Bipartisme

Le bipartisme est-il mort ?

📋  Le contexte  📋

Le bipartisme est un système où deux partis dominent dans un régime démocratique. En général, la gauche et la droite se succèdent au pouvoir. Les modalités de scrutin aux élections législatives et présidentielles peuvent avantager le bipartisme. La loi Duverger, qui est un principe de science politique, démontre que le scrutin uninominal à un tour favorise la bipolarisation de la vie politique.

Maurice Duverger explique que la considération de « vote utile » peut influer sur la construction d’un bipartisme. Malgré leurs convictions, les électeurs décident de voter pour le candidat qui a le plus de chances d’être élu et dans un deuxième temps, qui est susceptible de défendre leurs idées. Le vote rationnel ne revient donc pas à un candidat plus proche idéologiquement puisqu’il semble incapable à s’imposer.

La récurrence au pouvoir de deux partis à la tête du gouvernement peut également créer un bipartisme. Malgré la présence de partis minoritaires, ses deux camps obtiennent la majorité au Parlement ou sont la principale force d’opposition en cas de défaite. Les autres groupes jouent donc un rôle secondaire.

Le bipartisme a toujours eu un rôle ambigu en France. Durant la Vème République, le Parti Socialiste (PS) et Les Républicains (LR) ont dominé la classe politique française. Jusqu’en 2017, au moins un candidat d’un des deux partis était au second tour des présidentielles. Les périodes de cohabitation (1986-1988 ; 1993-1995 et 1997-2002) ont également montré que ces deux partis dominaient et se succédaient au pouvoir. Le PS et LR sont généralement considérés comme « des partis de gouvernement ».

Pourtant, le système français n’est pas aussi bipolarisé que certains de ses voisins. Sur le plan national, le Royaume-Uni voit le Parti travailliste (Labour Party) et le Parti conservateur (Conservative Party) se partager le pouvoir depuis 1922. Aux États-Unis, le pouvoir se succède également entre les Républicains et les Démocrates.

En France, certains observateurs estiment que la France est un multipartisme (plus de deux partis) avec les différents clivages idéologiques dans les différents partis. Selon Jérôme Grondreux, la Vème République favorise le bipartisme mais le système politique français serait finalement découpé en trois.

L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a été vue comme un séisme dans la vie politique française. Depuis deux élections présidentielles, les deux partis qui dominaient précédemment ne sont jamais allés au second tour. En 2022, le PS et LR n’ont pas franchi la barre symbolique des 5 %. Le départ de certains cadres pour rejoindre Emmanuel Macron a créé une reconfiguration des partis politiques.

Après les élections présidentielles, trois forces majeures se dégagent pour les législatives : Ensemble pour obtenir la majorité présidentielle, le Rassemblement National de Marine Le Pen et Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), la coalition de la gauche menée par Jean-Luc Mélenchon.

Dans ce contexte, le bipartisme est-il toujours en vie ? On en débat avec deux experts !

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Jean-Christophe Cambadélis
Ancien premier secrétaire du Parti Socialiste (PS) et président de la Nouvelle Société
Après le bipartisme, le temps des coalitions

La Ve République n’a pas été conçue pour le bipartisme. C’est le bipartisme qui s’est imposé à la Ve République : le Général de Gaulle voulant restaurer un État échappant au régime des partis et instaurer le régime du parti dominant. Celui des gaullistes qui exercent leur talon de fer sur la société française face à la menace « soviétique et communiste ».

Le bonapartisme du Général lui permettait d’être de gauche et de droite et de régner en monarque républicain. C’est le constitutionnaliste Maurice Duverger qui théorise la Ve République ainsi : les instruments de notre monarchie républicaine résidaient dans l’abaissement du parlement au profit de l’exécutif et le scrutin uninominal à deux tours.

C’est en 2002 que cet « équilibre » fut touché au cœur

Ce régime centralisateur et centralisé fut frappé de plein fouet par la grève générale de 1968 et l’échec du Général de Gaulle en 1969. François Mitterrand, qui avait mesuré la logique interne du nouveau régime à travers Le coup d’État permanent, en comprit tellement bien les rouages qu’il parvint à s’imposer au PCF pour s’imposer aux Français en 1981.

