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L’UE doit-elle devenir les « États-Unis d’Europe » ?

Ce débat a initialement été publié sur The Rift, le site anglophone du Drenche, et il a été traduit en français par la Rédaction

📋  Le contexte  📋

Le fédéralisme européen est un courant politique qui propose une transformation de l’UE de son état actuel de confédération (un groupe d’États souverains) en une fédération (un État fédéral). Cette proposition remonte à loin dans l’histoire du continent européen. La formule « États-Unis d’Europe » est attribuée à Victor Hugo, bien que l’une des premières propositions d’une organisation fédérale des États européens ait été formulée par le roi de Bohème Georges de Podebrady en 1464.

Le fédéralisme en tant que mouvement s’est développé avec le mouvement paneuropéen formé par Richard von Coudenhove-Kalergi dans les années 1920. Il a commencé à prendre de l’ampleur dans les années 1940 avec la publication du Manifeste de Ventotene par Altiero Spinelli et Ernesto Rossi. Aujourd’hui, le courant fédéral est représenté par quelques ONG, dont le Mouvement Européen International, les Jeunes Fédéralistes Européens et l’Union des Fédéralistes Européens.

L’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas une fédération, mais une union d’États souverains. C’est le rôle des États membres qui fait la différence. Actuellement, les États membres ont le pouvoir de modifier les traités, qui sont la source de pouvoir de l’UE. Ils sont également représentés par une institution – le Conseil européen – qui rassemble les chefs d’État et représente leurs intérêts. Cette institution fixe l’agenda politique de l’UE et ses priorités. Elle a également le pouvoir de proposer le président de la Commission européenne et de nommer le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Les États membres sont également représentés dans la procédure législative ordinaire, qui est le processus décisionnel le plus courant dans l’UE. Les ministres nationaux composent le Conseil de l’Union européenne, qui agit comme une deuxième chambre du Parlement, et co-décide des propositions législatives avec le Parlement européen.

Source : consilium.europa.eu

Avec l’apparition des pandémies de coronavirus, les Européens ont rapidement connu une fermeture des frontières nationales et une limitation de la libre circulation. Comme le virus s’est rapidement propagé sur le continent, de nombreux Européens et États membres ont demandé un soutien accru de l’Union européenne.

L’Union européenne a pris des mesures pour faire face à la crise économique provoquée par les pandémies. Ces mesures comprennent, entre autres, un plan de relance de 2,4 billions d’euros pour soutenir les économies nationales et de nouvelles initiatives, telles que SURE (pour lutter contre le chômage) ou RescEU. Certaines voix se sont élevées pour réclamer une plus grande intégration européenne et une plus grande fédéralisation de l’UE afin de répondre à la crise. En outre, le débat sur les « coronabonds » (que vous pouvez également trouver parmi nos articles) a été compris par certains comme une étape supplémentaire vers une Union fédérale, et donc loué ou critiqué.

Sources : Toute l’Europe, Commission européenne

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Alejandro Cordero
Responsable des politiques et du plaidoyer, Union des fédéralistes européens (UEF)
Une Europe fédérale : la réponse honnête, courageuse et solidaire dont nos citoyens ont besoin

L’échec perçu du système n’est pas la faute de l’Europe, ce sont ses États membres ; la solution est simple : le fédéralisme.

Depuis des mois, les applaudissements du public dépeignent nos rues tous les soirs à 20 heures, de Naples à Bruxelles, de Sofia à Helsinki, de Madrid à Berlin. Les applaudissements ne visaient pas nos gouvernements nationaux ; ils étaient destinés aux gens simples. Des héros de notre société qui ont rappelé à tous ceux qui se trouvaient au milieu d’une tragédie ce qui compte vraiment. Aujourd’hui, l’honnêteté, le courage et la solidarité européenne doivent être à nouveau au cœur des décisions politiques.

Notre passé a prouvé que nos gouvernements nationaux ne peuvent assurer la prospérité et la reprise qu’en travaillant ensemble. La crise actuelle montre à quel point l’Union européenne doit être renforcée afin de garantir les intérêts de ses États membres, tout en étant plus démocratique et responsable devant ses citoyens. La meilleure formule pour atteindre cet équilibre est le fédéralisme.

Au contraire, le nationalisme et l’intergouvernementalisme offrent une approche de la crise qui trouve son attrait chez certains citoyens européens dans un diagnostic légitime de leurs craintes et de leurs déceptions. Pourtant, cette déception et ce manque d’action ont été attribués à tort à l’UE.

La crise actuelle montre à quel point l’Union européenne doit être renforcée afin de garantir les intérêts de ses États membres, tout en étant plus démocratique et responsable.

