Photo de personnes dans la rue lors de la Commune de Paris

[Histoire] Pour ou contre la Commune de Paris ?

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

 

📋  Le contexte  📋

La Commune est une insurrection du peuple parisien qui eut lieu du 18 mars au 28 mai 1871. Régime fondé sur la démocratie directe et des principes libertaires, des élections municipales sont organisées, élisant un comité communal politiquement et socialement très hétéroclite. Celui-ci est composé d’une majorité de jacobins et de blanquistes, qui souhaitent une République centrale et forte et d’une minorité de socialistes plus radicaux, inspirés des thèses de Proudhon, précurseur de l’anarchisme, et de Marx. Malgré les divergences d’opinions, des mesures avant-gardistes sont adoptées : liberté d’expression, d’association, séparation de l’Eglise et de l’Etat, instauration de l’union libre, mise en place de l’égalité salariale…Si le mouvement manque de temps pour réellement instaurer ces mesures, il marque un tournant important, particulièrement en matière de droit des femmes. 

Sources : Larousse, Hérodote.

La Commune fait suite à la défaite de Sedan du Second Empire face à la Prusse et à la reddition de Napoléon III en septembre 1870. Un gouvernement provisoire est alors mis en place, préliminaire à la IIIème République Française. Néanmoins, les mesures prises par ce gouvernement bourgeois et majoritairement monarchiste et surtout l’acceptation de conditions de paix considérées comme humiliantes mécontentent les Parisiens. La suppression du solde de la Garde Nationale et du moratoire sur les loyers et les dettes à la suite du siège de Paris est l’élément déclencheur. Le 18 mars 1871, après que le gouvernement d’Adolphe Thiers ait décidé de transférer son siège à Versailles, Paris se soulève et la Commune est proclamée. Le mouvement est finalement écrasé lors de la “Semaine Sanglante” du 21 au 28 mai 1871, faisant plus de 20 000 victimes parmi les insurgés. D’importants monuments parisiens comme l’Hôtel de Ville ou le Palais des Tuileries sont incendiés.

Source : Le Figaro.

Aujourd’hui, des manifestations de la Commune sont toujours présentes. Dans Paris, le mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise, où plus de 400 insurgés ont été exécutés, est devenu l’emblème des martyrs communards. La très connue Basilique du Sacré-Cœur est elle-même un symbole des plus controversés. En effet, selon certaines thèses, celle-ci aurait été bâtie pour expier les crimes des communards, à l’endroit-même où le soulèvement a débuté. 

De nombreuses personnalités de la Commune ont marqué le siècle par leur engagement. Louise Michel notamment en fut l’une des figures les plus importantes. Fille illégitime d’une servante, elle participa activement au mouvement populaire, se battant pour les droits des ouvriers, des femmes, l’abolition de la peine de mort et la fin de tout pouvoir central. Elle est finalement condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie où elle reste jusqu’en 1880. En 1883 elle arbore pour la première fois le drapeau noir, drapeau anarchiste. 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Le « Pour »
Louise Michel (1830-1905)
Institutrice, militante anarchiste, franc-maçonne, féministe et l’une des figures majeures de la Commune de Paris
Défense du drapeau noir de Louise Michel lors de son procès, 22 juin 1883

Il y a quelque chose de plus important, dans ce procès, que l’enlèvement de quelques morceaux de pain. Il s’agit d’une idée qu’on poursuit ; il s’agit des théories anarchistes qu’on veut à tout prix condamner. (…)

J’ai vu les généraux fusilleurs ; j’ai vu M. de Gallifet faire tuer, sans jugement, deux négociants de Montmartre qui n’avaient jamais été partisans de la Commune ; j’ai vu massacrer des prisonniers, parce qu’ils osaient se plaindre. On a tué les femmes et les enfants ; on a traqué les fédérés comme des bêtes fauves ; j’ai vu des coins de rue remplis de cadavres. Ne vous étonnez pas si vos poursuites nous émeuvent peu.

Ah certes, monsieur l’avocat général, vous trouvez étrange qu’une femme ose prendre la défense du drapeau noir. Pourquoi avons-nous abrité la manifestation sous le drapeau noir ? Parce que ce drapeau est le drapeau des grèves et qu’il indique que l’ouvrier n’a pas de pain.

Nous n’avons pas fait appel à l’Internationale morte parce qu’on n’a pu en réunir les tronçons et parce que l’Internationale est un pouvoir occulte et qu’il est temps que le peuple se montre au grand jour.

(…) J’aime mieux voir Gautier, Kropotkine et Bernard dans les prisons qu’au ministère. Là ils servent l’idée socialiste, tandis que dans les grandeurs on est pris par le vertige et on oublie tout.

Quant à moi, ce qui me console, c’est que je vois au-dessus de vous, au-dessus des tribunaux se lever l’aurore de la liberté et de l’égalité humaine. Nous sommes aujourd’hui en pleine misère et nous sommes en République, mais ce n’est pas là la République. La République que nous voulons, c’est celle où tout le monde travaille, mais aussi où tout le monde peut consommer ce qui est nécessaire à ses besoins (…).

