L’affaire Lola, vue (et déformée) par les médias

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

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Prendre le temps d’analyser

Depuis une semaine, le meurtre de la collégienne Lola est dans tous les cœurs, les discours et les journaux. Les médias révèlent le 15 octobre la découverte du corps de Lola après que ses parents aient signalé la veille, au commissariat du 19eme arrondissement de Paris, sa disparition. Suite à cela, six personnes sont placées en garde à vue, avant que quatre d’entre elles ne soient relâchées. Le meurtre de cette jeune fille de 12 ans fait l’objet d’une médiatisation imposante, mêlant rumeurs et récupérations politiques.

Comme vous avez peut-être pu le remarquer dans notre dernière mise en presspective, le traitement journaliste n’est pas et ne saurait être neutre. Il est alors important de comprendre plus en profondeur comment certaines informations erronées ont circulé et quel angle a été choisi pour en parler. Dans cet article, on vous propose de prendre le temps d’analyser le traitement médiatique de cette affaire. 

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Première page de Google Actualité le 21/10/22 à 17h20

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Nous ne connaissons pas les détails du dossier

À l’issue des premières gardes à vue, une information judiciaire a été ouverte pour “meurtre sur mineure », « viol commis avec actes de torture et de barbarie » et « recel de cadavre”. Toujours selon le communiqué de la procureure, la principale suspecte aurait évoqué pendant un entretien des atteintes à caractère sexuel qu’elle aurait commises sur la jeune fille.

On lit aussi que ces déclarations sont “fluctuantes […] oscillant entre reconnaissance et contestation des faits”. Il aurait alors été prudent de garder une certaine distance face à ses aveux au regard du premier examen médical qui a été effectué et d’attendre la prochaine déclaration officielle. Il faut noter que dans le cadre d’une information judiciaire, on prend la qualification la plus grave possible, dans le cas des violences sexuelles c’est donc le viol. Il est possible que cette qualification soit modifiée au cours de l’enquête. 

Des titres sans nuance

Pourtant, malgré l’incertitude des actes commis sur Lola, certains journaux n’ont pas hésité à parler de viol dans leur titre. C’est le cas de la Dépêche qui titre son article du 18/10 : “Meutre de Lola : enlèvement, viol, coups, asphyxie, déplacement du corps… le scénario sordide d’une vengeance pour un motif futile”.

Le Dauphin Libéré titre le même jour “Meutre et viol : la principale suspecte incarcérée, ce que l’on sait”. Si ces deux articles évoquent, bien plus bas, le fait que l’examen n’ait pas révélé de “lésions traumatiques sur l’ensemble de la sphère sexuelle”, le titre fait réagir et a des conséquences. Il a été montré dans une étude que 59% des liens partagés sur Twitter ne sont pas lus. Beaucoup de personnes s’arrêtent ainsi sur le titre ou le résumé d’un article se faire leur opinion. Bien sûr, ces deux journaux ne sont pas les seuls à tenir ce genre de propos. Valeurs actuelles, le 19 octobre, écrit dans son chapeau “Lola a été enlevée, torturée, violée et sauvagement assassinée”.

Les médias actuels s’insèrent ainsi dans une infobésité constante (excès d’information propre à l’ère du numérique), qui face à une compétition grandissante tentent d’attirer le plus de public. On veut en parler, on veut être lus, on veut que les gens cliquent sur notre article.

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Article publié le 18/10/22

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Le trafic d’organes n’a jamais été évoqué

Une autre rumeur n’a de cesse d’être partagée sur les réseaux sociaux et dans les journaux : la piste du trafic d’organes. Pourtant, dans le communiqué de la procureure, il est bien spécifié : “Elle n’évoquait pas devant les enquêteurs le moindre échange au sujet de ventes d’organes qu’elle aurait eu avec d’un des témoins ». Mais la machine de l’information est lancée. Plusieurs journaux comme le JDD, Le Figaro, Sudinfo, ou encore Le Point l’évoquent sans détour.

Dans l’article du Point du 17 octobre, on lit par exemple “Elle a alors proposé à cet homme de l’argent en échange d’une aide autour d’un trafic d’organes. Pour le moment, la piste privilégiée est celle d’un meurtre “gratuit et insensé sur fond de marginalité”. ” Le fait d’énoncer cette hypothèse alors que les autorités la démentent pose la question d’une éthique journalistique chancelante. Évoquer qu’une autre piste est privilégiée n’empêche pas la rumeur du trafic d’organes de circuler. On peut également se demander ce que signifie “fond de marginalité”.

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Article publié le 17/10/22

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L’hypothèse d’un rite satanique démentie

Les examens médicaux ont aussi évoqué un 1 et un 0 inscrit sous les pieds de la victime. Il n’en fallait pas plus pour que certains parlent de rite satanique. Le 16 octobre, un consultant police-justice de BFM évoque sur le plateau: “Une espèce de mystère, deux chiffres qui ont été découverts à l’intérieur de la malle, sur le corps de Lola, un 1 et un 0. Est-ce que c’est une espèce de meurtre satanique? C’est encore trop tôt pour le dire.