La vérité est que les solutions que l’UE pouvait apporter étaient déjà très limitées avant la crise. Les États membres ont constamment refusé à l’UE les pouvoirs et les ressources nécessaires pour avoir un impact réel sur les questions qui comptent le plus pour les citoyens, qu’il s’agisse de l’action en faveur du climat, de la sécurité et des migrations, de la gestion des crises, de l’Europe sociale ou de l’Union de la santé. Il en résulte une série de mesures à moitié cuites et d’échecs flagrants qui sapent la satisfaction des citoyens à l’égard de l’Europe et, en fin de compte, de la démocratie.

La crise actuelle de Corona met à jour cette hypocrisie. Aujourd’hui, nous voyons à quel point les citoyens réclament à grands cris la solidarité européenne. Et pas un seul pays de l’UE ne croit pouvoir sortir seul de cette crise, pas même les « quatre frugaux ». Néanmoins, pour réussir, nous avons besoin d’une initiative européenne commune qui puisse relever les défis et répondre aux besoins de la reprise économique et sociale.

C’est à ce stade qu’une Europe fédérale devient véritablement la solution honnête, courageuse et solidaire dont nos citoyens ont besoin dans un monde polarisé, mais globalisé.

Toutefois, le fédéralisme ne vise pas la création d’un super-État européen, mais la répartition rationnelle des compétences, le renforcement de la démocratie, la responsabilité et le principe de subsidiarité. Cela signifie conférer des compétences et des pouvoirs aux institutions européennes, dans les domaines où une réponse européenne commune est plus efficace.

Que doivent faire les Européens maintenant ? Tout d’abord, la zone euro doit compléter l’union monétaire par une union fiscale et par le pouvoir de lever des ressources financières européennes pour soutenir la relance européenne et aider les États membres.

Deuxièmement, l’Europe doit assumer la responsabilité de sa propre sécurité et promouvoir et défendre ses valeurs et ses intérêts dans le monde. En veillant à ce que des régimes illibéraux comme la Chine ou la Russie n’imposent pas les leurs au cours des difficultés économiques et sociales à venir.

Enfin, l’Europe a besoin d’une véritable démocratie et d’une capacité à prendre des décisions cruciales dans les temps difficiles à venir. Les gouvernements nationaux devraient laisser la gouvernance de l’Union à ses propres institutions. Un gouvernement fédéral remplaçant la Commission signifie un exécutif efficace et moins nombreux, qui devrait refléter véritablement les résultats des élections européennes et qui est responsable devant les citoyens par l’intermédiaire du Parlement européen. Un Conseil réformé, transformé en une deuxième chambre législative, équilibrerait la représentation des États membres. Un Parlement européen puissant, co-décidant sur toutes les questions, ferait de l’Europe une démocratie parlementaire à part entière, renforçant la voix et la participation des citoyens.

Nous devons rendre l’Europe plus résistante et prête à aborder tous les problèmes qui dépassent désormais les capacités de ses États membres.

Le nationalisme a prospéré en raison des faiblesses de l’Europe d’aujourd’hui. Leurs solutions font appel à la démocratie mais cachent une Europe repliée sur elle-même, faite de haine et de divisions. Les intergouvernementalistes plaident souvent en faveur d’une autre forme de coopération en Europe : « Nous aimons l’Europe, mais pas l’UE », disent-ils tous les deux. La déformation des arguments vise à soutenir que l’UE n’utilise pas efficacement les pouvoirs qui lui sont conférés – de la crise des migrations à la réponse au coronavirus – et tente de négliger la nécessité de renforcer l’Union. Cependant, ils ignorent délibérément que l’unanimité peut être invoquée pour entraver une véritable solidarité, ce qui nuit aux attentes et à la confiance des citoyens. Pour eux, ce n’est jamais le moment de réformer l’Europe. Est-il déraisonnable de mettre le destin de l’Europe entre les mains de ses citoyens ?

Mais si l’objectif est de ne laisser personne derrière tout en assurant la reprise, nous devons renforcer la coopération européenne et nous devons rendre l’Europe plus résistante et prête à aborder tous les problèmes qui dépassent désormais les capacités de ses États membres. Pour y parvenir, nous devons aller au-delà de la coopération entre les États nations. Nous avons en effet besoin d’une autre Europe : une meilleure Union européenne, une Union fédérale.

Es lebe Europa – Vive l’Europe – Vive l’Europe !

Le « Contre »
Richard Bellamy
Professeur de Sciences politiques, UCL
L'UE devrait rester une association d'États souverains

Permettez-moi de commencer par dire un peu d’où je viens, et ce que je pense que cette question implique. J’approuve l’UE et je regrette la décision du Royaume-Uni de la quitter. Mais je considère que les États-Unis d’Europe, conçus comme un État fédéral, seraient une erreur.