On nous parle de liberté : il y a la liberté de la tribune avec cinq ans de bagne au bout. Pour la liberté de réunion c’est la même chose. En Angleterre, le meeting aurait eu lieu ; en France, on n’a pas même fait les sommations de la loi pour faire retirer la foule qui serait partie sans résistance.

Le peuple meurt de faim, et il n’a pas même le droit de dire qu’il meurt de faim. Eh bien, moi, j’ai pris le drapeau noir et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain. Voilà mon crime ; vous le jugerez comme vous voudrez.

Vous dites que nous voulons faire une révolution. Mais ce sont les choses qui font les révolutions : c’est le désastre de Sedan qui a fait tomber l’empire, et quelque crime de notre gouvernement amènera aussi une révolution. Cela est certain. Et peut-être vous-mêmes, à votre tour, vous serez du côté des indignés si votre intérêt est d’y être. Songez-y bien. S’il y a tant d’anarchistes c’est qu’il y a beaucoup de gens dégoûtés de la triste comédie que depuis tant d’années nous donnent les gouvernants.

Je suis ambitieuse pour l’humanité ; moi je voudrais que tout le monde fût assez artiste, assez poète pour que la vanité humaine disparût. (…)

Je ne veux pas discuter l’accusation de pillage que l’on me reproche, cela est trop ridicule. Mais, si vous voulez me punir, je commets tous les jours des délits de presse, de parole, etc. Eh bien ! Poursuivez-moi pour ces délits.

En somme, le peuple n’a ni pain ni travail, et nous n’aurons en perspective que la guerre. Et nous, nous voulons la paix de l’humanité par l’union des peuples.

Voilà les crimes que nous avons commis.

Chacun cherche sa route ; nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté et de l’égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux.

Le « Contre »
Gustave Flaubert (1821-1880)
Ecrivain français
Lettre de Gustave Flaubert à George Sand, 29 avril 1871

Je ne suis pas comme beaucoup de gens que j’entends se désoler sur la guerre de Paris. Je la trouve, moi, plus tolérable que l’invasion. Il n’y a plus de désespoir possible, et voilà ce qui prouve, une fois de plus, notre avilissement. «Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là !» est le cri universel des bourgeois. Je mets dans le même sac messieurs les ouvriers, et qu’on f… le tout ensemble dans la rivière ! – ça en prend le chemin, d’ailleurs – et puis le calme renaîtra. Nous allons devenir un grand pays plat et industriel comme la Belgique. La disparition de Paris (comme centre de gouvernement) rendra la France incolore et lourde. Elle n’aura plus de cœur, plus de centre, et, je crois, plus d’esprit.

      Quant à la Commune, qui est en train de râler, c’est la dernière manifestation du moyen âge. La dernière ? Espérons-le !

      Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.

      La Commune réhabilite les assassins, tout comme Jésus pardonnait aux larrons, et on pille les hôtels des riches, parce qu’on a appris à maudire Lazare, qui était, non pas un mauvais riche, mais simplement un riche. «La République est au-dessus de toute discussion» équivaut à cette croyance : «le Pape est infaillible !» toujours des formules ! Toujours des dieux !

      L’avant-dernier dieu, qui était le suffrage universel, vient de faire à ses adeptes une farce terrible en nommant «les assassins de Versailles». À quoi faut-il donc croire ? À rien ! C’est le commencement de la sagesse. Il était temps de se défaire «des principes» et d’entrer dans la Science, dans l’examen. (…) 

Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre et soient écoutés. Notre salut est maintenant dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres.

      Si l’on eût été plus éclairé, s’il y avait eu à Paris plus de gens connaissant l’histoire, nous n’aurions subi ni Gambetta, ni la Prusse, ni la Commune. Comment faisaient les catholiques pour conjurer un grand péril ? Ils se signaient en se recommandant à Dieu et aux saints. Nous autres, qui sommes avancés, nous allions crier : «Vive la République !» en évoquant le souvenir de 92 ; et on ne doutait pas de la réussite, notez-le. (…)

L’Autriche ne s’est pas mise en révolution après Sadowa, ni l’Italie après Novare, ni la Russie après Sébastopol. Mais les bons Français s’empressent de démolir leur maison dès que le feu prend à la cheminée. (…)

      Pour le quart d’heure, Paris est complètement épileptique. C’est le résultat de la congestion que lui a donnée le siège. La France, du reste, vivait, depuis quelques années, dans un état mental extraordinaire. (…) On avait perdu toute notion du bien et du mal, du beau et du laid. Rappelez-vous la critique de ces dernières années. Quelle différence faisait-elle entre le sublime et le ridicule ? Quel irrespect ! quelle ignorance ! quel gâchis ! «Bouilli ou rôti, même chose !» et en même temps quelle servilité envers l’opinion du jour, le plat à la mode !

      Tout était faux : faux réalisme, fausse armée, faux crédit et même fausses catins. (…) Et cette fausseté (qui est peut-être une suite du romantisme, prédominance de la passion sur la forme et de l’inspiration sur la règle) s’appliquait surtout dans la manière de juger. On vantait une actrice, mais comme bonne mère de famille. On demandait à l’Art d’être moral, à la philosophie d’être claire, au vice d’être décent et à la Science de se ranger à la portée du peuple.(…)

 

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