La rumeur est à peine lancée et la voilà déjà reprise sur les réseaux et dans certains médias. Public titre ainsi son article du 20 octobre : “Meutre de Lola: “Il y avait le chiffre 1 sur la plante de son pied”, un magistrat évoque la piste satanique!”. Ce média reprend alors les conclusions erronées du magistrat Georges Fenech, invité la veille sur TPMP.  Des rumeurs pourtant contestées trois jours plus tôt par l’avocat de la principale suspecte, Maître Silva,  qui avait déclaré : “Il faut donc que ces rumeurs cessent et que l’on essaie de penser (…) à l’horreur que traverse la famille de la victime et il n’est pas nécessaire de les accabler avec des élucubrations de cette sorte.” 

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Emission du 16/10/22

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Une récupération politique ?

Le 20 octobre, un rassemblement en hommage à Lola est organisé sur la place Denfert-Rochereau à Paris par l’Institut pour la justice. Un événement fortement relayé par les proches de l’ex-candidat d’extrême droite Eric Zemmour et non approuvé par la famille de la victime. Des slogans comme “Macron démission”, “Migrants assassins, politiques complices”, “Justice pour Lola” ont été scandés par les manifestants.

Depuis que l’origine algérienne de la suspecte a été révélée, on assiste en effet à une surmédiatisation de ce fait et  pour certains à une récupération politique. On ne parlera pas ici des propos  de nos politiciens mais de l’instrumentalisation des origines de la suspecte par les journaux. Le fait que Dahbia B. est une femme algérienne qui faisait depuis août “l’objet d’une obligation de quitter le territoire français” (OQTF) a déchainé les passions médiatiques. 

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Article publié le 19/10/22

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L’OQTF au centre des débats

Rentrée légalement en France en 2016 avec un visa étudiant, Dahbia B. avait été interpellée le 21 août dernier à l’aéroport pour “défaut de titre de séjour”. Étant donné qu’elle n’avait aucun antécédent judiciaire, sauf en tant que victime de violences conjugales, l’OQTF a été délivrée avec un délai de 30 jours. Cette information est alors vivement reprise par des médias affiliés à la droite et à l’extrême droite.

Valeurs actuelles dans son article publié le 20 octobre “Affaire Lola: massacre des innocents”, écrit dans son chapeau “Si une partie de la presse et du pouvoir pensaient pouvoir faire de l’ignoble meurtre de Lola un simple fait divers, l’immense émotion et la colère des Français face à ce nouveau crime de la diversité sont le signe d’une prise de conscience profonde de la folie migratoire qui menace le pays.” 

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Article publié le 20/10/22

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Le paysage médiatique scindé en deux

Quand sur CNEWS on entend Pascal Praud déclarer que “personne n’est aujourd’hui en sécurité dans ce pays”, on lit dans Causeur qu’une “politique régalienne ferme et efficace […] aurait permis d’éviter le viol et le meurtre de Lola”. Pourtant les parents de Lola, selon le maire de Fouquereuil Gérard Ogiez, “ne veulent surtout pas de récupération politique”. Ils se sont en effet isolés dans ce village du Pas-de-Calais en coupant leur téléphone et leur télévision. 

Après ces déclarations et une prise de conscience face à la tournure médiatique de ce drame, plusieurs journaux ont commencé à dénoncer les prises de position des politiques et de certains médias. Des articles comme “Meutre de Lola : digne émotion, indigne récupération” de Médiapart ou “Meurtre de Lola : comment l’extrême droite tente de récupérer l’affaire à son compte” de Franceinfo sont ainsi publiés. En quelques jours, on assiste alors à un paysage médiatique scindé en deux.

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Des centaines d’articles

Selon l’historienne Claire Sécail, interviewée par l’Obs, “les faits divers touchent et intéressent les publics en partie parce qu’ils reposent sur un processus d’identification et touchent le quotidien de nos vies […] Les meurtres d’enfants ont toujours suscité un émoi particulier.” Un fait que l’on remarque notamment par le nombre d’articles publiés en l’espace de quelques jours.

À titre d’exemples, BFM a ainsi publié 77 articles en une semaine, Valeurs actuelles 22 et Le Parisien 18 dans ce même laps de temps. Un rythme de publication qui doit être questionné vis-à-vis de la distance professionnelle prise par les journalistes. On peut également noter que ces articles, classés à l’origine dans la rubrique “Faits divers” par la plupart des journaux, rentrent rapidement dans les rubriques  “Société” et “Politique”.  Mais comment s’y retrouver dans ces centaines d’articles ? Voici quelques questions à vous poser pendant vos lectures :

  • Quel média est à l’origine de l’article? 
  • Quelle est sa date de publication ? 
  • Quel journaliste a écrit l’article ? Quelle est sa spécialité ? 
  • Quelles informations sont évoquées dans le chapeau ? Sont-elles validées ou démenties dans la suite de l’article ? 
  • Quelles sont les idées principales développées ? 
  • Quelles sources sont utilisées ? (témoignages, rumeurs, discours officiels…)
  • Quel vocabulaire est utilisé ? 
  • Quelles photographies sont utilisées ? 

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En vous posant ces quelques questions, vous garderez votre esprit critique et repérez facilement les articles douteux qui se fraient un passage dans notre actualité! Et n’oubliez pas, l’information n’est jamais neutre.

 

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