Projet de loi contre le séparatisme : Pourquoi tant de bruit ?

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Depuis lundi 1er février, le projet de loi “confortant le respect des principes de la République”, aussi appelé “contre le séparatisme” est discuté à l’Assemblée Nationale. Ce projet de loi fait suite à l’assassinat à Conflans du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020 et vise principalement à lutter contre l’islam radical.  

Ce projet, qu’est-ce qu’il contient ?

Selon le gouvernement, le but de ce projet de loi est de “renforcer les principes républicains” dans divers aspects de la société française. Couvrant un champ très large, il légifère sur les associations cultuelles, l’éducation à domicile, le séparatisme, la polygamie ou encore le mariage forcé. Fort de 70 articles et ayant fait l’objet de près de 2650 amendements, les débats à l’Assemblée Nationale sont électriques. 

L’une des mesures les plus épineuses concerne la restriction de l’instruction en famille afin de lutter contre le séparatisme scolaire de l’islam radical. Ainsi, une première version de la loi souhaitait interdire purement et simplement l’éducation à domicile pour les enfants de 3 à 16 ans, sauf exceptions délivrées annuellement. Pourtant, après consultation du Conseil d’Etat, cet article a été adouci. L’instruction en famille serait ainsi soumise à autorisation, et non plus à déclaration comme c’est le cas aujourd’hui et les parents devront motiver leur demande, par exemple en présentant un projet pédagogique. 

Point majeur du texte, ce projet de loi élargit également le contrôle des associations soumises à la loi de 1901 et les motifs de dissolution. Elles devront par ailleurs signer un contrat de respect des principes et des valeurs de la République pour faire une demande de subvention. 

Les associations cultuelles, plus particulièrement, sont visées par ce texte. Une procédure de déclaration d’association cultuelle en préfecture est instaurée et de nouvelles règles comptables sont imposées, comme par exemple la déclaration des dons venant de l’étranger d’un montant de plus de 10 000 euros. Une interdiction de paraître dans un lieu de culte pourra être prononcée par le juge “en cas de condamnation pour provocation à des actes de terrorisme ou provocation à la discrimination, la haine ou la violence”. Par ailleurs, des mesures incitatives sont mises en place pour pousser certaines associations gérant des lieux de culte à se déclarer comme association cultuelle afin de les faire passer sous le régime de la loi de 1905, sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, plutôt que sous celui de la loi de 1901, relative à la liberté associative. En contrepartie, les associations cultuelles pourront tirer des revenus de biens immobiliers issus de dons.

Parallèlement, suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, un délit de séparatisme est créé, puni de 4 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour sanctionner “les menaces, les violences ou tout acte d’intimidation” à l’encontre des agents chargés du service public « dans le but de se soustraire aux règles régissant le fonctionnement d’un service public« . Conséquence directe de l’assassinat du professeur Samuel Paty, le texte vise également la haine en ligne. Une de ses dispositions dite “article Samuel Paty” crée ainsi un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cet article a été adopté par l’Assemblée Nationale mercredi 10 février. En outre, le texte de loi affirme l’inclusion des délits relatifs à l’apologie du terrorisme dans le fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), induisant une interdiction pour ses auteurs d’exercer dans la fonction publique.

Le texte englobe aussi la neutralité du service public, principe fondamental du droit administratif français érigé par la jurisprudence du Conseil d’Etat. La neutralité religieuse des agents du service public pourrait désormais être inscrite dans la loi. Cela signifie que le préfet, sous contrôle du juge administratif, pourrait suspendre ou neutraliser les actions d’une collectivité méconnaissant cette neutralité religieuse. 

Enfin, ce projet de loi pénalise les professionnels de santé établissant des certificats de virginité à hauteur de 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement et renforce l’arsenal législatif luttant contre la polygamie et contre les mariages forcés. 

Enfin, si une grande part du débat s’est cristallisée autour de la question du port du voile dans l’espace public, rien n’a officiellement été acté à ce sujet. Cet élément a en revanche été soulevé par les Républicains et par la députée LREM Aurore Bergé qui a proposé d’interdire le port du voile chez les mineures dans l’espace public.

Pourquoi est-ce qu’il fait polémique ?

Ce projet de loi est considéré par beaucoup comme marquant un tournant régalien dans le quinquennat d’Emmanuel Macron et les termes forts utilisés par le gouvernement pour défendre ce texte appuieraient cette hypothèse. « Notre pays est malade d’un séparatisme, dont le premier d’entre eux, l’islamisme, gangrène notre unité nationale », a déclaré le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. « Il faut savoir nommer la maladie, il faut trouver les médicaments ».

Ce texte est en effet décrié comme mettant en danger la liberté de culte, la liberté d’association et la liberté d’enseignement. La Défenseure des Droits, Claire Hédon a souligné un “risque de conforter une tendance générale (…) au renforcement global de l’ordre social” et a regretté la “facilité apparente de la restriction des libertés”. Elle dénonce également l’obligation de signature d’un contrat de respect des valeurs de la République dans le cadre d’une demande de subvention des associations, ce qui placerait celles-ci “dans une position où il ne leur est plus simplement demandé de ne pas commettre d’infraction, mais aussi de s’engager positivement et explicitement (…) sur des principes qui sont ceux de la puissance publique”. De la même manière, jeudi 4 février, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a suivi cet avis en dénonçant des “mesures disproportionnées qui portent atteinte aux libertés fondamentales”.

Dans le débat politique, la majorité comme l’opposition sont divisées sur ce texte. 

La gauche accuse le gouvernement de vouloir stigmatiser les musulmans à travers des mesures discriminatoires. L’article dit “Samuel Paty” créant un délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion, dans un but malveillant, d’informations relatives à la vie privée est pointé du doigt par le député socialiste Boris Vallaud comme instituant un “délit d’intention”. De plus, cette disposition est accusée de reprendre officieusement le controversé article 24 de la proposition de loi de Sécurité Globale sur l’image des policiers. 

La droite souhaite, quant à elle, recentrer le débat sur le port de signes religieux ostentatoires dans l’espace public et sur l’immigration, considérant que le projet de loi comporte de grosses lacunes. Les Républicains ont ainsi présenté un contre-projet de loi de 40 propositions “alternatives et complémentaires au projet de loi actuel” selon les mots de Damien Abad. Très critique, celui-ci a également dénoncé un texte déséquilibrant la loi de 1905 à l’origine du principe de la laïcité.

Ainsi, personne ne semble s’entendre sur ce texte et la majorité est plus divisée que jamais sur cette loi qui apparaît comme le dernier grand projet législatif du quinquennat d’Emmanuel Macron. Le contexte est d’autant plus difficile que cela fait suite à la polémique inachevée sur la loi de Sécurité Globale à l’origine de nombreuses indignations. En France comme à l’étranger, le tournant sécuritaire du président français interroge de plus en plus, à à peine plus d’un an des élections présidentielles. 

Sources : Le Monde, Le Figaro, France24, franceinfo, La Croix, Le Parisien, le HuffPost, Libération, Le Point, Les Echos, Courrier International.

 

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