LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
La polémique des notes du baccalauréat revues à la hausse refait surface tous les mois de juin. Cette année, la gronde des professeurs semble pourtant plus importante. Ce système d’exception qui devient une habitude dévalorise-t-il l’examen ? Décryptage sur le « tripatouillage » des notes du bac dénoncées par les professeurs.
L’harmonisation, une pratique courante
Chaque été, la polémique revient. Pendant que les lycéens angoissent avant les résultats du baccalauréat, les professeurs s’offusquent des notes qui sont rehaussées. Par l’intermédiaire des syndicats ou sur les réseaux sociaux, les professeurs dénoncent l’harmonisation des notes. Traditionnellement, des consignes orales sont données aux enseignants pour une plus grande bienveillance et se rapprocher des notes des autres lycées.
Ensuite, un comité, composé de recteurs d’académies et de correcteurs, se réunit pour assurer l’homogénéité des critères de correction. Il s’agit de garantir l’égalité de traitement pour les candidats et non d’augmenter les résultats selon l’Éducation nationale. Les notes inférieures à 5/20 doivent également faire l’objet d’une justification de la part du correcteur. Malgré tout, ce comité ne peut qu’augmenter les notes ce qui accentue la polémique.
Cette année, la contestation est encore plus forte. Le manque de transparence sur ces améliorations de notes est mis en cause. Certains dénoncent le fait que ces décisions n’ont pas été prises de manière collégiale copie par copie mais sur des lots de copies sans une réelle concertation. D’après le Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), les correcteurs « ont simplement découvert la chose en vérifiant leurs notes. » L’Éducation nationale a reconnu un « défaut de communication » sur l’harmonisation des notes vis-à-vis des professeurs. Elle a bien été utilisée cette année sans pour autant qu’il y ait une consigne nationale.
Les changements pour le bac 2022
Plusieurs changements ont poussé à cette situation. La première cause est Santorin, le logiciel de correction et de transmission des notes, qui aurait augmenté jusqu’à deux points les notes données par les professeurs. En effet, pour la première fois, toutes les copies sont numérisées et corrigées en ligne. L’harmonisation était donc bien plus facile pour l’Éducation nationale. Depuis la réforme du bac, les épreuves de spécialités poussent également à ce procédé.
Tous les élèves ne pouvaient pas participer aux épreuves le même jour, il y a donc eu deux sujets pour deux jours différents. Pour ne pas pénaliser un groupe plutôt que l’autre, le sujet qui avait les moins bons résultats a vu sa moyenne augmentée pour équilibrer les notes entre les deux sujets. Cette pratique a été particulièrement observée dans les spécialités de sciences humaines d’HGGSP (Histoire-géographie, Géopolitique et Sciences politiques) et HLP (Humanités, Littérature et Philosophie). Le Syndicat National des Enseignements de Second degré de Lyon (SNES) évoque « un flagrant délit de triche ».
L’harmonisation obligatoire pour l’équité
La direction générale des affaires scolaires explique « qu’il puisse y avoir des différences d’appréciation entre professeurs, qu’il y ait des sujets plus difficiles que d’autres, c’est normal, et pour corriger ces variations on a des harmonisations sur une minorité de copies qui permettent de dire à la fin qu’un candidat a été traité de la même manière qu’un autre. » L’harmonisation est également un mécanisme qui est soutenu par toutes les études de docimologie (science de l’évaluation en pédagogie).
En 2007, le chercheur Bruno Suchaud a ainsi fait une expérience sur la correction des examens. Il a soumis trois copies d’élèves de SES (sciences économiques et sociales) à une trentaine d’enseignants. Pour chaque dissertation, des variations très fortes ont été constatées entre chaque correcteur. Une copie a même vu une différence significative de onze points entre deux professeurs. La moyenne était de deux à trois points d’écart. Une variation qui peut faire la différence encore plus avec des coefficients élevés (coefficient 16 pour les épreuves de spécialités cette année). Cette expérience ne fait que confirmer celle du professeur Laugier en 1930, celle de la Commission Carnégie en 1932 ou celle de l’Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM) en 1975 qui ont tous conclu à des résultats similaires.
Les notes varient en fonction des critères
Outre la main lourde de certains professeurs, ces variations s’expliquent par l’humeur et l’état de fatigue du correcteur, par les conditions autour de lui mais aussi par l’effet d’ancrage. Inconsciemment, une copie sera mieux notée si elle se retrouve après plusieurs mauvaises copies. À l’inverse, elle pourrait être sous-évaluée si elle arrive après plusieurs bonnes copies. Ce contraste justifie la nécessité d’avoir des comités d’harmonisation pour assurer l’équité entre les élèves.
