#MeTooPolitique : vers la fin d’un système hégémonique ?

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LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Plusieurs militants et professionnels politiques ont été récemment accusés de violences, d’agressions ou d’abus à l’encontre d’autres militant-es, de leurs partenaires ou ex-compagnes. Ces faits, parfois portés à connaissance des cadres des organisations, s’inscrivent dans une série d’événements ébranlant le corps politique, et ont été dénoncés par le mouvement #MeTooPolitique. Il a mis en lumière, à différents degrés, des agissements et des actes répréhensibles loin d’être unanimement condamné et gérés par les appareils politiques.

Le microcosme politique à l’image de la société

Sans transparence ni exemplarité, le microcosme politique serait-il à l’image de la société dans les rapports de domination entre hommes et femmes ? Ce système socioculturel qu’est la classe politique, davantage exacerbé par les jeux de pouvoir à caractère viriliste, représenterait-il un entre-soi où règnent un ordre établi et une hiérarchie sexuée que les dominants souhaitent insatiablement reproduire en réifiant (rendre objet) « le deuxième sexe » ?

Malgré des préjugés et stéréotypes sexués dévalorisants, les femmes impliquées en politiques essayent d’évoluer dans un milieu surreprésenté par des hommes au profil type suivant : bourgeois, blanc, âgé, hétérosexuel cumulant différents capitaux et réseaux, s’attribuant une autorité « morale » ainsi qu’une légitimité « naturelle » à travers l’exercice démesuré d’un pouvoir qui tend à exclure ceux qui ne correspondent pas aux « élus ». En ce sens s’érige un mythe de la puissance de l’homme politique, lequel est présenté à la fois comme conquérant – auprès de l’électorat avec l’expérience et le cumul des « responsabilités », mais également des femmes – et, forcément, irrésistible aux yeux de ces dernières qui ne pourraient résister à leur suprême aura masculine. Ce mythe vit-il ses derniers moments ?

Le sexisme comme barrière à l’espace politique

La scène politique se caractérise par l’imprégnation d’un sexisme d’apparence « ordinaire » alors qu’il est fréquent et banalisé comme le montre, notamment, les données du site « Chair collaboratrice ».

En cela, s’applique un processus qui tend à décourager et à faire renoncer nombre de femmes souhaitant entrer ou se pérenniser dans la vie politique.

Dans ce champ, les hommes évoluent dans un milieu patriarcal et fratriarcal où le culte de la virilité est manifesté et célébré à travers l’exercice du pouvoir. Comme les femmes sont perçues et jugées incapables de penser et de faire de la politique sans l’influence ou la tutelle d’un homme, elles sont inéluctablement associées à une figure masculine d’autorité : prêtre à une époque, père, conjoint, protecteur, mentor…

Le clientélisme dans la vie politique

Ainsi, dans la vie politique, s’exerce fréquemment un parrainage, une cooptation voire un clientélisme pour lequel il faudrait se montrer reconnaissant·e et redevable, parfois de manière disproportionnée pour une femme possiblement « en dette » (accès à un stage, un poste, une investiture, une candidature, un logement, un mode de garde ou une école pour son enfant, etc.)

Ce sexisme en politique se retrouve dans nombre de situations de la mise en scène d’un quotidien hostile, discriminant, insultant et agressif envers les femmes parce qu’elles sont femmes…

Se montrer résistantes et transgressives

Dès lors, les quelques femmes – « hors-normes » – pouvant se montrer résistantes et transgressives en parvenant à se professionnaliser et/ou à perdurer en politique, le savent bien au point que leurs témoignages attestent au-delà des conflits, des affrontements ainsi que des tentatives de marginalisation et d’exclusion dont elles ont été sujettes, de véritables agressions symboliques voire physiques, y compris dans leur propre camp. Plusieurs femmes politiques et collaboratrices s’en sont ainsi confiées dans l’ouvrage issu de mes recherches, p.213) :

La peur d’être jugée est bien présente chez les femmes alors que c’est ça de faire de la politique : c’est aussi se soumettre au jugement et à l’appréciation des autres. Montrer qui on est, découvrir, dévoiler… Ça veut dire la peur de livrer certaines choses leur appartenant. Et puis il faut dire que les quelques femmes qui se sont exposées et qui sont en politique, on leur a fait un tel sort que comment avoir envie de vivre ça ? Moi, Ségolène Royal photographiée en maillot de bain sur la plage : franchement, c’est terrifiant !“ (Directrice d’un service municipal et membre de cabinet)

Cette situation complexe et éprouvante que des femmes en politique ont souvent vécue, se réfère fréquemment aux agressions et aux insultes à caractère sexiste qui prennent une dimension collective et non individuelle.

En effet, ces attaques ne sont pas dirigées contre leur singularité mais, incontestablement, contre l’ensemble des femmes en raison de leur appartenance à l’autre sexe jugé « contre-nature » dans la sphère politique et, qui, par conséquent, en est différencié, dévalorisé et infériorisé.

Un sexisme politique tout aussi féminin

Le sexisme en politique s’exprime, paradoxalement et également, à travers les voix et les actes de certaines femmes. C’est d’ailleurs le cas lorsque sont missionnées d’autres femmes, politiques ou non, reprenant à leur compte les attaques dont les femmes politiques sont couramment ciblées de la part de nombre de leurs homologues masculins.

