Peut-on débattre avec tout le monde ?

📋  Le contexte  📋

Un débat est une discussion entre plusieurs personnes qui exposent des avis, des idées ou des opinions différentes, voire contradictoires. Cette discussion est souvent animée par une personne qui ne prend pas part directement (en théorie) aux échanges et n’exprime pas son point de vue.

Bon jusque là c’est assez simple – sur cette définition, tout le monde est à peu près d’accord. La où ca se complique c’est sur le but du débat. On vous propose notre point de vue sur le sujet. Pour nous un débat n’est pas destinée à vaincre un adversaire, ni même à le «convertir». L’enjeu est de pouvoir éclairer les gens sur un sujet précis en rapprochant des points de vue opposé, afin qu’ils se forgent leur propre opinion. Bon ok, ce but est rarement atteint dans l’espace médiatique aujourd’hui, mais on a le droit de rêver non ?

Beaucoup se sont déjà posé cette question. Sociologues, philosophes, journalistes et bien sûr personnalités politiques : peut-on débattre avec tout le monde ? La question en creux est en fait : peut-on débattre avec des gens aux idées dites « extrêmes »  bien que légales (qui peuvent être dites à la télé) ? Cela a-t-il un intérêt pour nous tous, pour la démocratie ?

Pour certains, il y a une ligne rouge à ne pas franchir : on prend le risque à la fois d’offrir une tribune à ces « extrêmes » et de légitimer un discours dangereux. Ils soulignent également qu’il s’agit souvent d’un combat de cirque, d’une joute rhétorique et non d’une controverse sur le fond. Dans cette situation, nous ne pourrions jamais atteindre le but recherché, à savoir éclairer les citoyennes et citoyens.

Pour d’autre, refuser de débattre avec certaines personnes reviendrait à de la censure. Le débat serait l’outil démocratique par excellence. Pour eux, il faut accepter le débat, même s’il est compliqué car il permettrait de mettre en lumière les failles dans le raisonnement de ces idées « extrêmes ».

La question se pose depuis longtemps dans le cadre du débat politique sans jamais être vraiment tranchée. On peut même dire que l’opinion publique en la matière fluctue.

Dans les années 80, peu de personnalités acceptait de débattre avec l’extrême-droite par exemple et selon certain cela a permis à Jean-Marie Le Pen de monologuer sans subir de contradiction. En 2002, Jacques Chirac est largement approuvé dans sa décision de boycotter le duel d’entre deux tours face à Jean-Marie Le Pen. Mais en 2017, le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ne fait pas particulièrement polémique. Certains jugent même que cela a même érodé la légitimité de la candidate du RN.

A quelques mois de la présidentielle (qui aura lieu en avril 2022), et l’apparition dans le paysage politico-médiatique de personnalités qualifiées d' »extrêmes », la question va se poser régulièrement. Alors, on en débat !

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Manon Aubry
Députée européenne
Face à l'extrême-droite, ne jamais se défiler !

“Débattre ou non avec Zemmour”. Cette question qui a enflammé les réseaux sociaux est légitime et je comprends celles et ceux qui se sont interrogés sur l’opportunité de le faire et le risque de lui donner de la visibilité. Mais la réalité politique l’avait dépassée, Eric Zemmour existant déjà de fait comme personnage politique répandant impunément sa haine raciste. Se pose alors une autre question : comment en est-on arrivé là ?

La réponse est simple car les coupables sont connus. La pensée raciste a d’abord pignon sur rue dans les médias matin, midi et soir. Les thèses les plus abjectes comme le “grand remplacement” ont été totalement banalisées. Eric Zemmour a personnellement bénéficié d’une campagne gratuite depuis des mois sans qu’il n’ait eu à bouger le petit doigt. Le tout, bien évidemment, sans jamais être mis face à des contradicteurs contestant ses horreurs.
La responsabilité du gouvernement est centrale. Car la majorité a préféré légitimer l’agenda politique de l’extrême droite plutôt que de la combattre. Avec une secrétaire d’Etat se déclarant moins effrayée par Zemmour que par le discours intersectionnel. Avec un ministre de l’Intérieur reprochant à Le Pen d’être trop molle. Avec une accumulation de textes législatifs opportunistes rabâchant les références à l’immigration, la sécurité, l’Islam.
Résultat : Zemmour est devenu aujourd’hui une réalité politique. Le monstre a été créé… et il ne disparaîtra pas tout seul ! La question de l’ignorer ou non n’a plus de sens. Il est candidat de fait, même s’il prétend encore s’interroger. Il touche un électorat potentiel significatif confirmé par toutes les enquêtes d’opinion. Et notre devoir politique n’est pas de le regretter mais de l’affronter sur le terrain des idées.

Se pincer le nez et se cacher les yeux devant l’extrême-droitisation néfaste du débat public dans notre pays n’apportera aucun réponse

Se pincer le nez et se cacher les yeux devant l’extrême-droitisation néfaste du débat public dans notre pays n’apportera aucune réponse. Les postures de confort doivent s’effacer car il est temps de contre-attaquer en opposant à l’avenir cauchemardesque proposé par l’extrême-droite une réponse de cohésion, d’espoir et de rassemblement.
Débattre avec Zemmour, c’est d’abord rappeler que tout le monde ne pense pas comme lui. C’est l’occasion de l’affronter sans sourciller ni s’excuser de ses valeurs. Il faut nommer les choses. Oui, Zemmour tient des propos racistes et misogynes. Oui, nous pensons qu’il est un danger terrible. Non, nous ne céderons pas d’un pouce face à ses fantasmes de guerre civile.

