petite fille qui tient sa tête dans ses genoux

Pour ou contre la clause Roméo et Juliette ?

📋  Le contexte  📋

Promulguée le 21 avril 2021, cette loi a été proposée en fin d’année 2020 par la sénatrice Annick Billon. Son examen a débuté dans le contexte de la publication du livre de Camille Kouchner, La Familia Grande, qui dénonce des agressions sexuelles commises à l’encontre de son frère par leur beau-père, Olivier Duhamel, politologue et professeur réputé de Sciences Po Paris. 

La loi apporte une modification importante au corpus législatif sur les questions de violences sexuelles envers des mineurs : elle rend impossible la possibilité de consentement d’un mineur de moins de 15 ans (et moins de 18 ans quand il s’agit d’inceste). Cela signifie que les juges “n’ont plus à établir une violence, une contrainte, une menace ou une surprise pour constater et punir le viol ou l’agression sexuelle”. 

Concrètement, cela veut dire que si un adulte de 30 ans a une relation sexuelle avec un mineur de 14 ans, l’adulte ne peut pas argumenter que la relation était consentie.

C’est là que la clause Roméo et Juliette intervient. Cette clause vise à préserver les amours adolescentes, et à éviter que des jeunes qui viennent d’avoir 18 ans et qui ont des relations légitimes avec des jeunes de moins de 15 ans soient condamnés automatiquement. 

Elle prévoit que les sanctions ne s’appliquent que si la différence d’âge est d’au moins 5 ans entre la personne majeure et le mineur de moins de 15 ans. La clause ne joue pas dans le cas d’inceste ou d’une agression sexuelle. Défendue notamment par la rapporteure à l’Assemblée Nationale Alexandra Louis (LREM) et par le Garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti, la clause souhaite protéger les couples légitimes qui pourraient être visés par un parent le jour de la majorité d’un des deux jeunes.

Suite à l’amendement qui inclut cette clause Roméo et Juliette, des élus, des responsables associatifs et des personnalités ont publié une tribune dans le Journal Du Dimanche (JDD), en dénonçant le manque de substance de cette loi.

En effet, la critique de la clause concerne tant la rhétorique, qui est accusée de romantiser les relations sexuelles entre des mineurs de moins de 15 ans et des jeunes adultes, que le fond. Pour certains, cette exception protège tous les jeunes agresseurs de 18-20 ans, qui représentent un certain nombre d’affaires selon l’avocate Carine Durrieu Diebolt.

 

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »
Marie Mercier
Sénatrice de Saône-et-Loire (LR)
Une seule priorité : lutter ensemble contre le fléau des crimes sexuels sur mineurs

NDLR – Avertissement de contenu : cette tribune traite de violences sexuelles à l’encontre de mineurs. 

Je ne suis pas particulièrement favorable aux seuils d’âge : ils ignorent les situations individuelles et traitent injustement les moins ou plus un jour.

Aussi, en tant que rapporteur de la loi Schiappa du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, j’ai proposé d’inverser la charge de la preuve en matière de viol sur mineurs lorsque ceux-ci sont incapables de discernement ou en cas de différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure : dans ces deux cas, ce sera à l’agresseur de prouver qu’il n’y a pas eu contrainte ! Cette mesure permet de s’adapter à la diversité des situations et surtout de protéger tous les mineurs jusqu’à 18 ans.

La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste du 21 avril 2021, que j’ai aussi rapportée au Sénat, crée une infraction autonome de crime sexuel sur mineur de 0 à 15 ans. Ce seuil est assorti d’un écart d’âge de cinq ans – dite clause Roméo et Juliette – entre l’auteur des faits et la victime : les relations consenties entre un mineur d’un peu moins de 15 ans et un tout jeune majeur, qui ont pu débuter alors qu’ils étaient mineurs, ne seront pas automatiquement criminalisées. Cette clause admet les amours adolescentes, elle n’intervient pas si une agression ou un viol est commis.

