : des transports du quotidien à la fois plus faciles, moins coûteux et plus propres.


Lire le livre « les mobilités du futur »,de Sylvie Setier et Renaud Lefebre, 2017

Quelles en seront les prochaines révolutions ? Ingénieurs, designers, experts du numérique, sociologues et urbanistes travaillent sur les projets d’avenir. Leur objectif : vous faire vivre les transports comme vous ne les avez encore jamais vécus.


Écouter un ou plusieurs épisodes du podcast Mobtr, qui se décrit comme le podcast de la mobilité et des territoires.


Lire le livre « La voiture de demain », de François Demoz.

Francis Demoz est journaliste spécialisé dans les questions d’environnement.

Avec la crise de 2008, le modèle économique de l’industrie automobile a volé en éclats. Épuisement progressif du pétrole, contraintes environnementales, nouveaux marchés dans les pays émergents, nouvelles technologies, mais aussi nouvelles attentes des consommateurs : la voiture individuelle va devoir évoluer profondément pour répondre à ces défis…

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