Débattre avec Zemmour, c’est également exposer l’arnaque (béante) de sa pensée. Car ânonner inlassablement “Islam” lorsqu’on est interrogé sur le Covid, la justice fiscale, le climat ou les inégalités ne fait pas un projet. L’extrême-droite a toujours joué de ce flou, prétendant défendre le peuple alors qu’elle ne remet aucunement en cause l’accaparement des richesses et du pouvoir par une poignée. Et ce double-discours doit être exposé !
Le débat entre Zemmour et Mélenchon a permis de le rappeler. Car au-delà de ses délires racistes suintant la haine et la peur panique, Zemmour n’est qu’un triste mélange entre le pire de Le Pen et le pire de Macron. La société d’affrontement ethnique et religieux de l’une. La brutalité néolibérale antisociale de l’autre. Avec un zest du déni écologique de Trump en bonus.

En démocratie, on ne se défile pas devant ses responsabilités. On part convaincre, même quand c’est difficile. Pour donner de la force aux siens en incarnant l’espoir et pour réveiller ceux qui doutent. Débattons, partout, tout le temps. Dans les médias, dans les cafés, dans les marchés, dans les rues. C’est la seule manière de reprendre la main sur notre destin collectif.

Le « Contre »
Philippe Poutou
Candidat du NPA à la présidentielle
Il y a des « débats » dont on peut, et doit, se passer

« Nous venons de vivre un moment majeur de la campagne présidentielle. Jean-Luc Mélenchon a mis un coup d’arrêt à la progression de l’extrême droite. Il ouvre une issue positive pour le pays. #VictoireMélenchon ». Ce tweet, signé de Paul Vannier, orateur national de La France Insoumise, publié dans la foulée du débat entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour le 23 septembre, a déjà, comme on dit, « mal vieilli ». Ce dont on aurait pu se douter à l’issue du débat et, en réalité, avant même que celui-ci ne se tienne. Car il y a des « débats » qui peuvent être perdus d’avance, quelles que soient les qualités et/ou les intentions des débatteurs.

« Peut-on débattre avec tout le monde ? » La question n’est pas nouvelle, mais elle a revêtu ces dernières semaines une actualité particulière avec l’omniprésence médiatique du néofasciste Zemmour et les velléités, à droite comme à gauche, de débattre publiquement avec lui. Disons-le d’emblée : il s’agit pour nous d’une question tactique, et le fait de ne pas être d’accord à son propos n’est pas en soi le signe de divergences insurmontables. Il s’avère néanmoins qu’il ne s’agit pas d’une question annexe, a fortiori lorsque des individus aux idées malfaisantes saturent l’espace médiatique.

Un débat suppose une confrontation de pensées, d’idées, d’arguments. Ce que ne produit pas un personnage comme Zemmour, qui ne fonctionne qu’à l’outrance, à la provocation, à l’injure.

Si nous avions été conviés à un débat en tête-à-tête avec Zemmour sur BFM-TV, nous aurions refusé. Car un débat suppose une confrontation de pensées, d’idées, d’arguments. Ce que ne produit pas un personnage comme Zemmour, qui ne fonctionne qu’à l’outrance, à la provocation, à l’injure. Accepter de « débattre » en tête-à-tête avec Zemmour et consorts, c’est donc en premier lieu s’illusionner sur la possibilité de « déconstruire rationnellement des arguments », puisqu’il n’y a de facto aucun argument à déconstruire, pas plus que l’on ne peut démonter une pierre. Mais c’est aussi participer à donner le statut de « pensée » ou d’ « idées » faisant légitimement partie du débat public à ce qui n’est rien d’autre que des propos de haine et d’incitation à la violence — comme l’ont d’ailleurs confirmé les tribunaux.

Le fait que les grands médias et la droite aient contribué, depuis de longues années, à légitimer l’extrême droite et ses idées, est une évidence, et loin de nous l’idée selon laquelle un débat avec Zemmour en 2021 serait le moment fondateur de cette légitimation. Il n’en demeure pas moins que rien n’oblige la gauche, qu’elle soit réformiste ou révolutionnaire, à participer à ce processus de légitimation en acceptant des tête-à-tête médiatiques avec les héritiers des nazis. Un type de configuration très différente, soulignons-le, du débat présidentiel d’avril 2017, entre touTEs les candidatEs, dans lequel la présence de tel ou tel ne jouait nullement un rôle de légitimation des autres. Ce que nous avions montré en refusant, par exemple, de poser sur la « photo de famille ».

Au-delà des individus, la question des formats ne peut en effet être ignorée. La « méthode Zemmour » (raccourcis, amalgames, outrances) est parfaitement adaptée au format « débat contradictoire mis en scène par une chaîne d’info  » – à moins que ce ne soit l’inverse. Zemmour est partout, son discours fasciste aussi, et il y a bien d’autres moyens de le combattre que de venir sur « son » terrain. Le résultat est malheureusement connu d’avance : « C’est comme se battre avec un porc. Vous finissez tous les deux couverts de boue, et le porc est content. »

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