Il n’y a jamais de manière simple de répondre à un problème complexe. Cette loi a le mérite de faire parler du fléau des crimes sexuels sur mineurs et d’accompagner la libération de la parole. Elle n’empêchera pas les agresseurs d’agir.

Je pense que l’éducation est primordiale et j’en appelle à une politique ambitieuse de sensibilisation de la société : des adultes – parents, enseignants, soignants, forces de l’ordre, justice… – mais également des enfants.

L’accès des enfants à la pornographie sur Internet est un désastre pour leur représentation de la sexualité et du consentement. Dans la loi du 30 juillet 2020 contre les violences conjugales, j’ai fait voter un amendement obligeant les sites pornographiques gratuits à contrôler l’âge de leurs visiteurs. Le président du CSA a mis en demeure six éditeurs hors la loi pour les menacer de déréférencement ou blocage.

Cette disposition fait des émules : elle a inspiré la sénatrice du Québec qui m’a auditionnée et déposé une proposition de loi au Canada. Je suis heureuse que la cause des enfants puisse ainsi progresser.

Le « Contre »
Patrick Loiseleur
Vice-président de l’association Face à l’inceste, membre du Collectif pour l’Enfance
Protégeons les 13-14 ans contre l’inceste et les viols en réunion

NDLR – Avertissement de contenu : cette tribune traite de violences sexuelles à l’encontre de mineurs. 

Depuis 1945, le délit d’atteinte sexuelle interdit strictement tout acte sexuel commis par un majeur sur un enfant de moins de 15 ans. La loi Billon renforce cet interdit en qualifiant de viol passible de 20 ans de prison toute pénétration sexuelle d’un enfant de moins de 15 ans par un adulte. La condition de « menace, surprise, violence ou contrainte » qui définit actuellement le viol ne sera plus exigée dans ce cas.

La justice française va donc cesser de demander à un.e enfant de moins de 15 ans: « étais-tu consentant.e ? ». C’est une grande avancée pour le droit des enfants et pour leur sécurité face à des prédateurs sexuels adultes qui trouvent en eux des proies faciles. De nombreux pays Européens (Allemagne, Belgique, Italie, Royaume-Uni) ont adopté des lois similaires. Au prétexte de préserver les « amours adolescentes », le ministre Dupond-Moretti a introduit la condition supplémentaire d’un écart d’âge de plus de 5 ans. Or la réalité que voient les associations sur le terrain n’a rien de romantique. L’âge moyen du premier rapport sexuel consenti est supérieur à 17 ans selon l’INED.

La majorité des enfants de 13 ou 14 ans qui ont déjà vécu des rapports sexuels sont des victimes d’inceste, de prostitution, de pédocriminalité, de viol en réunion. La clause « Roméo & Juliette » s’appliquera même dans les cas d’inceste, pour peu qu’il n’y ait pas autorité de droit ou de fait. Ce qui veut dire qu’un grand frère de 18 ans qui viole sa sœur de 13 ans et demi ne sera pas jugé pour viol. Et si le frère incestueux invite un ami de 18 ans pour commettre un viol en réunion, il leur suffira de dire que l’enfant a l’air « consentante » et même la vidéo porno amateur qu’ils ont tournée pourra servir de preuve contre l’enfant victime.  Ils seront poursuivis pour « atteinte sexuelle » mais pas pour viol.

C’est un choix politique : le gouvernement et la majorité favorisent la « liberté sexuelle » des enfants qui devront se protéger eux-mêmes des prédateurs sexuels dès 13 ans. Nous préférons la protection des enfants par un interdit fort et clair. Quant aux jeunes amoureux qui flirteraient avec les limites légales, qu’ils ne s’inquiètent pas: c’est le rôle des magistrats d’appliquer la loi avec discernement, et de décider de « l’opportunité des poursuites », ce qu’ils font déjà en appliquant le délit d’atteinte sexuelle uniquement lorsqu’il y a un préjudice pour l’enfant.

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