Et c’est ainsi que la Ve République donna naissance au bipartisme entre une droite peu ou prou structurée autour du parti néo-gaulliste et une Gauche, elle articulée autour du Parti socialiste.

Les crises politiques étaient contenues par ce système d’alternance.

La montée de l’individualisme consommateur, la désindustrialisation, la pluralité des crises – chômage de masse, déclassement, précariat, immigration, insécurité, terrorisme combinés à une politique économique libérale de réduction de l’Etat social et de blocage de salaires – eurent raison de ce bipartisme.

C’est en 2002 que cet « équilibre » fut touché au cœur. L’irruption de Jean-Marie le Pen au second tour de la Présidentielle marqua le début d’un nouveau cycle de décomposition. Il fut maintenu à gauche artificiellement par le « remords » de 2002, entretenant un vote utile. Et par voie de conséquence par la domination du chiraquisme censé équilibrer ce vote utile.

Mais les deux colosses étaient aux pieds d’argile et la victoire de Macron en 2017 signa la fin d’un clivage vieux de quasiment un demi-siècle.

Cette déflagration libéra les populismes qui étaient contenus dans le bipartisme. Et la France n’échappa pas à la vague nationaliste plus ou moins xénophobe et souverainiste qui balaie la planète.

Toute une série de clivages ont fait leur apparition : haut-bas, province-Paris, peuple-élite, et bien sûr, nationalistes-libéraux.

C’est maintenant la Ve République qui est mise en cause

Sur fond de crise de l’efficacité publique, le maintien d’un bloc central macroniste, grâce ou à cause de la montée des populistes, continua à ruiner les partis de gouvernement d’hier jusqu’à leur exclusion du jeu présidentielle en 2022, alors qu’ils dominent la représentation nationale dans les élections locales.

Si la mémoire collective garde comme trace la culture du droite-gauche, d’autres éléments viennent stimuler les décisions électorales.

La sondagisation du débat politique conforte un électorat stratège au détriment de l’ancrage partisan.

Le vote utile s’installe comme un facteur déterminant. C’est la montée du vote utile Mélenchon qui provoque le vote utile de Marine le Pen et celui-ci conduit au vote utile pour Macron.

Cette spirale que l’on peut juger comme artificielle provoque des reclassements.

Marine le Pen réduit Zemmour, Macron siphonne Les Républicains, et Mélenchon s’impose à la Gauche.

Mais nous sommes à la veille d’un nouveau tournant car ce nouveau système de populismes – libéraux se heurte déjà à l’abstentionnisme de masse et à l’amertume des électeurs prisonniers du vote utile.

C’est maintenant la Ve République, elle-même, qui est mise en cause, car incapable de faire respirer la démocratie qui est plurielle.

L’abaissement de l’exécutif, la renaissance du législatif, l’aspiration à la décision citoyenne, l’exigence de la décentralisation, les nouveaux enjeux d’urgence : Europe, social, écologie rebatteront les cartes. Et vont faire émerger d’autres clivages avec un nouveau bipartisme ? Rien n’est moins sûr.

C’est le temps de la proportionnelle et des coalitions allemandes qui va advenir.

Le « Contre »
Pierre-Yves Cossé
Ancien Commissaire au Plan
Un bipartisme partiel mais présent

Pour mourir, faut-il encore être vivant. Or, dans de nombreux pays, comme la France, le bipartisme n’a jamais été que partiel, incomplet et changeant. Il ne peut être considéré comme la caractéristique majeure d’un système parlementaire, voire présidentiel, même s’il est une constante dans la Mère des Parlements modernes, le parlement britannique, et une référence encore actuelle.

Dans ce cas exceptionnel, l’adoption d’un système électoral uninominal à un tour a favorisé les grands partis. Le positionnement de la Chambre des Communes par rapport au monarque illustre physiquement la séparation entre la Majorité et l’Opposition, une salle rectangulaire où majorité et opposition, assises sur des bancs se font face à face. Ce bipartisme considéré comme un modèle n’est pas « pur ». Il a existé à différentes époques des Tiers Partis. Le parti libéral a laissé la place au Labour et plus récemment le parti europhobe UKIP a bousculé un temps le parti conservateur.

