un homme prenant en photo une manifestation, les policiers sont floutés en arrière plan

Police : Faut-il rendre non identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion de vidéos ?

📋  Le contexte  📋

Il est possible de filmer ou de prendre en photo les fonctionnaires de police sur la voie publique, et ce, sans leur demander la permission. Ces derniers n’ont par ailleurs pas le droit de demander la destruction des images, de confisquer le matériel, ou d’arrêter les personnes enregistrant. Seul un officier de police judiciaire est habilité à se saisir d’un appareil photo et de son contenu. En effet, les policiers n’ont pas de protection particulière, la circulaire du 23 décembre 2008 rappelle que : « Soumis à des règles de déontologie strictes, un fonctionnaire de police doit s’y conformer dans chacune de ses missions et ne doit pas craindre l’enregistrement d’images ou de sons. » Quelques exceptions limitent toutefois la prise de vue. Certaines forces de l’ordre sont soumises à une protection particulière, il est dès lors obligatoire de les rendre non identifiables voire il est interdit de les filmer. C’est le cas pour les services d’intervention, la lutte antiterroriste et les services de contre-espionnage. Par ailleurs, pour pouvoir filmer une scène, les images ne doivent pas présenter des « victimes blessées », menottées ou à la liberté entravée. Les images ne doivent pas aussi porter atteinte au secret de l’instruction (les reconstitutions judiciaires ne peuvent être donc filmées). Sources : Francetvinfo, Nouvel Obs

En décembre dernier, le sénateur de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, a proposé trois amendements à la loi contre la haine sur Internet (dite loi Avia). Ces suggestions portaient sur l’interdiction de filmer les forces de l’ordre dans les lieux publics, l’amende pour son non-respect (jusqu’à 45 000€ d’amende et un an de prison), ainsi que l’interdiction de révéler l’identité des agents pour tous les corps des forces de l’ordre. Cette décision avait pour objectif de protéger les policiers nationaux et municipaux, gendarmes et douaniers. Ces amendements n’ont pas été retenus. En mai 2020, le député Éric Ciotti et une trentaine de députés ont déposé une proposition de loi pour anonymiser les policiers. Ainsi, la diffusion d’images dans lesquelles les policiers seraient identifiables, serait punie de 15 000€ d’amende et d’un an d’emprisonnement. La loi veut protéger les forces de l’ordre, et se veut être anti « policier bashing ». Jeudi dernier, Gérard Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a annoncé sa volonté « d’interdire aux télévisions et aux réseaux sociaux de diffuser, sans les flouter, « des images montrant les visages » des policiers en opération. » La question de l’identification des forces de l’ordre est donc d’actualité et fait débat. Sources : Francetvinfo, Tribunal du Net

Affaire Camélia Jordana, George Floyd, tensions entre policiers et manifestants… cette loi est arrivée dans un climat tendu. Elle pose notamment question sur le plan des libertés, puisqu’elle met en concurrence la liberté d’informer et de presse contre le droit à l’image et au respect de la vie privée. Elle oppose ainsi deux « camps ». D’un côté, certains soutiennent la loi, en ce qu’il est important pour eux de prendre conscience du lynchage que subissent les policiers sur les réseaux sociaux – par exemple, il arrive que leurs coordonnées personnelles y soient présentées, ce qui les met en danger. Cette loi viendrait les protéger, grâce au floutage de leur visage (mais elle n’interdirait pas la prise de vue de policiers en action). Quand, de l’autre côté, les opposants à la loi insistent sur l’importance d’avoir des preuves de bavures policières et d’informer l’opinion publique. Par ailleurs, cette mesure de floutage serait difficile à appliquer, et empêcherait la couverture en direct d’un événement. Alors, faut-il rendre non identifiables les forces de l’ordre ?

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Le « Pour »
Raphaël Schellenberger
Député du Haut-Rhin / Secrétaire Général Adjoint Les Républicains
Protégeons les femmes et les hommes derrière l’uniforme !

