Sport : la France est-elle un pays de losers ?

📋  Le contexte  📋

Puisque la langue française s’accommode de plus en plus aisément des anglicismes, le terme lose est la traduction littérale – à partir de la langue de Shakespeare of course – du verbe « perdre ». La France est un pays de perdants, donc ? Plus que les Pays-Bas qui n’ont jamais remporté la moindre Coupe du Football ? Plus que les Anglais eux-mêmes qui la convoitent depuis 1966 ? Plus que les Belges qui ont à peine davantage que le cyclisme pour se pavaner ? En réalité, la lose désigne ici un art de perdre bien à la française, une capacité à s’écrouler au moment fatidique. Une mentalité de joli perdant, en somme.

Dans les chiffres, la question peut effectivement prêter à sourire, les Bleus figurant chaque année dans le top 5 des nations médaillées. Reste que si l’Histoire ne garde que les grands noms, la nôtre a d’abord conservé son lot de perdants magnifiques. Raymond Poulidor a effacé Jacques Anquetil de la mémoire collective. La France du foot ne retient que l’effroyable blessure de Patrick Battiston en 1982 quand bien même que les Bleus glanaient leur premier Euro deux ans plus tard. Les Français auraient-ils un goût prononcé pour leurs losers sportifs ?

Depuis 2015, le compte Facebook et Twitter Fédération Française de la Lose répertorie non sans humour les meilleurs ratés des sportifs de l’Hexagone. 316 000 mentions j’aime sur le réseau de Mark Zuckerberg, 130 000 abonnés sur celui à l’oiseau bleu, l’auto-dérision fait visiblement des émules. Adorée par certains, bloquée par d’autres – souvent les personnalités visées – la Fédération Française de la Lose vante un art de la lose à la française. Mythe franco-centré ou réalité ? Venez en débattre avec nous.

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Sport : la France est-elle un pays de losers ?
Le « Pour »
Hind
Journaliste indépendante
La défaite est en nous

Poulidor, France-RFA 82, le PSG chaque saison, les Français à Roland-Garros chaque année. Une série de défaites marquantes ou récurrentes que nous pouvons répéter comme une litanie.

Mais afin de pouvoir parler de tradition, il ne suffit pas de se reposer sur la récurrence des défaites mais sur la répétition des schémas par lesquels elles interviennent, la combinaison des deux crée cet héritage culturel que nous pouvons qualifier de tradition.

Dans le cas du sport français, la défaite est loin d’être un mythe. Tous les sports y sont passés, collectifs et individuels. Là où il semble légitime de parler de tradition, c’est dans la manière de perdre. Les Français sont passés maîtres en ce qui concerne la défaite dramatique et c’est en cela que la lose dans son sens le plus cuisant prend forme.

La lose est un état d’esprit

Si les Français, ils perdent non pas par manque de talent mais selon toute vraisemblance par friabilité mentale. Grèce-France Euro de Basket 2005, 7 points d’avance et moins d’une minute à jouer avant l’écroulement, Tournoi des Six Nations Italie-France 2011, on parle d’une faillite mentale, Tsonga craque face à Djokovic à Roland-Garros 2012, le PSG et la désormais fameuse remontada face au FC Barcelone, le coup de tête de Zizou au Mondial 2006 face à l’Italie, la grève à Knysna Coupe du Monde 2010… Chacun de ces exemples vient étayer la thèse de l’échec mental. La lose est un état d’esprit, une incapacité à conclure et le sport français en porte toutes les marques.

La défaite, une identité

L’idée d’une défaite à la française est tellement populaire qu’elle en devient un élément structurant dans l’identité du sport français au regard du public. Bien moins péjoratif que ce qu’on peut penser, les Français portent un regard romantique sur les éternels perdants. Il existe une fascination pour l’échec et il semblerait que le sport français ait intériorisé cela. Les belles victoires, comme la récente Coupe du Monde de football remportée, font figure d’exceptions à la règle. Le sport français finalement se définit bien plus par ses défaites que par ses victoires. Pas fatalistes pour autant, nous avons inventé le concept de la défaite encourageante et si ceci n’est pas un hommage à l’esprit de la lose, rien ne l’est. Pour reprendre le slogan de la FFL « Fédération Française de la Lose » : la défaite est en nous.

Le « Contre »
Laurent-David Samama
Auteur de "Éloge de la défaite", essayiste et expert associé à la fondation Jean-Jaurès
Des victoires en bleu sublimées par le souvenir de la défaite

Chaque année, à Roland Garros, c’est la même histoire : des joueurs français conquérants et acclamés par le public des courts Chatrier et Lenglen. Des premiers jours spectaculaires, quelques surprises et parfois même une tête de série qui chute face à un petit bleu inconnu sorti de derrière les fagots ! Cette année – comme chaque année depuis que l’on suit assidûment le tennis – on en est persuadé : c’est la bonne, Yannick Noah va enfin trouver son héritier. Mais dès l’arrivée des huitièmes de finale : patatras ! L’édifice bleu s’écroule. Gasquet, Paire et Monfils mordent la poussière… Ou plutôt la terre battue parisienne. Une spirale d’erreurs, d’échecs et de défaites commence alors.

Comment expliquer cette habitude des revers, ce triste et cruel voisinage avec la lose ? Y aurait-il une tradition française de la lose dans le sport ? Les esprits chagrins seraient tentés de le penser. L’auteur de ces lignes, également auteur d’un Éloge de la Défaite, fut lui-même le témoin direct ou indirect de bien des désillusions sportives.

Or, il invite à bomber le torse ! Point de pessimisme ! Les Bleus ne sont pas plus poissards que les autres. De Lavillenie à Mossely, de Riner à Fourcade en passant par Lafont, Renard et Mbappé, des grands champions, nous en avons à la pelle, nous savons même en produire tous les ans, si bien que la France, territoire émaillé de centaines de centres de formation, constitue une puissante pépinière de talents.

Oui, vous lisez bien : de Paris à Marseille, de Rennes aux outremers, nous représentons une nation forte sur l’échiquier mondial du sport, un pays dont les athlètes sont connus, reconnus et s’exportent à merveille. Vous en doutez ? Demandez donc aux brésiliens ce qu’ils pensent de l’Equipe de France de football ? En compétition, c’est bien simple : les Bleus sont devenus la bête noire de la Seleçao. SI bien qu’avant chaque tirage au sort de Coupe du Monde, de Rio à Sao Paulo, on prie pour ne pas avoir à faire aux Français.

Les exemples d’excellence sportive hexagonale sont légion. Tout compte fait, nous échouons plus dans les têtes que sur le terrain. En bons romantiques affublés de shorts et de crampons, nous savons bien que certaines défaites dramatiques, de Poulidor à Battiston, sont plus grandioses que des victoires sans panache. Pour nous Français, l’essentiel n’est dès lors pas de gagner tout court, c’est plutôt d’y mettre la manière. Football champagne, french flair, flamboyance. Les vainqueurs systématiques nous agacent. Ce que nous aimons par-dessus tout, c’est l’imprévu, le retournement de situation, les coups de boule victorieux ou rageurs de Zinédine Zidane, devenu idole nationale.

Et si nos victoires en bleu étaient belles car sublimées par le spectre et le souvenir de la défaite ?

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