« Les femmes ne font pas plus de cadeaux que les hommes d’ailleurs. Moi, la dernière attaque que j’ai entendu sur moi, c’est une femme qui a été la plus violente. Avec une attaque de femme contre une femme. Elle ne l’aurait jamais dit d’un homme hein. Et c’est une femme, une femme qui vient d’être élue conseillère régionale de mon propre parti. Et c’était parce qu’en fait j’étais une femme. C’est sûrement dans les attaques qui m’ont le plus touché parce que c’était une femme… » (Députée Parti socialiste et ancienne ministre, 60 ans, extrait d’entretien de mon livre, p. 218)

Dès lors, la confrontation indirecte à une femme politique par le biais et avec la complicité d’autres femmes, est de plus en plus encouragée dans la compétition politique, à l’initiative d’opposants masculins qui tentent de ne pas apparaître publiquement sexistes et agressifs envers l’autre sexe.

De fait, le sexisme se manifeste plus insidieusement et de manière détournée, en déployant des stratagèmes dont le but est de contrer une potentielle concurrente voire, plus largement, de nuire à une autre femme…

Entre démesure et toute-puissance

Violence symbolique, violence verbale voire, moins fréquemment, violences physiques et sexuelles : voilà de quoi est constitué la violence politique que subit grand nombre de femmes réduites à un corps biologique fantasmé, érotisé et stigmatisé.

Réactions de députés à l’Assemblée nationale après que Cécile Duflot ait été chahutée pour sa robe à fleurs (L’Obs, 2012).

D’un point de vue psychique, les postures narcissiques et mégalomanes de certains politiques reflètent l’image d’un sujet autocentré et sans limites, à travers une attitude vécue comme stimulante et excitante – du moins à son niveau.

À travers le syndrôme d’Hubris – ou la maladie du pouvoir – tous les mécanismes de défense masculiniste sont à l’œuvre pour inhiber et s’attaquer à la parole des femmes : celui d’une misandrie, de la menace « d’un péril féministe » prenant sa source d’une sororité revendicative et vindicative ; celui du brandissement d’un « tribunal médiatique, d’un « lynchage populaire », d’une « présomption de culpabilité » voire d’une mort sociale annoncée en cas d’expressions et de manifestations féminines jusqu’à là frappées par une chape de plomb.

Pendant longtemps, et dans l’omerta, les femmes ne souhaitaient pas publiquement se confier sur ce genre de sujet jugé honteux voire tabou, allant même jusqu’à le contester voire le dénier lorsqu’elles étaient interrogées dessus. De fait, la temporalité du traumatisme des victimes se heurte au temps judiciaire et aux risques de classement sans suite ou au délai de prescription des faits. Souvent le processus de libération de la parole est long.

La crainte des représailles

Par crainte de se distinguer de leurs homologues masculins en apparaissant comme « différentes », « faibles », « victimes » ou, par peur des représailles socio-économiques, elles tentent de refouler, de faire oublier ou de se faire oublier…

Ces représailles qui planent sur leurs paroles à l’instar d’autres secteurs comme le dévoilait récemment une enquête du Monde sur la RATP, menacent leur emploi, leurs revenus, leur statut professionnel précaire de collaboratrice voire celui d’un possible mandat éléctif, leur évolution professionnelle ou politique ; leur engagement à la chose publique, l’image de sa « famille » politique pour qui les révélations implosives et explosives de harcèlement ou d’agression pourraient nuire. À titre d’exemple, l’affaire Denis Baupin en 2016 – l’élu a été mis en cause pour agressions sexuelles mais l’enquête a été classée sans suite pour prescription – illustre parfaitement l’intériorisation et l’intégration de codes, de normes et de règles liées la violence et au virilisme où le refoulement des unes et le déni des autres en sont les révélateurs.

Sur un plan plus personnel, des allégations peuvent aussi porter sur leur réputation à travers un phénomène de rumeur, des répercussions susceptibles d’être dirigées également contre leur entourage…

Des stratégies d’évitement et de survie

Dans ces conditions, se manifestent, chez ces femmes, autant d’obstacles à la dénonciation d’une agression – aussi diverse soit-elle – ou d’un harcèlement à caractère sexuel subi ou dont elles auraient été témoin. Cela ne signifie pas qu’entre collègues féminines, elles ne s’en confient pas – tout du moins de manière préventive pour éviter le contact ou la collaboration avec certains hommes à travers le déploiement de stratégies de contournement, d’évitement voire de survie.

Alors, au fil du temps, la parole des femmes se serait-elle libérée dans le milieu politique ? Dans ce contexte, l’objectif visé pour elles : serait-il de rendre audible l’inaudible et de rendre visible l’invisible ? Et par là même, de pouvoir agir sur la représentation des invisibles dans une caste politique s’attribuant n’importe quels « droits » et cumulant des privilèges dans un sentiment de toute-puissance ? En ce sens, quelle réelle prise en compte des violences sexistes voire sexuelles par les organisations politiques, au-delà même d’une prise de conscience collective par la société ?

Cinq femmes politiques répondent au sexisme ordinaire (Brut, 2019).

Dans cette configuration et afin de ne pas être davantage affaiblies, les femmes demeurent dans l’obligation de s’emparer, individuellement et/ou collectivement, de leurs destins (politiques) pour s’imposer malgré un climat de violence qui pourrait, dans la mesure du possible, être contournée à raison de résistances, de mobilisations et d’alliances.

Globalement et à ce jour, la parole et la mobilisation des femmes font encore état d’un manque de transparence et d’exemplarité des organisations politiques, à travers des comportements irresponsables de « responsables ». Ces agissements, parfois délictueux, peuvent être condamnables voire sanctionnables afin de mettre fin à une impunité à la fois judiciaire et politique. Néanmoins, certains partis expérimentent des cellules de veille pour recueillir et entendre la parole, de part et d’autre, enquêter, interroger puis intervenir dans une volonté éthique et déontologique. Cependant, le chemin reste encore long…

The Conversation

Mérabha Benchikh, Sociologue, enseignante et chercheuse, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

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