LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Zhao Wei, Jack Ma, Peng Shuai, Fan Bingbing… Certains de ces noms ne vous disent peut-être pas grand chose. Pourtant, tous sont des célébrités en Chine, suivies par des millions de personnes sur les réseaux sociaux chinois. Malgré leur popularité, ces personnes ont un dénominateur commun : elles ont toutes été victimes de “disparitions forcées”.
Depuis des décennies, les autorités chinoises utilisent ce redoutable moyen de pression afin de dissuader sa population de critiquer le régime ou même simplement de dénoncer certaines situations d’injustice. Et les quelques “stars” chinoises citées plus haut sont loin d’être des cas isolés : elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, car la majorité des disparus demeurent inconnus du grand public.
Qu’il s’agisse d’un acteur ou d’un sportif reconnu, de l’homme le plus riche de Chine ou d’un membre éminent du Parti communiste chinois, d’un avocat défenseur des droits humains ou d’un simple citoyen, tout le monde est susceptible de disparaître du jour au lendemain. Si une personne a adopté une attitude ou un discours qui s’éloigne de la ligne dictée par le Parti, elle pourrait devenir victime de “disparition forcée”. Décryptage de ce système de terreur institutionnalisé.
Qu’est-ce qu’une “disparition forcée” ?
Avant même l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 en tant que Président de la République populaire de Chine, le Parti communiste chinois avait déjà recours aux disparitions forcées à l’encontre de ses supposés dissidents, notamment contre les militants des droits humains. C’est pourquoi, dès 2011, le Groupe de travail sur les disparitions forcées des Nations Unies avait enjoint la Chine à cesser de recourir à ce procédé, qui allait totalement à l’encontre du droit international.
L’ONU définit la disparition forcée comme la privation de liberté d’une personne contre son gré, suivie du refus de l’État de reconnaître les faits et parfois de révéler des informations sur le sujet. Cet isolement permet alors toutes sortes d’abus et de violences, avec des traitements inhumains et même des actes de torture, sans que la famille ni les proches n’en sachent jamais rien.
Une légalisation dans le droit chinois de la disparition forcée
Cette tactique est non seulement employée de manière systémique, mais a également été institutionnalisée dans le droit. En effet, en 2012, la Chine a révisé son code de procédure pénale afin d’inclure la création de la “résidence surveillée dans un lieu déterminé” (RSLD). Celle-ci est supposée s’appliquer aux individus suspectés de “crimes mettant en danger la sécurité de l’État, d’activités terroristes ou pour les cas particulièrement graves de corruption”. Les violations du droit international sont donc justifiées par le souci de protéger la suprématie du Parti communiste chinois.
Cette disposition de la RSDL permet également à l’État de ne pas avoir à informer les proches du détenu du lieu et des motifs de son incarcération, et de lui refuser l’accès à un avocat. Cette détention secrète peut se dérouler au domicile du suspect, ou bien dans un tiers lieu, notamment dans les “prisons noires”. Ces dernières sont des centres de détention extralégaux, mis en place par les forces de sécurité chinoises, et qui peuvent se situer dans des hôtels, des appartements, des caves ou d’autres endroits désaffectés. D’après un rapport de l’ONG Safeguard Defenders, entre 27 000 et 57 000 personnes auraient été détenues en RSDL par les autorités chinoises depuis 2013.
Les disparitions forcées de “stars” : des cas qui mettent en lumière cette pratique dénoncée
Récemment, la disparition très médiatisée de la joueuse de tennis Peng Shuai a attiré l’attention de la communauté internationale sur cette pratique prisée des autorités chinoises. Début novembre 2021, la sportive avait publié sur le réseau social chinois Weibo un message accusant l’ancien vice-premier ministre Zhang Gaolin de l’avoir violée. Le message a disparu une demi-heure plus tard (censuré par les autorités) et la joueuse de tennis avec. Pendant près de trois semaines, Peng Shuai a disparu des radars, suscitant l’émoi et l’inquiétude de la communauté internationale. Elle est finalement réapparue le 21 novembre, dans des vidéos publiées par des proches du gouvernement chinois. Depuis, elle dément avoir accusé Zhang Gaolin d’agression sexuelle et a annoncé mettre un terme à sa carrière sportive. Cependant, ses déclarations ainsi que sa réapparition ne dissipent pas les inquiétudes. Beaucoup supposent qu’elle agit sous la contrainte et la pression du Parti, qui a rapidement voulu étouffer ce scandale visant un des anciens membres permanents du bureau politique du PCC (donc l’un des sept hommes les plus puissants de Chine).