La note d’un élève reste un jugement subjectif puisqu’il repose sur des critères qui peuvent varier selon le correcteur. Charles Hadji, professeur honoraire en Sciences de l’éducation à l’Université Grenoble Alpes (UGA), estime qu’une note est « une hypothèse faite sur le développement d’un ensemble de “capacités” (connaissances, compétences, savoir-être : on a du mal à les désigner) qui ne peuvent être saisies qu’à travers des comportements censés les exprimer plus ou moins directement. Le correcteur juge de la présence (ou non) de ces capacités, qui ne pourra jamais être avérée avec certitude. »
Remise en cause de la valeur du bac
En 2008, dans un rapport sénatorial, le sénateur Jacques Legendre déplorait « le secret qui entoure » le système. « À tort ou à raison, ces harmonisations sont soupçonnées de contribuer à augmenter de manière artificielle les taux de réussite et d’affaiblir ainsi la valeur du bac », ajoutait-il. Depuis de nombreuses années, les critiques s’élèvent sur une possible dévalorisation du bac. Il n’est pas rare d’entendre que « le bac est donné » ou qu’il ne sert plus à rien. Certains chiffres poussent dans ce sens. En 1967, le taux de réussite était de 61,7 % avant de monter de décennie en décennie et atteindre les 93,7 % en 2021.
Marie Duru-Bellat, spécialiste des questions d’éducation, avait déclaré dans un article de Libération : « Le baccalauréat est un examen un peu boiteux parce qu’il est d’abord censé certifier ce qu’on a appris au lycée. Si l’enseignement y est en effet très efficace, il n’est pas inconcevable d’avoir un taux de réussite de 95 %. Mais qui peut réellement y croire ? Il y a cinquante ans, le taux de réussite plafonnait à 60-70 % environ, contre plus de 90 % aujourd’hui. Cela indique-t-il que les lycéens maîtrisent bien mieux les programmes du lycée ? Je n’en suis pas sûre. Ensuite, le problème est que le bac permet d’entrer dans l’enseignement supérieur. Or, si on veut de nombreux diplômés, il faut de nombreux bacheliers. »
Un jugement difficile à mesurer
Ce sujet divise les spécialistes qui n’arrivent pas à trancher la question. La frontière entre le progrès des élèves et une augmentation superficielle est difficile à percevoir et surtout à fixer. C’est également très compliqué de comparer des générations qui ne suivent pas le même programme et qui ne vivent pas dans le même environnement. Dans un article sur The Conversation, Charles Hadji s’interroge sur le jugement du bac : « Peut-on penser que plus le taux de réussite est bas, plus la fiabilité, et la valeur du diplôme obtenu par examen sont fortes ? Ne devrait-on pas, au contraire, se réjouir d’un fort taux de réussite, qui marquerait l’excellence pédagogique du système, et la réussite du travail des enseignants ? »
Il ajoute : « L’enseignement secondaire ne devrait-il pas se donner comme objectif 100 % de réussite ? Viser un taux restreint reviendrait à sacraliser l’élimination d’une partie importante de la jeunesse française. En tout cas, aucune recherche ne montre que plus un examen est sévère, plus il est fiable. »
La potentielle influence de la politique
L’harmonisation des notes ou bien le bac en général sont généralement accusés de profiter au pouvoir en place pour montrer sa réussite. Le syndicat SNES s’est prononcé sur la question : « De telles pratiques ne sauraient masquer et compenser les inégalités créées par la réforme du bac Blanquer. […] Quel est l’objectif de cette reprise en main brutale si ce n’est afficher politiquement l’objectif d’une session 2022 du baccalauréat réussi ? »
Encore une fois, Charles Hadji vient contrebalancer ses propos : « Faut-il croire que l’administration vit avec la tentation des “petits arrangements internes” ? Faut-il faire peser sur elle le soupçon d’une tendance irrépressible à brader, par calcul politique, et finalement par démagogie ? Un tel soupçon est bien méprisant à l’égard des travailleurs du ministère, et même des décideurs politiques. L’hypothèse inverse, de l’existence d’un souhait sincère d’apprécier aussi justement que possible le “niveau”, et du système, et des élèves considérés individuellement, a, au moins, autant de pertinence. Faute de sombrer dans une critique, férocement populiste, du “tous corrompus, tous tricheurs ». »
L’éternel débat
L’harmonisation des notes peut donc être mal vue et dénoncée par les enseignants et une partie de la société, le procédé reste pour autant le système le plus juste. La notation et le jugement des connaissances ne sont pas mesurables avec précision. Le manque de communication et de transparence regretté par les professeurs montre surtout une crise de confiance entre les enseignants et l’Éducation nationale. Le débat sur les notes trouvera toujours un moyen de s’exprimer tout comme celui sur la valeur du baccalauréat.
POUR ALLER + LOIN
💬 Suivez-nous sur les réseaux :
ARTICLES RÉCENTS
Sources : .