Le Liban : au bord du gouffre ?

Liban

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Bientôt 2 ans après la puissante explosion qui a ravagé le port de Beyrouth, le Liban semble au bord du gouffre. Entre crise économique historique, trou noir politique, tensions grandissantes avec Israël, mainmise de l’Iran, et tensions sur l’exploitation d’un champ gazier dans une zone contestée entre le Liban et Israël, le pays s’enfonce encore un peu plus dans une crise intérieure et régionale. On fait le point.

Une économie aux pieds d’argile

Après la guerre civile qui ravage le pays entre 1975 et 1990, le Liban se reconstruit très rapidement sur un modèle économique fragile. Au milieu des années 1990, le Liban adopte un système qui consiste à s’endetter à travers les banques du pays, puis à attirer les capitaux étrangers et de sa diaspora (16 millions de personnes) pour financer la dette.

Le problème est que l’argent n’a pas servi à développer le pays, mais « à financer les réseaux clientélistes » des politiciens au pouvoir,  précise Sahar Al Attar, ancienne rédactrice en chef du mensuel économique libanais Le Commerce du Levant.

crédit : pressenza

Progressivement, ces dernières années, la Banque centrale libanaise a commencé à proposer des taux toujours plus grands pour encourager les investissements au Liban. Mais la confiance des investisseurs a commencé à s’effriter, renforcée par l’arrivée massive de réfugiés syriens à partir de 2011. Celle-ci a exercé une pression sur l’économie du pays. Environ 1,2 million de réfugiés syriens sont présents pour 5,3 millions de libanais, soit environ 25 % de la population.

S’ajoute à cela l’explosion au port de Beyrouth qui, détruisant des quartiers entiers de la ville et faisant 215 morts, a exprimé la faillite de la classe politique libanaise.

77% des Libanais manquent de moyens pour se nourrir correctement

La fuite des capitaux étrangers a fait plonger les banques du pays, entraînant une réaction en chaîne qui a conduit la monnaie libanaise à perdre 90 % de sa valeur. Aujourd’hui, 77 % des Libanais manquent de moyens pour se nourrir correctement. 

Traversant la pire crise économique de son histoire, la découverte d’un gisement off-shore de gaz nommé Karish apparaît comme une alternative miraculeuse pour l’économie libanaise. Problème, le champ gazier se situe dans une zone disputée avec Israël, pays en guerre larvée avec le Liban. 

Un face-à-face constant avec Israël

Le chef d’état-major de l’armée israélienne Aviv Kochavi a menacé dimanche 21 juin de bombardements « massifs et dévastateurs si jamais une guerre éclatait » avec le Liban. Le litige frontalier maritime entre les deux pays a été ravivé avec l’arrivée d’une unité flottante d’exploitation gazière israélienne au large des côtes libano-israéliennes.

La promesse de bombardements massifs et dévastateurs

« Nous avons identifié des milliers d’objectifs qui seront détruits au niveau du système de roquettes et de missiles que possède l’ennemi », a mis en garde le haut commandant israélien dans une référence au Hezbollah, la seule faction libanaise à avoir conservé ses armes après la fin de la guerre civile. 

crédit : Anred

Le Hezbollah ou « Parti de Dieu « a été créé en 1982 à l’initiative des Gardiens de la Révolution d’Iran, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban quelques années plus tôt.

S’implantant dans le sud du Liban, il lance une insurrection contre l’armée israélienne, contraignant l’État hébreu à évacuer la zone en 2000, après 22 ans d’occupation. 

Financé, armé par Téhéran et aidé par Damas qui favorise le transfert d’armes et de munitions, le mouvement est aujourd’hui dirigé par Hassan Nasrallah. La milice chiite est devenue au fil des décennies un acteur majeur tant au Moyen-Orient qu’au Liban.

crédit : Tasmin News Agency

Le Hezbollah, un poids lourd au Liban 

Force politique majeure du pays, en 2016, c’est un allié du Hezbollah qui accède à la présidence, le général chrétien Michel Aoun. Pour les experts, aucune décision politique majeure ne peut être prise au Liban sans l’accord du mouvement chiite.

La lutte contre Israël est le fer de lance de l’action du Hezbollah. Le Hezbollah avait assuré être « prêt à passer à l’acte si l’État libanais confirmait une violation israélienne au niveau du tracé de la frontière maritime ». Il avait également assuré que la résistance pouvait « empêcher l’ennemi d’extraire le pétrole et le gaz du champ de Karish ». Ce fameux gisement de gaz qui selon Israël fait partie de sa zone économique exclusive, mais qui selon le Liban pourrait se trouver dans des eaux contestées.

