S’informer
Se positionner
Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
L’historicité comme proposition philosophique
Geneviève Fraisse
Philosophe, directrice de recherche émérite au CNRShttps://cnrs.academia.edu/genevieveFraisse
La référence à la célèbre phrase de Simone de Beauvoir est évidente mais elle se double ici, curieusement, d’un enjeu de vérité. Est-il vrai, est-il faux,? Une telle question étonne. Si je m’intéresse à ce que la vérité peut avoir affaire avec la question sexe/genre, je suis loin de vouloir la décréter. Par conséquent, on ne peut répondre à la question impérieuse vrai/faux qu’en se mettant au travail: que cache cette phrase de Beauvoir comme implicites philosophiques?
Que cache cette phrase de Beauvoir comme implicites philosophiques?
Plusieurs réponses sont possibles, plusieurs réponses à partir desquelles je préciserai celle qui m’intéresse, celle qui me semble pertinente au regard de la sexuation de monde et de l’émancipation des femmes.
La phrase de Simone de Beauvoir est en général utilisée pour souligner la construction sociale contraignante auquel un sexe, le sexe féminin, est soumis.
Un sexe serait à la fois fixé par sa naissance (appartenance à une catégorie) et par sa destinée obligée dans le monde adulte. La société se chargerait du bon déroulement de l’évolution nécessaire. C’est évidemment d’un point de vue critique, voire avec une attitude dénonciatrice, que cette lecture, très répandue, est retenue. On entend alors l’opposition sexe/genre, sexe biologique/genre social dans le langage d’aujourd’hui; on entend aussi le paradigme qui soutient cette opposition, à savoir le modèle nature/culture tel qu’il a été mis en œuvre au XXème siècle avec un succès épistémologique important.
Le schéma nature/culture est périmé
Or ce schéma nature/culture est largement mis en cause depuis la fin du XXème siècle. J’ajoute même , il est périmé, n’offrant d’autre perspective qu’une boucle déprimante: plus je dirai que c’est social, plus je renforcerai l’idée de nature qu’il faut combattre. Quasi un cercle vicieux.
Je choisis, par conséquent une autre perspective, celle du verbe de cette phrase célèbre, du verbe « devenir ». La force, alors, de Simone de Beauvoir est d’affirmer qu’il y a devenir, donc qu’il y a une histoire possible, une histoire qui pourrait nous surprendre, qui pourrait advenir grâce à la liberté du sujet. On abandonne donc le point de départ et le point d’arrivée, le sexe à qui on impose d’obéir au genre, et on ouvre la porte à l’inconnu. Point de nature/culture mais de l’historicité!
On nait potentiellement femme et on le concrétise tout au long de sa vie
Jacques Balthazart
Professeur Associé Emérite, GIGA Neurosciences, Université de Lliège, Belgiquehttp://www.bioneuro.ulg.ac.be
Les données scientifiques accumulées à partir de 1950, non disponibles donc au moment où Simone de Beauvoir énonce sa thèse, démontrent l’existence de différences morphologiques et physiologiques entre les cerveaux masculins et féminins qui sous-tendent les différences comportementales entre hommes et femmes tant au niveau de la sexualité (orientation sexuelle, identité de genre,…) qu’au niveau cognitif. Ces différences sont quantitatives plutôt que qualitatives et il existe un recouvrement entre les valeurs extrêmes des deux sexes. Il en va cependant de même pour les températures observées à Marseille et à Paris mais personne n’aurait l’idée de nier les différences de climat entre ces deux villes ! Reste à savoir quelle est l’origine de ces différences sexuelles: la biologie (thèse essentialiste) ou l’éducation (thèse constructiviste) ?
Les êtres humains portent en eux les germes des différences sexuelles
La cellule initiale qui deviendra un être humain, femme ou homme, porte en elle les germes des différences sexuelles, les chromosomes XX ou XY. Au cours des neuf mois suivants apparaîtront des structures génitales sexuellement différenciées, des hormones spécifiques et un cerveau masculin ou féminin, pour certaines de ses parties. Ces étapes se passent dans le ventre maternel et sont peu influencées par le monde extérieur.
L’éducation différenciée que reçoivent les garçons et filles induit ensuite de nombreuses différences comportementales entre les sexes, voire des différences dans le cerveau sachant que celui-ci est plastique et réagit aux expériences de vie, la fameuse plasticité neuronale ! Cependant ces différences se construisent sur la base biologique différenciée, organisée de façon irréversible à la naissance, par des mécanismes mis en évidence dans les études animales.
L’orientation sexuelle est fortement influencée par des facteurs hormonaux
Il est possible par manipulations hormonales ou génétiques prénatales d’inverser le sexe d’un individu. Ces manipulations sont impossibles chez l’Homme pour des raisons éthiques évidentes mais la recherche clinique et épidémiologique montre que les mêmes mécanismes y restent actifs. Je résume les études qui soutiennent cette idée dans un livre paru récemment, Quand le cerveau devient masculin (Balthazart 2019). A titre d’exemple, les petites filles exposées à des taux anormalement élévés de testostérone in utero montrent une préférence pour les jeux et activités masculines même si elles sont élévées en tant que filles. De même, l’orientation sexuelle est fortement influencée par des facteurs hormonaux, génétiques et épigénétiques prénataux alors qu’aucune donnée scientifique ne soutient le rôle d’un aspect quelconque de l’éducation (Balthazart 2010).
La thèse de Simone de Beauvoir est donc partiellement correcte mais elle ignore complètement la dimension biologique de la féminité.
Ajoute ton argument ou vote pour le plus pertinent !
Soyez le premier à commenter