📋 Le contexte 📋
En France, la laïcité est un principe constitutionnel*. Il a été consacré par la Loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat promulguée par Aristide Briand.
La laïcité repose sur trois piliers :
– la liberté de conscience (croire ou ne pas croire) et celle de manifester ses convictions dans le respect de l’ordre public
– la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses
– l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions.
La laïcité est donc le fait de n’imposer et de n’interdire aucune religion. Elle fonde alors la neutralité de l’Etat mais pas celle des citoyens, qui sont libres d’exprimer leurs opinions religieuses.
* »La France est une République laïque » (article 1er de la Constitution de 1958.)
Source : Observatoire de la laïcité
En 2004, la loi n° 2004-228 ou “Loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises” interdit le port de signes religieux ostensibles dans les collèges et lycées publics, provoquant déjà de nombreux débats à l’époque. Aujourd’hui, plusieurs élus souhaitent étendre cette neutralité, soit à d’autres lieux, soit à l’ensemble des citoyens.
Deux définitions de la laïcité s’opposent alors : d’une part une laïcité permettant à tout le monde d’exercer son culte, en privé comme en public, y compris autorisant le port de signes religieux, et d’autre part, une laïcité interdisant l’expression d’une appartenance religieuse dans certains lieux publics, ou dans certains fonctions.
Source : Le Monde
Le 11 octobre 2019, lors d’une séance au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un scandale a éclaté après que Julien Odoul, un élu du Rassemblement National, ait demandé qu’une accompagnatrice scolaire d’un groupe d’enfants présente dans la salle retire son voile. Selon lui, ce dernier perturbait le bon fonctionnement de la séance.
Suivirent de nombreux débats sur le port du voile sur les plateaux de télévision et dans les médias.
Une proposition de loi interdisant l’accès des mères voilées à l’accompagnement des sorties scolaires a été voté en première lecture par le Sénat.
Source : France24
🕵 Le débat des experts 🕵
En France, la laïcité concerne l’État, les institutions et les services publics. Dans un pays comme le Canada, la liberté religieuse a plutôt tendance à être sacralisée. Jusqu’à cette année, au Québec, les fonctionnaires en situation d’autorité comme les juges, les enseignants ou les policiers pouvaient arborer des signes ostentatoires religieux dans le cadre de leurs fonctions. Soutenue majoritairement au Québec, cette évolution législative est perçue par le reste du Canada comme une entrave liberticide. Le candidat de gauche aux dernières élections fédérales, Jagmeet Singh, n’a cessé d’apparaître en public avec son turban sikh.
La question de l’école et celle du voile
C’est inimaginable en France car nous considérons que la religion relève du privé et que la neutralité s’impose à l’ensemble du personnel politique. Historiquement, la loi de 1905, qui garantit la liberté de conscience, n’a jamais eu vocation à interdire l’expression religieuse dans l’espace civil, dans les rues, dès lors que celle-ci ne trouble pas l’ordre public.
Mais je note deux exceptions : dans les établissements scolaires, la neutralité ne s’impose pas qu’aux fonctionnaires mais aussi aux élèves depuis 2004, les auditions de la commission Stasi ayant mis en relief les pressions diverses exercées sur des mineures. La deuxième concerne le port du voile intégral. Considéré par d’autres démocraties comme un signe religieux banal, la France au contraire interdit la dissimulation du visage dans l’espace public depuis 2010 au nom de la dignité des personnes et de la sécurité, estimant que ce voile total porte « atteinte aux exigences minimales de la vie en société. » Cela ne s’est pas fait au nom de la laïcité, mais l’État a théoriquement banni cet uniforme de l’espace public.
La laïcité ne doit pas profiter à l’intégrisme
La crispation autour du voile provient de ce que la réalité planétaire de l’islam est particulièrement anxiogène. Voyez le Moyen-Orient, le Proche-Orient, le Maghreb, l’Afrique, l’Asie ou le Golfe persique. Là où ce monothéisme est majoritaire, les libertés que nous jugeons essentielles en Europe, et singulièrement en France, ne sont pas respectées.
Indépendamment des attentats, c’est le contexte global qui entraîne une défiance à l’égard de l’envoilement des femmes, qui n’a par ailleurs jamais été aussi spectaculaire qu’aujourd’hui , cet envoilement n’étant pas perçu, à la différence du sari ou du boubou, comme un simple vêtement traditionnel mais comme un étendard intégriste. Et si la laïcité n’implique pas de gommer les signes religieux dans l’espace public, il est du devoir des pouvoirs publics de s’attaquer aux racines de l’intégrisme pour le combattre.
Non, la laïcité, telle qu’elle découle de notre histoire et telle qu’elle est traduite dans notre droit, implique seulement la neutralité de ceux qui exercent une mission de service public. Eux doivent masquer tout signe religieux, mais pas les autres citoyens ou usagers (à l’exception des élèves des écoles et établissements scolaires publics, qui, parce qu’en phase d’apprentissage, ne peuvent porter de signes ostensibles).
