Photo du panneau Pôle Emploi

La réforme de l’assurance chômage est-elle juste ?

📋  Le contexte  📋

L’assurance-chômage a été créée en 1958 dans le but de protéger les salariés du secteur privé et certains du secteur public en cas de perte d’emploi. Elle permet le versement d’une allocation ainsi qu’une aide pour retrouver un travail. Comme son nom l’indique, elle fonctionne tout d’abord comme une assurance en permettant une indemnisation en fonction de l’ancien salaire perçu. L’assurance-chômage est aussi solidaire, puisqu’elle mutualise les risques. Elle est obligatoire pour les employeurs du privé (et certains du public), qui cotisent, pour protéger leurs salariés à hauteur de 4,05% du salaire brut (mai 2020). L’Etat aussi verse une part de l’impôt dans l’assurance-chômage. Elle est présentée comme un “stabilisateur économique et social” par l’Unédic. 

Depuis sa création, l’assurance-chômage a été transformée de nombreuses fois. La réforme est en fait partiellement entrée en vigueur en novembre 2019 et avait été suspendue en raison de la crise sanitaire. La principale mesure reportée concernait le Salaire journalier de référence (SJR), son nouveau mode de calcul servant de base à celui de l’allocation chômage. Il sera appliqué à partir du 1er juillet 2021 (suite au décret du 30 mars 2021). Aujourd’hui, le SJR est calculé sur la base de tous les salaires d’une période donnée (12 mois civils), qui sont additionnés et divisés par le nombre de jours travaillés. Suite à la réforme, la base serait une période de 24 mois précédant l’inscription à Pôle emploi, les salaires sont toujours additionnés mais la division concernerait le nombre total de jours (et donc les jours non travaillés également).  

 

Présentée comme une façon de réaliser des économies et de lutter contre la précarité par le gouvernement (car elle limiterait, entre autres, le recours aux contrats courts et ouvrirait le droit au chômage aux salariés démissionnaires souhaitant monter un projet ainsi qu’aux indépendants), cette réforme est pourtant au cœur de nombreuses critiques. C’est surtout autour du changement du mode de calcul du Salaire journalier de référence que les tensions sont les plus importantes : plusieurs syndicats ont montré qu’en intégrant d’éventuelles périodes d’inactivité au calcul, le SJR peut diminuer. Un rapport de l’Unédic publié début mai montre qu’il est possible qu’à temps de travail et à salaire égal, l’indemnité journalière touchée puisse varier avec des écarts d’un à cinquante. Les inégalités de traitement pourraient donc augmenter

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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La réforme de l'assurance-chômage est-elle juste ?
Le « Pour »
Franck Malherbet
Professeur d’économie à l’ENSAE et chercheur au CREST
La nécessaire réforme de l’assurance chômage

Selon les prévisions les plus récentes de l’Unedic, le régime d’assurance chômage français devrait accuser un endettement net de l’ordre de 70 milliards d’euros fin 2022. Ce chiffre traduit pour partie, le poids exceptionnel que la pandémie a fait supporter au régime d’assurance chômage. Pour autant avec une dette de près de 37 milliards en 2019 et un déficit annuel moyen de 3 milliards entre 2009 et 2019, le régime d’assurance chômage est structurellement déficitaire.

Les réformes successives du régime d’assurance chômage voulues par les partenaires sociaux ont considérablement favorisé le développement des emplois précaires, notamment par l’intrication complexe de l’activité réduite, des droits rechargeables et du mode de calcul des allocations. Cette précarisation se manifeste par un phénomène de permittence où les travailleurs alternent des périodes d’emploi de (très) courte durée en CDD, souvent chez le même employeur (en 2019, le taux de réembauche en CDD chez le même employeur est de l’ordre de 45%), et des périodes d’indemnisation. Cette fragmentation est coûteuse et ce d’autant plus que le mode de calcul des allocations est très favorable aux contrats courts. Rappelons que le salaire journalier de référence (SJR) qui sert de base au calcul des allocations ne prend aujourd’hui en compte que les jours travaillés. Ainsi pour une même quotité de travail et des revenus moyens égaux, un travailleur en CDI à mi-temps bénéficiera d’une allocation beaucoup moins généreuse qu’un travailleur en permittence. Le principe de proportionnalité entre contribution et indemnisation est alors rompu, et l’assurance chômage devient un instrument de redistribution.  

