Héros qui regarde la ville depuis une montagne

La méritocratie est-elle un mythe ?

📋  Le contexte  📋

La méritocratie est une hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel. Le mot est utilisé pour la première fois en 1958 par Michael Young dans son ouvrage The Rise of the Meritocracy. Ce système présuppose la création et le maintien de l’égalité des chances à travers l’éducation et l’accès à l’emploi.

En France, on parle d’égalité des chances depuis la Révolution de 1789. Le recrutement par concours dans les grandes écoles ou dans la fonction publique depuis le XVIIIe siècle ou encore la création d’un collège unique pour tout les jeunes élèves en 1975 sont des exemples de mesures mises en place pour favoriser l’accès de tous à l’éducation.

La méritocratie permettrait de rebattre les cartes : peu importe de quel milieu social on vient, on devrait pouvoir en changer et accéder à l’élite grâce au mérite individuel. C’est aussi appelé “l’ascenseur social”. Huit catégories socio-professionnelles (CSP) ont été définies par l’INSEE pour mesurer l’évolution de la structure sociale française.

La mobilité structurelle représente la circulation des individus entre différentes positions de la hiérarchie sociale, et mesure la qualité de l’égalité des chances, qui nous permet de tendre vers l’idéal méritocratique. On parle d’immobilité structurelle lorsqu’une part grandissante de la population appartient à la même CSP que celle de ces parents.

Peut-être avez-vous déjà entendu autour de vous l’expression “L’ascenseur social est en panne”. Selon un rapport de l’OCDE de 2019, en France, il faudrait 6 générations aux descendants d’une famille située dans les 10 % les plus pauvres pour atteindre le revenu moyen dans la société. C’est l’un des plus mauvais résultats de l’Union Européenne. 

Les détracteurs de la méritocratie l’accusent d’entretenir une illusion d’égalité des chances, ce à quoi les défenseurs de la méritocratie répondent qu’on ne devrait pas jeter l’opprobre sur un pilier républicain et dénoncent le ralentissement de l’activité économique depuis les années 1970 comme coupable de cette immobilité structurelle grandissante.

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Le « Pour »
Marie Duru-Bellat
Professeur d’université émérite à Sciences Po, sociologue, spécialiste des inégalités (auteure de « Le mérite contre la justice », Presses de Sciences Po, 2019)
Le mérite, bien utile mais fort discutable

Toutes les sociétés ont besoin de mythes qui donnent un sens à leur existence. Dans les démocraties, nous posons que tous les individus sont égaux et que les inégalités qui subsistent en leur sein doivent être justifiées. On admettra que certains accèdent à des positions plus confortables à tous égards si et seulement si cela s’explique par les efforts et les talents qu’ils ont dû mobiliser pour cela. Efforts et talents, c’est ce qu’on va étiqueter comme le mérite, et le règne du mérite, c’est la méritocratie, qui depuis la Révolution et l’Ancien Régime, vient se substituer à l’aristocratie.

La méritocratie est sans conteste un mythe mobilisateur : si nous nous donnons du mal, nous serons récompensés. Mais comment va-t-on évaluer le mérite de chacun ? Nous renvoyons cette tâche à l’école, chargée de détecter les inégalités de mérite et de classer les élèves en conséquence, chaque génération sortant inégalement diplômée et se positionnant ainsi pour des emplois inégalement gratifiants.

Ce classement censé juste se fait pourtant de manière très discutable : on évalue les élèves à l’aune de performances dans des matières scolaires pointues, sur la base de contenus définis par des spécialistes, et pondérées selon une alchimie jamais débattue.

De plus, ces classements débouchent sur des inégalités sociales très précoces difficilement explicables par le seul mérite : qui dirait que les enfants de milieu défavorisé qui peinent à l’école primaire sont peu méritants ? De même, qui dirait que les élèves dont les parents choisissent telle option ou tel établissement pour optimiser leur cursus scolaire sont particulièrement méritants ? Il faut y croire, et tout le fonctionnement de l’école vise à entretenir ce mythe : le leitmotiv est qu’il faut et qu’il suffit de travailler pour réussir et que par conséquent, ceux qui réussissent sont ceux qui ont bien travaillé !

Et ce message est entendu : les plus diplômés penseront qu’ils doivent leur devenir scolaire, universitaire puis professionnel à leur mérite, alors que ceux qui ont échoué estimeront qu’ils auraient dû mieux travailler à l’école…. Personne n’aime se dire qu’il doit sa trajectoire à son milieu d’origine ou à la chance : dans les sociétés modernes d’aujourd’hui, toute personne est sommée de tracer sa route, d’affirmer sa personnalité, d’être authentique, et de mériter son sort. Croire que la méritocratie règne est alors un mythe, bien pratique et confortable, qui justifie les inégalités.

Le « Contre »
Pierre Mathiot
Directeur de l'IEP de Lille
Croire en un mythe pour en faire une réalité

On m’a demandé de défendre l’idée que la méritocratie n’était pas un mythe, vaste programme ! C’est sans doute aussi difficile à faire que de tenir un discours pro-entreprise devant des militants LFI ! Essayons néanmoins.

Le mot méritocratie a sans doute perdu son sens, tellement d’ailleurs qu’on l’utilise presque comme un mot valise. Il n’en reste pas moins qu’il a encore quelques restes et de beaux restes.

Ainsi je pense être, modestement, le résultat de cette méritocratie républicaine, de cette dynamique qui a fait que, provincial, enfant de parents qui n’avaient pas le bac, j’ai eu la possibilité —la chance aussi sans doute— de grimper quelques échelons pour accéder à une position sociale « aberrante » au vu de mes origines. A cette aune, la méritocratie existe et je connais autour de moi des personnes qui, d’une manière ou d’une autre, se sont extraites de leurs conditions et peuvent elles aussi se réclamer sinon de la méritocratie au moins d’un parcours méritocratique.

A cette réalité des parcours méritocratiques, et même si on est sans doute incapables de les quantifier faute d’indicateurs et de méthodes, s’ajoute la nécessité pour une société comme la nôtre de se doter de mythes qui présentent une forme de succès. Un peu comme ce que Max Weber mettait en avant avec la notion de prophétie auto-réalisatrice. A force d’entendre dire autour de soi que des parcours méritants sont possibles, des parcours méritants peuvent le devenir…. Sans doute trop peu, sans doute en laissant à l’écart des catégories de population mais néanmoins un certain nombre, année après année, donnant corps et « réalité » au mythe.

Et puis la méritocratie est une réalité lorsque l’on regarde les concours dont la réussite donne une dimension dynamique au mythe. Bien entendu les statistiques d’accès aux grandes écoles ou aux grands corps de l’Etat n’aident pas à l’optimisme tant elles montrent le poids des déterminismes socio-culturels et territoriaux. Il n’en reste pas moins que derrière les chiffres il y a aussi des réussites individuelles absolument méritocratiques, sans doute d’autant plus remarquables qu’elles sont rares et donc distinctives.

Si l’on veut ébrécher encore plus le mythe, montrer avec encore plus de force que le mythe ne peut plus être un mythe, il faut sans doute être plus efficace, faire système contre la reproduction.

Vaste programme.

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