Des accusations de frappes civiles

Avichay Adraee a tout de même précisé que « Nous [Israël] mènerons de grandes frappes durant la guerre mais nous avertirons les civils et leur permettrons de quitter les lieux » . Il ajoute « Je vous conseille de quitter ces régions parce que la force de l’attaque sera sans précédent » en s’adressant aux civils libanais. 

Israël a menacé le Liban de dommages massifs et de pertes humaines à plusieurs reprises depuis la fin des hostilités avec le Hezbollah en 2006. L’armée israélienne est fréquemment accusée par des organisations de défense des droits de l’homme de viser sans discernement des civils et des infrastructures civiles dans ses campagnes de bombardement dans la bande de Gaza. Une action que l’État hébreu justifie en affirmant que les bâtiments visés ont une double fonction militaire et civile.

L’Iran, jamais bien loin

Cependant, une opération navale du Hezbollah contre la plateforme israélienne semble peu probable à l’heure actuelle. Israël a déjà annoncé qu’une telle action serait considérée comme une déclaration de guerre. 


Je ne pense pas qu’une guerre contre Israël se profile, mais la tension est permanente

Fayçal Abdel Sater, un analyste proche du Hezbollah

L’Iran n’est jamais loin : le Hezbollah est devenu au fil des décennies un outil de hard power (capacité d’un corps politique à imposer sa volonté) pour la République Islamique d’Iran. Suscitant la colère de l’Arabie saoudite sunnite, engagée dans une course au leadership régional avec Téhéran.

Les rivalités de l’Arabie Saoudite et de l’Iran se jouent par procuration, notamment au Liban.

Au-delà des différences religieuses, sunnite pour l’Arabie Saoudite et chiite du côté iranien, une lutte acharnée se déroule entre les deux pays pour le leadership régional.

Effectivement, l’Arabie saoudite et l’Iran s’opposent sur le terrain politique et religieux et se livrent à une guerre d’influence sans merci.

Les bouleversements dans le monde arabe depuis 2011 ont été un moyen d’étendre leur influence, mais jamais de manière frontale. Les rivalités de l’Arabie Saoudite et de l’Iran se déroulent toujours par procuration, et notamment au Liban. 

Selon de nombreux observateurs, les Saoudiens ont fait pression sur le Premier ministre pour qu’il démissionne, afin de déstabiliser le Hezbollah, soutenu par l’Iran.

L’ennemi de mon ennemi est mon ami

Le royaume d’Arabie saoudite joue alors un rôle important sur la scène politique régionale. Israël est conscient que s’il réussit à établir des relations normales avec l’Arabie Saoudite, il verra s’ouvrir devant lui les portes du monde arabe et musulman et donc une normalisation diplomatique avec des États ne reconnaissant pas son existence.

Récemment, des informations ont circulé relatant des contacts officiels et des rencontres secrètes entre l’Arabie Saoudite et Israël.

Un « Otan du Moyen-Orient » contre l’Iran au détriment du Liban ?

Pour l’économie et la diplomatie israélienne, les bénéfices seraient majeurs. Ce serait les fondations d’une structure de sécurité commune face aux ennemis d’Israël et de l’Arabie Saoudite, en d’autres termes, l’Iran. Une alliance militaire régionale incluant Israël apparaît de plus en plus probable.

crédit : Wikipédia

Israël change alors de tactique. Le premier ministre israélien, Naftali Bennett, vante lui-même les mérites d’une nouvelle «doctrine » israélienne dite « de la pieuvre » :


Nous ne jouons plus avec les tentacules, avec les alliés de l’Iran [au Liban, en Syrie, en Irak] : nous avons créé une nouvelle équation en visant directement la tête

Naftali Bennett dans un entretien publié par The Economist

Au milieu de ces stratégies régionales, se trouve un Liban dévasté et divisé entre le Hezbollah pro-iranien très puissant, des pressions saoudiennes et des menaces de la part d’Israël (la doctrine de la pieuvre impliquant la neutralisation des alliés iraniens). 

Néanmoins, l’escalade récente aura permis de relancer les négociations entre le Liban et Israël. Le médiateur américain, Amos Hochstein, s’est rendu au Liban le 14 juin afin d’apaiser les tensions.

Pour la première fois depuis le début de cette discorde, les autorités libanaises se sont entendues sur une position unique qui consiste à réclamer une zone plus large. Amos Hochstein a d’ailleurs salué « un pas en avant très fort » des autorités libanaises « qui permettra aux négociations d’aller de l’avant ». Tous les yeux sont désormais tournés vers Israël, à qui le médiateur américain doit soumettre la proposition libanaise.

 

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