LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Elle est arrivée au pouvoir quelques jours avant la disparition de la reine Elizabeth II, qu’elle aura été la dernière personnalité publique à rencontrer, le 6 septembre dernier. Le mandat de Mary Elizabeth, dite Liz, Truss, 47 ans, démarre donc à un moment où son pays s’apprête à décréter un deuil national.
3ème femme à ce poste
Troisième femme à accéder au poste de premier ministre du Royaume-Uni après Margaret Thatcher (1979-1990) et Theresa May (2016-2019), Liz Truss représente la droite du parti conservateur britannique, ardente défenseure d’une immigration strictement contrôlée, d’une faible imposition et de la doctrine économique du libre-échange.
Elle a remporté l’élection interne au parti le 5 septembre dernier après cinq tours de vote et une campagne électorale acharnée, face à son rival Rishi Sunak, alors qu’ils étaient tous deux très proches idéologiquement.
Membres du cabinet ministériel sortant de Boris Johnson – en qualité de ministre des Affaires étrangères pour la première et de chancelier de l’Échiquier pour le second –, ils n’auront finalement été départagés que par le calendrier des réformes qu’ils proposaient : tandis que Liz Truss prévoyait des réductions d’impôts dans les plus brefs délais, son adversaire prônait une approche plus graduelle, donnant la priorité au contrôle de l’inflation dans un contexte de crise.
Si l’approche plus nuancée de Sunak aura trouvé davantage de soutien auprès des députés conservateurs, le programme plus radical de Truss lui aura assuré le succès chez la majorité des quelque 200 000 membres du parti ayant pris part au scrutin et réputés plus à droite que la moyenne.
Une admiratrice de Margaret Thatcher…
Pendant toute sa campagne, Liz Truss n’aura eu de cesse de défendre une politique d’allègement des cotisations sociales et de la fiscalité, promettant même d’annuler l’augmentation des cotisations sociales obligatoires et la hausse des impôts sur les entreprises introduites par son rival au ministère des Finances.
Farouchement opposée aux politiques économiques interventionnistes et héritière des préceptes néolibéraux de Margaret Thatcher, qu’elle admire ouvertement, Liz Truss déclarait à la veille des résultats que les politiques de redistribution des revenus des 20 dernières années avaient érodé la croissance économique britannique. En écho à la rhétorique thatchérienne des années 1980 et à sa théorie du ruissellement, elle affirmait sa détermination à renverser cette tendance car « la croissance économique bénéficie à tout le monde ».
Elle demeurait néanmoins évasive sur les politiques qu’elle envisageait d’introduire afin d’aider les ménages à faire face à une inflation galopante, notamment sur les prix de l’énergie, alors même que près de deux tiers des Britanniques seraient menacés de pauvreté énergétique cet hiver.
En effet, le plafond tarifaire de l’énergie va sans doute augmenter de 80 % à partir d’octobre, et l’inflation pourrait atteindre 18,7 % selon certaines estimations, rendant négative la croissance des salaires réels. Face à la baisse de leur pouvoir d’achat et à la hausse vertigineuse des factures énergétiques, cheminots, éboueurs, dockers, enseignants ou encore avocats ont déjà appelé à faire grève pour réclamer des hausses de salaire. Une grève générale cet automne n’est pas à exclure.
… soutenue par la frange la plus droitière du parti conservateur
C’est donc dans un climat de crise économique et dans un contexte de mouvements sociaux inédits depuis le début des années 1980 que Liz Truss prend ses fonctions de premier ministre. Sa tâche sera d’autant plus difficile qu’elle devra en premier lieu s’assurer du soutien de son parti, profondément divisé par une campagne interne féroce et un climat houleux pendant les gouvernements de Boris Johnson et Theresa May.