Le bipartisme français a toujours été bâtard et incomplet

En France, la même cause, le scrutin majoritaire a eu des effets comparables. Une différence : il n’a pas été constant, sous la Quatrième République le scrutin était proportionnel, et il est à deux tours rendant nécessaire des regroupements ou des coalitions pour le seul second tour. Autre différence, plus importante : les partis politiques sont beaucoup plus faibles de ce côté-ci de la Manche.

L’éclatement des partis français a des causes complexes ; pour la gauche, le refus de liens entre le syndicat et le parti depuis la Chartre d’Amiens, contrairement au rapport étroit entre les Trade Unions et le parti Travailliste est l’explication principale. A droite, André Malraux proclamait du temps du RPF, entre les communistes et nous, il n’y a rien, alors que ce bipartisme affiché ne reflétait pas la réalité.

Le bipartisme français a toujours été bâtard et incomplet. Cela ne veut pas dire qu’il va disparaitre, au moins tant que le scrutin majoritaire reste la dominante de notre système électoral. Du fait de l’attachement des Français à l’élection du Président de la République au suffrage universel, l’élection majeure de notre système politique continuera d’être un affrontement entre deux leaders principaux rassemblant deux coalitions. C’est la forme française du bipartisme.

Au-delà des justifications pragmatiques au bipartisme, un fondement beaucoup plus profond est lié au caractère et à la sensibilité de l’homme, partagé entre d’une part un instinct de conservation qui le pousse à s’attacher à l’existant et à craindre le nouveau et d’autre part un désir de changement, de nouveauté et de progrès.

Ce partage entre, la conservation et le mouvement, ne divise pas seulement les hommes mais aussi chacun d’entre nous. Selon les circonstances et l’âge nous évoluons. Il est admis que les jeunes penchent vers le changement et les vieux vers la conservation. Il varie selon les domaines : conservateur dans le domaine de la culture et aventureux dans le domaine politique ou social, moraliste sur le plan des mœurs et aventureux en politique.

Il existe des hommes ou des femmes qui sont d’un bloc mais la majorité parvient difficilement à faire la synthèse et doit gérer ses contradictions, le conservateur somnolant à côté du progressiste ou inversement.

Le bipartisme, dangereusement simplificateur, tout en étant inévitable

Ce dualisme se retrouve dans le monde politique. Au début du XIXème siècle, la vie politique était dominée par la division entre ceux qui acceptaient la Révolution française et ceux qui la rejetaient, entre le Mouvement et la Résistance. La traduction entre partis politiques change selon les époques : républicains et royalistes, socialistes ou modérés. Les générations successives se situent et s’opposent dans les grands conflits : Dreyfus, Collaboration, Décolonisation. Si ces conflits sont majeurs, il se forme deux camps et deux regroupements politiques. Et la répétition de grands conflits est probable.

De façon plus globale et plus confuse, on oppose gauche et droite. Il est vrai que si cette distinction entre parti politique de droite et parti politique de gauche recouvre des hiérarchies de valeurs différentes, lutte contre les inégalités ou priorité donnée aux libertés individuelles, elle n’est plus éclairante sur des problèmes majeurs. Sur l’Europe, la mondialisation, l’habitabilité de la planète, les positions divergent à l’intérieur des partis de gauche et de droite.

Le bipartisme, dangereusement simplificateur, tout en étant inévitable. La simplification est une nécessité de la vie, privée ou publique. Les choix sont le plus souvent binaires : oui ou non, partir ou rester, accepter ou refuser. Elle appauvrit tout en rassurant. Les médias, à la recherche de l’écoute, déforment, grossissent le trait, exagèrent les oppositions et nous contaminent. Ils contribuent à la personnalisation du pouvoir. En Allemagne où règne la proportionnelle, l’élection législative est dominée par un affrontement souvent limité à deux leaders. Pour ou contre Angela Merkel.

Dans quelques semaines, les citoyens français vont élire leurs députés. Pour beaucoup, il s’agira de dire oui ou non à Emmanuel Macron, à l’ouverture à l’Europe et au monde, au Parti du Président. Un vote binaire est dans la logique d’un bipartisme faiblement structuré.

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