La réforme de l’assurance chômage qui entrera partiellement en vigueur le 1ier Juillet 2021 repose sur deux modalités phares.  Tout d’abord, un nouveau mode de calcul des allocations. Le SJR sera désormais calculé à partir du revenu mensuel moyen et intégrera donc les jours non travaillés. Ce nouveau mode de calcul des allocations est plus juste puisque à quotité de travail équivalente l’indemnisation, et ce quelle que soit la nature du contrat, sera identique. Toujours selon ce principe, la durée d’indemnisation des travailleurs titulaires de contrats courts augmentera. La seconde modalité consiste en l’introduction d’un système de bonus-malus. Il s’agit selon le principe du pollueur-payeur de moduler les cotisations patronales à l’assurance chômage des entreprises en fonction du nombre de séparations, et plus particulièrement des fins de contrat à durée déterminée. 

La réforme de l’assurance chômage en s’attaquant à la segmentation du marché du travail va clairement dans le bon sens. L’instauration d’un bonus-malus en est une illustration mais ne doit cependant pas occulter que cela ne concerne qu’un nombre très limité de secteurs. Enfin, alors que le marché du travail a été particulièrement déstabilisé par la pandémie, on peut s’interroger sur la date choisie de mise en application de la réforme.

 

Le « Contre »
Elie Lambert
Secrétaire national de l'union syndicale Solidaires
Pour l'abrogation de cette réforme d'une violence sociale inouïe !

Loin d’être à la hauteur des enjeux pour combattre la misère, il est en réalité indispensable d’abroger la réforme prévue de l’assurance chômage. Cette réforme poursuit en réalité un seul but : faire des milliards d’euros d’économies en réduisant les allocations des chômeurs.euses en allongeant la durée d’affiliation nécessaire en passant à 6 mois sur les 24 derniers mois au lieu de 4 sur les 28 derniers mois et en modifiant le calcul du salaire journalier de référence en y intégrant désormais les périodes non travaillées donc non rémunérées.

Le résultat prévisible, même par l’UNEDIC, est une catastrophe pour plus d’un million de chômeurs.euses, qui vont voir leurs allocations chômage baisser de 20% en moyenne, quand bien même le gouvernement compte introduire un « plancher » pour que la perte ne dépasse pas 43 % des allocations antérieures et ce, même s’il prétend rallonger la période d’indemnisation. C’est dire si l’UNEDIC lui-même démontre que la réforme n’est pas « à la hauteur ». Tout cela pour économiser un milliard d’euros sur les 38 que va devoir dépenser Pole emploi en allocations chômage en 2021. Il s’agit comme toujours de fragiliser encore plus la protection sociale des chômeurs.euses pour les obliger à accepter n’importe quel travail sous-payé, tout en servant de moyen de pression sur les travailleurs.euses ayant encore un emploi, afin d’augmenter les profits du système capitaliste.

L’hypocrisie du gouvernement est d’ailleurs évidente lorsqu’il prétend lutter parallèlement contre le recours aux contrats courts par les entreprises, en introduisant pour ce faire un « bonus-malus », donc un mécanisme de taxation pour celles qui y auraient trop fréquemment recours, alors que ce mécanisme ne concernera que les contrats de moins d’un mois et qu’il ne sera éventuellement introduit qu’à compter de septembre 2022 ! Donc post élections présidentielles autant dire aux calendes grecques. Alors que pour les chômeurs.euses, la réforme interviendra elle, dès juillet 2021 ! Sans oublier les indemnités dégressives pour les revenus des cadres dès le 7ème mois, il n’y a pas de doute, cette réforme est nocive pour tout le monde ou presque ! D’ailleurs le gouvernement rétropédale depuis quelques jours en proposant un correctif pour les femmes ayant eu un congé maternité et les salarié-es en activité partielle qui étaient lésés : c’est dire si la réforme voulue à hue à dia par Macron est contestable ! C’est dans cette perspective que Solidaires et la CGT, ont décidé de la contester devant le Conseil d’Etat de manière à en obtenir la censure complète.

 

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