La laïcité, garante de la paix et de l’égalité civile
Ne l’oublions pas, la laïcité a été pensée en France à la suite de plusieurs siècles de guerres de religion, de persécutions et de discriminations de minorités. Elle s’est imposée pour notamment permettre la paix civile, en garantissant la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire, celle d’exprimer des croyances ou de les critiquer ; mais aussi en garantissant l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs convictions. Et ce, grâce à un État neutre et impartial, séparé des cultes qui ne peuvent lui dicter sa conduite, eux-mêmes indépendants du pouvoir politique afin d’éviter toute instrumentalisation.
Dans un État de droit, on n’interdit pas tout ce qui peut individuellement nous déplaire.
Cette définition originelle, c’est celle de Briand, de Jaurès ou de Clemenceau notamment. Mais certains s’y opposent et veulent étendre la neutralité à l’ensemble de la sphère publique, c’est-à-dire aux voies publiques, aux espaces verts et à tous les lieux ouverts au public. Or, cela aurait pour conséquence de rompre l’équilibre entre le nécessaire respect des règles de vie collective et la garantie des libertés individuelles. Même si le port de certains signes peut être l’objet de débats d’idées légitimes, dans un État de droit, on n’interdit pas tout ce qui peut individuellement nous déplaire.
Aller plus loin, ce serait ouvrir la porte à la subjectivité, rendant possible demain l’interdiction par principe et sans justification de toute conviction.
Aujourd’hui, toute manifestation de sa religion, y compris par le port de signes, peut être interdite s’il y a un trouble objectif à l’ordre public ou au bon fonctionnement d’un service. Aller plus loin, ce serait ouvrir la porte à la subjectivité, rendant possible demain l’interdiction par principe et sans justification de toute conviction.
Qui plus est, une telle démarche offrirait l’argument de la discrimination aux voix religieuses les plus extrémistes, et multiplierait, en réaction, les replis communautaristes contraires à notre modèle républicain.
Dans ce cadre, n’oublions pas ces mots d’Aristide Briand, alors rapporteur de la loi de 1905, prononcés à une époque où l’influence religieuse était — on l’oublie trop souvent — considérable : « Il ne faut pas fournir aux adversaires de la République des armes que demain ils puissent retourner contre elle. »
Le concordat de 1801 visait la paix religieuse en reconnaissant toutes les religions. La laïcité de 1905, qui lui succède, vise quant à elle la paix des consciences en séparant l’État de toutes les religions. Par conséquent, la République ne reconnaît aucun culte comme « religion officielle », elle assure à tous la liberté de conscience, et elle garantit à tous le libre exercice du culte.
La République protège pour tous la liberté de croire en une religion
Fait moins connu, comme l’indique l’article 31 de la loi de 1905, la République protège pour tous la liberté de croire en une religion, mais aussi la liberté de ne pas croire en une religion. Le principe de laïcité se traduit ainsi par la stricte neutralité de l’Etat en matière de croyances, et par conséquent la stricte neutralité des fonctionnaires, des administrations et des services publics sur ces questions.
Prenons quelques exemples. Un enseignant n’a pas le droit de prêcher une religion pendant son cours. Un hôpital n’a pas le droit d’accéder à l’exigence d’une usagère, au motif de sa foi, de n’être soignée que par des femmes. Une cantine scolaire n’a pas le droit d’accéder à la demande de parents d’élèves de modifier ses menus pour se conformer à leurs interdits alimentaires religieux.Lorsque les partisans de l’interdiction du port de signes religieux dans l’espace public invoquent la laïcité, ils opèrent donc un détournement de ce principe. Ils ne défendent pas la laïcité, qui est un principe de neutralité spirituelle de l’Etat. Ils promeuvent la pseudo-laïcité, qui est une exigence de neutralité spirituelle de la population.
Le même mécanisme d’usurpation de la laïcité par les pseudo-laïcs
De fait, année après année, se répète le même mécanisme d’usurpation de la laïcité par les pseudo-laïcs. Ils procèdent généralement en trois temps. D’abord ils répètent en boucle, même si c’est faux, que telle pratique religieuse d’une partie des habitants dans l’espace public serait contraire à la laïcité. Ensuite une autorité officielle, généralement le Conseil d’Etat, finit par rappeler publiquement que c’est faux : sans se démonter, les pseudo-laïcs ripostent en réclamant une loi pour interdire cette pratique au nom de la laïcité. Enfin, sous l’effet de leur lobbying, une loi est votée à l’Assemblée qui interdit cette pratique, en invoquant à tort le principe de laïcité. Ainsi, de fil en aiguille, nouvelle loi après nouvelle loi, la laïcité est-elle défigurée.