Pour mener des politiques économiques potentiellement impopulaires dans un contexte de crise, le soutien des 357 députés conservateurs de la Chambre des Communes lui sera indispensable. Or il s’agit d’une gageure étant donné que la marge de sa victoire (53 % des membres du parti ont voté pour elle contre 47 % pour Sunak) est bien moindre que prévu, et qu’elle n’est arrivée qu’en deuxième position (avec 113 votes) derrière Sunak (137 votes) lors du scrutin des députés conservateurs. La grande majorité des soutiens de Rishi Sunak rejoignent aujourd’hui les députés d’arrière-ban autour de l’ancien chancelier de l’Échiquier et pourraient saboter nombre des réformes législatives économiques du nouveau gouvernement Truss.
La nouvelle locataire du 10, Downing Street devra aussi compter sans le soutien d’un certain nombre de partisans indéfectibles de Boris Johnson, amers d’avoir vu leur champion poussé vers la sortie. Parmi eux se trouvent une centaine de députés des circonscriptions dites du « Red Wall » (anciens bastions travaillistes ayant élu des députés conservateurs pour la première fois en décembre 2019 afin que Boris Johnson puisse ensuite être élu premier ministre), dont la position se retrouve désormais plus précaire, ainsi que les membres très influents du European Research Group à l’origine du Brexit.
D’abord favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, Liz Truss a changé de position après les résultats du référendum de 2016 sur le Brexit. Ce revirement lui a permis d’obtenir le soutien de l’aile droite du parti conservateur.
Le ralliement de personnalités clés de la campagne référendaire pour le Brexit, telles que Jacob Rees-Mogg, Nadine Dorries ou Steve Baker, a été décisif pour assurer sa victoire. Sa promesse de suspendre le protocole européen sur l’Irlande du Nord, contesté par les conservateurs, sera donc très attendue et tout recul sévèrement sanctionné.
Les enjeux internationaux
Le protocole européen sur l’Irlande du Nord vise à protéger le marché unique européen sans créer de frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Il place néanmoins une frontière douanière en mer d’Irlande car la province britannique d’Irlande du Nord applique les règles douanières européennes, et continue ainsi de faire partie du marché unique.
Tandis que les unionistes nord-irlandais y voient une première étape inacceptable vers la réunification irlandaise, les chantres du Brexit dénoncent les problèmes d’approvisionnement que ce protocole provoque et considèrent ce texte (pourtant négocié et signé par Boris Johnson lui-même) comme une ingérence européenne dans la politique économique britannique.
En déplaçant la frontière en Irlande, l’annulation du protocole européen pourrait avoir des conséquences explosives et raviver le conflit entre unionistes et nationalistes. C’est aussi l’Union britannique qui serait mise à mal par l’inflexibilité du gouvernement Truss. Rappelons que les nationalistes nord-irlandais et écossais sont aujourd’hui au pouvoir à Belfast et à Édimbourg et menacent de quitter le Royaume-Uni.
Risque de tensions avec l’UE
Les relations entre l’UE et le Royaume-Uni, déjà rudement éprouvées depuis le référendum sur le Brexit en 2016, pourraient en outre se tendre davantage. Liz Truss incarne une vision atlantiste de la politique étrangère dont le parti conservateur ne s’est jamais véritablement départi depuis les années 1980 et que l’invasion russe de l’Ukraine est venue conforter. Très critique des accords de Minsk portés par la France et l’Allemagne en 2014 et 2015, elle a dénoncé la naïveté de l’Occident face à la menace russe ; exprimé sa détermination à voir la Russie quitter l’ensemble du territoire ukrainien ; indiqué vouloir poursuivre son soutien à l’Ukraine par l’envoi d’armes et renforcer la sécurité mondiale par des accords bilatéraux ou plurilatéraux pour former un « réseau de liberté », insistant notamment sur l’importance de l’OTAN, du G7 et du Commonwealth.
Liz Truss s’est jusqu’ici montrée inflexible envers l’UE, défendant l’idée de la pleine souveraineté politique et économique du Royaume-Uni – une idée qui s’est trouvée à l’origine du Brexit – et affirmant la singularité et l’indépendance du pays sur la scène internationale, y compris vis-à-vis des États-Unis et de la Chine… au risque, peut-être, de se retrouver isolée.
Fiona Simpkins, Maitre de conférences en études anglophones, Université Lumière Lyon 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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