La montée des violences dans notre société n’est pas simplement un sentiment grossi par la circulation accélérée des images propre à notre temps mais bien une inquiétante réalité qui nous menace tous et ébranle le pacte républicain. Les ignobles violences récemment rapportées, commises à l’encontre de Français dont le seul tort à été de faire correctement leur métier et de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, doivent nous alerter et nous appeler à agir. Dans un état de droit, en démocratie, nos policiers et nos gendarmes sont les seuls détenteurs de la violence physique légitime exercée au nom du peuple français pour en faire respecter les lois. Celle-ci n’est jamais souhaitable et ne peut être mobilisée qu’en dernier recours. Leur tâche est difficile mais essentielle pour que l’ordre républicain protège chacun et notamment les plus fragiles, toujours les plus exposées quand la République recule. Depuis de très longs mois, leur mission s’est encore complexifiée. Dans un contexte d’oppositions multiples, les manifestations et rassemblements organisés dans les grandes villes dégénèrent à présent presque systématiquement, se concluant dans une violence insupportable en démocratie à l’initiative de groupes ultra-violents animés par la seule volonté de détruire et dévoyant le sens des mobilisations. Face à ces tensions extrêmes, nos forces de l’ordre sont à nouveau en première ligne. Derrière ces uniformes se trouvent des femmes et des hommes, des filles et des fils, des sœurs et des frères, parfois des mères et des pères. Ils nous protègent, ils défendent par leur engagement la liberté d’expression et l’ensemble de nos valeurs. Nous devons également les protéger. Au-delà des mots de soutien heureusement souvent exprimés à l’égard de nos forces de l’ordre, il nous faut agir concrètement. C’est le sens de la proposition de loi que je soutiens visant à rendre non identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion d’images dans l’espace médiatique. Ces images les exposent, tout comme leur famille, à la haine et à la violence jusqu’à leur domicile. C’est inacceptable. Défendre cette proposition ne signifie aucunement que les fautes éventuelles commises par nos forces de l’ordre ne doivent pas être sanctionnées. Mais elles doivent l’être dans le cadre d’une procédure judiciaire, à l’issue d’une enquête. En France, la justice ne se rend pas sur les réseaux sociaux ni dans la rue mais dans les tribunaux. Cette proposition réaffirme ce principe évident à l’heure du numérique dont nous comprenons qu’il implique de savoir parfois y fixer des règles.

Le « Contre »
Virginie Marquet
Avocate spécialisée en droit de la presse et des médias
« Informer sur l’action des forces de l’ordre par l’image est fondamental dans un Etat de droits »

Informer les citoyens et leur permettre d’accéder aux événements d’actualité est un droit fondamental indispensable à la survie d’un état démocratique. La profusion d’images auquel le public peut avoir accès, grâce aux multiples outils de communication mis à la disposition de chacun, interroge sur la façon la plus légitime de manier ces contenus parfois délicats. Il est essentiel que les médias relaient l’intervention des forces de l’ordre lors de manifestations publiques ou de tout autre événement. L’action de ces agents d’État doit être connue de tous. Leur rôle étant d’assurer la sécurité des personnes, les conditions d’exercice de leur mission qui touche aux libertés publiques fondamentales et à l’ordre public, doivent pouvoir être contrôlées et soumises au débat public. Qu’il s’agisse d’en exposer les mérites ou d’en dénoncer les abus. Les récents dérapages et abus de certains membres des forces de l’ordre confortent la nécessité de diffusion de ces informations. Cette presse s’inscrit alors dans son rôle de « chien de garde » de la démocratie, selon les termes de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et permet le maintien d’un équilibre. Interdire ou édulcorer cette réalité, en occultant ces images, porterait une grave atteinte à la liberté d’information et accentuerait le risque d’une dérive autoritaire. Dès lors, si ces images illustrent un événement d’actualité de manière pertinente et légitime, il n’apparaît pas nécessaire de masquer l’identité des forces de l’ordre. Rien ne semble a priori justifier de prendre de telles précautions, s’agissant d’images informant sur une mission de service public, dont l’exercice ne devrait, en principe, pas porter atteinte à la dignité ou dégrader l’image des agents qui y figurent. Au même titre que lorsqu’un individu participe à un fait ou à un événement d’actualité, il n’est pas utile de le rendre non identifiable, sous réserve que lesdites images ne portent pas atteinte à sa dignité. Le cœur de la question n’est pas tant d’anonymiser les forces de l’ordre que d’analyser le contexte dans lequel les images sont diffusées. Il faut s’assurer de ne pas dénaturer le sens ou la portée d’images, surtout lorsqu’elles sont diffusées par extraits ou hors contexte. La vérification de la source de l’information prend ici toute son importance. Lorsqu’une personne accède à ce type d’images, elle doit rester vigilante sur son origine, notamment si elle provient d’un site de presse professionnelle ou d’amateurs.

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