📋 Le contexte 📋
Le terme “islamo-gauchisme” émerge dans l’ouvrage de Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie (2002).
Ce concept présuppose l’existence d’une connivence ou d’un laxisme d’une partie de la gauche avec l’islam radical au nom de la lutte contre l’islamophobie. Cette complicité de cette partie de la gauche serait une menace pour les valeurs de la République, mises en oppositions à celles de l’islamisme.
Quoiqu’il en soit de la véracité des accusations faites aux islamo-gauchistes, l’ampleur que ce terme a pris au cours des dernières années fait écho à un sentiment d’insécurité grandissant avec les attentats djihadistes qui ont frappé la France depuis 2015.
Sources : Libération, Le Monde
La notion d’islamo-gauchisme est perçue par une partie de la gauche comme relevant de la théorie du complot, et est accusée d’être utilisée comme cheval de Troie pour fustiger les mouvements antiracistes et anti-islamophobie.
Ce néologisme a été parfois utilisé par la population qu’il critique avec humour, au second degré, dans le but de rire des personnalités d’extrême-droite usant du concept. Aujourd’hui cependant, l’emploi du terme n’est plus réservé à l’extrême-droite et fait l’objet d’un débat politique plus central qu’entre les extrêmes.
Bien que le concept d’islamo-gauchisme existe depuis de nombreuses années, il semble judicieux d’aborder ce débat aujourd’hui, alors que le terme est de plus en plus utilisé dans la sphère publique. Ce débat a resurgi notamment après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty à Conflans-Saint-Honorine en octobre 2020 par un terroriste islamiste, après qu’il ait montré des caricatures de Mahomet à ses élèves.
Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer avait alors dénoncé l’islamo-gauchisme et ses “ravages à l’université”.
Source : Le Monde
🕵 Le débat des experts 🕵
Le terme « islamo-gauchisme » est un néologisme formé à partir de deux mots : l’« islamisme » désigne une idéologie appartenant à plusieurs mouvements politico-religieux visant par des moyens divers (pacifiques et violents) à imposer un modèle de société de type totalitaire reposant sur une conception intégriste de l’islam ; le « gauchisme », défini à l’origine par Lénine comme « la maladie infantile du communisme » désigne depuis, différentes formes de dérives idéologiques de gauche minoritaires (avant-gardistes, spontanéistes, populistes…). Socialiste de longue date, j’emploie ce terme depuis plusieurs années pour qualifier la position stratégique de militants et responsables politiques de gauche qui ont substitué au prolétariat, ou comme nous disions au Parti socialiste au « front de classe », « les musulmans » conçus comme un groupe homogène stigmatisé et victime de la « domination occidentale » (capitaliste et coloniale).
De ce fait, cette gauche devenue « islamo-gauchiste » fait consciemment ou inconsciemment le jeux des islamistes dans leur combat contre tout ce qui en Occident contribue à l’émancipation de l’individu et notamment des femmes : l’humanisme, la libre pensée, la libre disposition de son corps, la laïcité, la démocratie. C’est pourquoi, utilisant dans un sens nouveau une autre expression que Lénine appliquait aux démocrates européens qui soutenaient le totalitarisme bolchévique, je dis souvent que les islamo-gauchistes deviennent ainsi les « idiots utiles de l’islamisme ».
En effet, non seulement ils se solidarisent avec des ennemis de la démocratie et du combat laïque, mais ils confortent l’amalgame que font à dessein les islamistes entre musulman et islamiste afin de victimiser tous les musulmans, de les assigner autoritairement à une conception univoque et oppressive de l’islam, de les désolidariser des lois de la République et de les séparer du reste de la société. Ainsi en est-il de la FCPE ou de l’UNEF qui défendent le port du voile, ou encore de La France Insoumise qui défile dans une manifestation contre « l’islamophobie ».
Alors, que des gens de droite ou d’extrême-droite utilisent désormais eux aussi ce terme d’islamo-gauchisme ne transforme pas en mensonge la réalité de cette dérive gauchiste. Plutôt que d’accuser d’appartenir à la « fachosphère » ceux qui à gauche ont promu ce terme et continuent de l’employer, les islamo-gauchistes défendraient mieux la gauche en rompant avec leur complaisance voire leur complicité avec l’islamisme.
Utiliser un terme qui n’existe pas est déjà audacieux, mais en utiliser deux à la suite relève de l’exploit ! En français, la règle qui s’applique lors de la création d’un néologisme composé, consiste à associer ce qui est associable, c’est-à-dire se situant sur le même plan. Ainsi on ne peut pas dire de quelqu’un qu’il est parisiano-chrétien ou marseilo-allemand. En revanche on peut parler de franco-canadien, ou de judéo-musulman. L’utilisation de la judéité peut aussi renvoyer au peuple juif, d’où l’usage du judéo-espagnol, qui désigne d’ailleurs un courant de la langue yiddish.
Le terme « d’islamo-gauchisme » place ainsi sur le même plan l’islam, qui est une religion, et le gauchisme qui … qui n’est d’ailleurs pas grand-chose ! D’une première insulte, ce néologisme en a créé une deuxième. Car le gauchisme a toujours été un terme péjoratif, non utilisé par les concernés, visant à disqualifier une partie de l’extrême gauche. Lénine parlait de la « maladie infantile du communisme ». Il visait la frange la plus radicale de son mouvement qui refusait de participer au parlementarisme et de discuter avec des syndicats non marxistes.
De la même manière le terme « d’islamo-gauchisme », est depuis son premier usage une injure, et comme le gauchisme, elle vise à disqualifier son interlocuteur. Sa signification n’a donc aucun fondement. Malgré l’immense variété des personnes visées par cet anathème, dont j’ai l’immense privilège de faire partie, on remarque que les qualifiés d’islamo-gauchistes sont souvent des militants des droits humains, engagés dans la lutte contre les discriminations et n’ayant pas peur d’utiliser le terme d’islamophobie. On comprendra islamophobie ici dans son sens juridique, c’est-à-dire une xénophobie appliquée aux personnes musulmanes, soit un climat d’hostilité et de craintes pouvant découler ensuite sur des actes antimusulmans.
De plus « l’islamo-gauchisme », contrairement à toutes les idéologies ou courants politiques, n’a aucune assise scientifique. Sur le site Cairn qui recense en 2020 un total de 15 000 livres, l’intégralité de 520 revues académiques et 620 000 articles, le terme n’apparaît que 46 fois. À part une citation de Pascal Bruckner, polémiste à l’origine de l’insulte, il s’agit d’articles critiques. À titre de comparaison le socialisme apparaît 26 602 fois.
À moins de vouloir ressusciter la vieille tradition identitaire de l’ennemi intérieur, à la sauce du judéo-bolchévisme fantasmé, le terme d’islamo-gauchisme n’a donc aucun sens mais surtout… aucune réalité !