📋 Le contexte 📋
L’écriture inclusive est une manière différente d’écrire la langue française, jugée inégalitaire et discriminante par ses défenseurs.
Elle désigne ainsi l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes dans la langue.
L’agence Mots Clés a formalisé trois conventions d’écriture dans son Manuel d’écriture inclusive :
- Accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres
Exemples : « présidente », « directrice », »chroniqueuse », « professeure », « intervenante », etc. - User du féminin et du masculin, par la double flexion, l’épicène ou le point milieu
Exemples : « elles et ils font », « les membres », « les candidat·e·s à la Présidence de la République », etc. - Ne plus mettre de majuscule de prestige à « Homme »
Exemple : « droits humains » ou « droits de la personne humaine » plutôt que « droits de l’Homme »
La règle du « masculin l’emporte sur le féminin » est également remise en cause pour le retour de l’accord de proximité.
Exemple : « les garçons et les filles sont égaux » devient « les garçons et les filles sont égales »
Sources : http://www.ecriture-inclusive.fr/
Malgré la loi sur la parité dans les conseils d’administration, la création du haut conseil à l’égalité et des dispositions diverses sur l’égalité salariale, de nombreuses inégalités subsistent. L’écriture inclusive veut ainsi s’attaquer au langage qui contribue au changement des mentalités, symbolise un point de vue sur la réalité et une manière de voir le monde.
Cette égalisation de la langue est cependant loin de faire l’unanimité. Pour ses détracteurs, et notamment l’Académie française, l’écriture inclusive est jugée trop compliquée et illisible. On lui reproche également de ne pas faciliter l’apprentissage de la langue pour les étrangers ou encore d’être un « faux combat féministe ». Récemment, le premier ministre du gouvernement, Edouard Philippe souhaite l’interdire dans les textes officiels.
Pesons aujourd’hui le POUR et le CONTRE !
🕵 Le débat des experts 🕵
Ce qu’on est en train de vivre a commencé à la Révolution française. Les femmes révolutionnaires ont transmis à l’Assemblée nationale, peu après le fameux 4 août 1789, une Requête des Dames, sous forme de projet de décret, avec dix articles. Le troisième était rédigé ainsi : « le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles ». Voilà. Ces femmes, considérées comme des mineures à vie, mettaient sur le même plan, dans leur requête : droit de vote, d’être élues, droit au divorce, accès à la magistrature, à l’éducation, à l’armée, droit de porter le pantalon et … qu’on abolisse les privilèges du masculin même dans la grammaire. Bref, elles mettaient les luttes symboliques au même niveau que toutes les luttes pour l’égalité. Il faut dire qu’elles étaient plus près que nous du 17ème siècle, de l’époque où une poignée d’hommes remplis de mépris pour les femelles s’étaient regroupés en groupuscule d’influence, avaient gagné le soutien de Richelieu qui voulait mieux contrôler les lettres, s’étaient donné le nom d’Académie et avaient décrété que le masculin était le genre noble et devait l’emporter sur le féminin, par tous les moyens. Ils avaient notamment trituré la grammaire et modifié des règles d’accord, pour masculiniser au maximum le français. Malheureusement, il a été plus facile de vaincre la monarchie que d’abolir les privilèges masculins. Les « droits de l’homme » en 1789 n’ont profité qu’aux hommes. La langue a participé aux rapports de force : quand les femmes n’avaient pas le droit de faire des études, la pharmacienne était la femme du pharmacien. Elles ont ensuite été tolérées à devenir « pharmaciens » avant de pouvoir s’appeler « pharmaciennes », comme pour n’importe quel métier. Qui peut encore gober que le masculin est neutre ? Qui dirait qu’Isabelle Huppert est un acteur français ? Le reste suivra : il n’y avait pas de raison d’interdire l’accord avec le mot le plus proche au nom de la supériorité du masculin. L’accord de voisinage a subsisté dans toutes les langues romanes. Il était encore fréquent au 19ème siècle en français mais a cessé d’être enseigné, pour des raisons idéologiques. Il faut l’enseigner à nouveau, c’est facile. Ecrire les « étudiant•es » n’est qu’une abréviation pour montrer la mixité d’un groupe. Et oui, le masculin permet mal de penser la mixité. Ça se lit « les étudiantes et les étudiants », pas de quoi s’étouffer.
Sinon, le 😘 ça se lit comment ?
Pour aller plus loin sur le sujet, vous pouvez également lire cette autre tribune, signée par une dizaine de linguistes universitaires sur la revue Ballast : ici.
Une langue est le produit d’une société et le reflet des rapports sociaux… pas un outil pour les faire évoluer. Il serait trop facile – et totalement contre-productif – de rejeter sur l’orthographe nos propres responsabilités. Prétendre vouloir aider la cause des femmes en saupoudrant les phrases de « .e.» et de «eur.rice» serait se tromper de combat et s’acquitter à bon compte du devoir de transformation de la société. C’est bien moins l’orthographe que le quotidien, la répartition des tâches dans la famille, les rôles alloués aux hommes et aux femmes dans la publicité ou dans le contenu de nos programmes scolaires qui nourrissent les stéréotypes. Le langage texto, utilisé depuis plus de 10 ans par les jeunes, et faisant fi de tout accord, a-t-il contribué à réduire le sexisme ? A l’heure où l’on songe de plus en plus à revenir aux fondamentaux dans le primaire pour pallier les difficultés des élèves à maîtriser notre langue, serait-il bien raisonnable de créer de nouvelles contraintes, au détriment de la lisibilité, de la fluidité… et finalement du plaisir de l’expression ? Si l’on voulait encore davantage détourner les jeunes de la lecture et de l’écriture, on ne s’y prendrait pas autrement ! Pour rester vivante, la langue doit demeurer un moyen de communication efficient, comme l’ont souligné les Immortels de l’Académie française en dénonçant un « péril mortel ». Ce qui est vrai en France l’est encore plus à l’international et pour moi qui voyage aux quatre coins du monde et y entend des plaintes sur les difficultés supposées de l’apprentissage du français, je ne pourrais me résoudre à accepter une complexification qui découragerait encore davantage les étudiants et amoureux potentiels du français et de la Francophonie. Alors que notre langue résiste avec courage aux ambitions hégémoniques de l’anglais et à la percée d’autres langues comme le chinois, ne l’assassinons pas en l’affublant d’oripeaux qui la rendraient disgracieuse et difficile à pratiquer. Il ne s’agit donc pas de refuser par conservatisme ou par nostalgie du passé toute évolution de notre langue, mais au contraire de s’engager pour l’avenir de celle-ci, pour qu’elle demeure ce que l’on attend avant tout d’une langue : un outil maniable et plaisant de transmission et d’échange. C’est par l’usage qu’en font ses locuteurs qu’une langue évolue, pas par le diktat idéologique de quelques technocrates – fussent-ils animés des intentions les plus louables.