Dans un monde interconnecté, il y a de bonnes raisons fonctionnelles et normatives pour que les États se réunissent pour former une association telle que l’UE. La mondialisation peut saper la démocratie et la justice sociale au sein des États. Par exemple, la décision démocratique des citoyens d’un État d’adopter des réglementations environnementales plus strictes pour atténuer le changement climatique et améliorer le bien-être de leurs concitoyens peut être sapée par la décision démocratique d’un État voisin de profiter de ses mesures et de continuer à adopter des méthodes de production et des règles de circulation moins coûteuses mais moins respectueuses de l’environnement. De même, les déséquilibres de pouvoir entre les États peuvent conduire les États les plus pauvres à être dominés par les plus riches et à accepter des accords commerciaux qui les désavantagent systématiquement. En tant qu’association d’États démocratiques, l’UE offre un cadre précieux permettant aux États de s’attaquer collectivement à des problèmes mondiaux tels que le changement climatique et de négocier leurs relations commerciales sur un pied d’égalité et dans le respect mutuel. Toutefois, si une telle association ressemble à certains égards à une fédération d’États, elle n’est pas un État fédéral, sur le modèle des États-Unis.

En tant qu’association d’États démocratiques, l’UE offre un cadre précieux permettant aux États de s’attaquer collectivement à des problèmes mondiaux

Pourquoi cette différence est-elle importante ? L’objectif d’une association d’États démocratiques est de soutenir la démocratie au sein de chacun des États associés, ainsi que les différentes façons dont leurs peuples respectifs ont façonné leurs systèmes politiques et socio-économiques au fil du temps. Elle cherche à obtenir les avantages de la coopération tout en maintenant la diversité. L’un des principaux moyens d’atteindre cet équilibre consiste à accorder des droits transnationaux, tels que ceux associés à la citoyenneté de l’UE. Ces droits permettent la liberté de circulation au sein de l’association, offrant l’égalité des chances dans tous les États associés à tous les citoyens de l’association, quelle que soit leur nationalité. En outre, lorsqu’ils se rendent dans un autre État, ils ont les mêmes obligations légales ainsi que les mêmes droits que les citoyens de cet État, à l’exception du droit de vote dans cet État, à moins qu’ils ne soient prêts à le naturaliser et à en devenir citoyens. Cette exception est une garantie du pluralisme entre les différents États.

Une Union européenne ainsi conçue ne cherche pas à supplanter certaines fonctions de la démocratie au niveau national en renforçant le pouvoir de décision démocratique au niveau de l’Union européenne. Ceux qui préconisent que l’UE devienne un État fédéral ont tendance à imaginer que cette évolution serait plus efficace et plus égalitaire que le dispositif actuel. On aurait un gouvernement européen directement élu qui pourrait répondre aux besoins des citoyens de l’UE. Pourtant, la plupart des États membres qui comptent d’importantes minorités nationales adoptent des formes de prise de décision politique tout aussi compliquées que l’UE et sont confrontés à des demandes de délégation de pouvoirs de plus en plus centralisés ainsi qu’à des revendications d’indépendance. Pourquoi l’UE serait-elle différente ? Dans le cadre d’un État fédéral, un citoyen européen serait coincé avec un gouvernement européen fédéral dans lequel il n’aurait probablement que très peu d’influence sur les élections. Comme aujourd’hui, les citoyens de l’UE seraient motivés par des préoccupations nationales lorsqu’ils voteraient pour des politiques européennes. Mais ce niveau ne répondrait à ces préoccupations que dans la mesure où elles sont directement représentées au sein du gouvernement fédéral et peuvent le limiter. Les citoyens voteraient donc pour des partis nationaux et exigeraient des représentants nationaux au sein d’un gouvernement de coalition. Comme dans de nombreux États multinationaux, ils chercheraient à réduire les transferts entre États membres de l’UE, peut-être même plus qu’aujourd’hui, et à obtenir des formes d’autonomie renforcées au niveau national.

Dans le cadre d’un État fédéral, un citoyen européen serait coincé avec un gouvernement européen fédéral dans lequel il n’aurait probablement que très peu d’influence sur les élections

Le droit de tous les peuples à l’autodétermination constitue l’article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L’UE joue actuellement un rôle majeur dans la réalisation de ce droit. Ce faisant, elle soutient l’autodétermination des citoyens de l’UE bien plus que ne le peut la participation à un système européen de gouvernement démocratique supranational. En effet, à l’heure actuelle, les citoyens mécontents des possibilités ou du gouvernement de leur État membre peuvent se rendre dans un autre État qu’ils trouvent plus agréable. Les États-Unis d’Europe, conçus comme un État fédéral, réduiraient les possibilités d’autodétermination nationale et individuelle qui ont été la plus grande réalisation de l’UE.

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