Ce n’est pas la première fois qu’une célébrité, même connue à l’international, disparaît de la sorte. Cela a notamment été le cas de l’homme d’affaires Jack Ma, milliardaire influent et cofondateur du géant Alibaba, qui avait disparu pendant plusieurs mois après un discours critique du modèle économique chinois. On peut également nommer Meng Hongwei, l’ancien président d’Interpol, organisation pourtant basée en France, qui a disparu en 2018 alors qu’il était encore en fonction. La disparition de l’influenceur beauté Li Jiaqi (suivi par des dizaines de millions d’abonnés sur les réseaux sociaux chinois) ainsi que celles des actrices Zhao Wei et Fan Bingbing ont également suscité un certain émoi et de l’incompréhension, en Chine comme à l’étranger.
Au-delà de ces cas très médiatisés, de nombreuses victimes persécutées dans le silence
Depuis la création de la RSDL et l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en mars 2013, le nombre de disparitions forcées a augmenté de manière significative. Les principales personnes visées seraient les militants ou avocats des droits de l’Homme, les pratiquants de Falun Gong (un mouvement spirituel inspiré du qigong, persécuté depuis 1999 par le PCC), les opposants politiques, les Ouïghours, les Tibétains, les rivaux politiques du Président chinois, les féministes, les journalistes, ou plus récemment des magnats de l’économie et des stars du show-business chinois. Ces derniers cas sont souvent davantage médiatisés que les premiers, puisqu’ils concernent des personnalités déjà connues à l’international.
Les disparitions forcées touchent donc les personnes qui s’éloignent ou dénoncent la ligne politique du Parti : un des cas les plus emblématiques est sûrement celui de Gao Zhisheng. Ce fervent défenseur des droits de l’Homme a été l’un des premiers “avocats aux pieds nus”. On parle aussi de “mouvement Weiquan”. Cette expression désigne le réseau informel d’intellectuels et de juristes chinois qui soutiennent et défendent les victimes d’injustices ou de déni de droit, malgré l’opposition du Parti communiste chinois. Leurs principaux combats s’articulent autour de la liberté d’expression, de la liberté religieuse, de la liberté de la presse, de la lutte contre les dommages à l’environnement ou encore de la protection des victimes du SIDA. Les membres de ce mouvement sont exposés au harcèlement des autorités, à l’emprisonnement, à la disparition forcée, à la torture et à la mort.
Gao Zhisheng s’est notamment rendu célèbre pour son combat en faveur des personnes expropriées par les autorités chinoises et contre la persécution et les prélèvements d’organes menés sur les pratiquants du Falun Gong. Radié de sa fonction d’avocat et menacé par le Parti, il a disparu plusieurs fois de la circulation, enfermé dans des prisons noires où il a subi mauvais traitements et tortures. Gao Zhisheng est porté disparu depuis le 13 août 2017. Le 5 septembre 2017, les autorités gouvernementales ont annoncé au frère de l’avocat que ce dernier avait été placé en détention préventive à Pékin. Depuis, aucune information ni notification officielle de son arrestation n’ont été données à sa famille, qui est aujourd’hui en exil.
Un système qui cherche à dissuader toute tentative de critique ou tout écart envers le Parti
Le système des disparitions forcées constitue l’un des instruments utilisés par le PCC afin de maintenir la censure sur la population chinoise. La volatilisation de personnages médiatiques et influents comme Peng Shuai ou encore l’ex-président d’Interpol Meng Hongwei a attisé la curiosité des médias et suscité l’indignation de la communauté internationale pour ces pratiques. Xi Jinping, qui est assuré d’être reconduit à sa fonction de Président cette année, ne semble pas pour autant prêt à délaisser cette méthode illégale au regard du droit international.
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