Tourisme humanitaire

Pour ou contre le tourisme humanitaire ?

📋  Le contexte  📋

Dans le secteur de l’humanitaire s’est récemment développée une pratique appelée “tourisme humanitaire” (ou “volontourisme”). Il s’agit d’une forme de voyage particulière puisqu’elle gravite autour de l’aide humanitaire. L’idée promue est de “voyager au service de l’autre”, en proposant au voyageur de contribuer au cours du voyage à “améliorer les conditions de vie des populations locales” pendant une période relativement courte. Mêlant ambitions sociales et environnementales, ces voyages dits “solidaires”, “durables” ou “responsables” (en opposition au tourisme de masse) sont organisés par des agences qui proposent un service d’organisation de séjour clé en main à un coût en général onéreux. Ils peuvent aussi être auto-organisés ou directement liés aux associations locales.

L’idée de tourisme humanitaire s’est développée surtout à partir des années 1990, avec notamment l’établissement d’une Charte pour le tourisme durable de la part de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et de l’Unesco. D’autres moments seront importants pour son développement, entre autres le Code mondial éthique du tourisme adopté en 1999 par des ONG et associations concernées. Depuis, ce concept s’est exporté grâce à un succès grandissant auprès des jeunes européens (qui partent en “mission” pendant leurs vacances). Selon l’UNAT, il y aurait en 2018 plus de 5,3 millions de vacanciers du “Tourisme Social et Solidaire”.

Le tourisme humanitaire est présenté comme étant un moyen de partir à la rencontre d’autres personnes et d’autres cultures, ne pouvant être au final qu’enrichissant. Néanmoins cette image n’est pas forcément la réalité, et de nombreuses critiques sont faites à ce sujet. Malgré les bonnes intentions qui poussent en général les touristes de l’humanitaire, ces pratiques sont accusées d’être contre-productives, voire néfastes pour les populations locales : la dissymétrie du rapport rend la rencontre impossible. Selon certains, les touristes qui arrivent sans connaissances spécifiques ne peuvent pas bien aider, et pour les personnes vivant sur place et concernées leur arrivée peut être contreproductive… 

 

 

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Pour ou contre le tourisme humanitaire ?
Le « Pour »
Ludovic Hubler
Directeur Général TRAVEL WITH A MISSION
Enrichissant pour tous… mais sous conditions…

Le tourisme humanitaire n’est pas véritablement un sujet où l’on peut être « Pour » ou « Contre ». La réalité est en fait bien plus complexe et il convient surtout de regarder comment un tel tourisme peut se faire. De plus, il convient de bien séparer l’aspect « Volontariat » de l’aspect « Voyage solidaire ». Dans le premier cas, le « voyageur » met les mains dans le cambouis, travaille sur le terrain. Dans l’autre, il n’est que spectateur et les fonds récoltés par son voyage financeront des actions d’intérêt général. 

Le volontariat peut être très positif pour les communautés locales comme très destructeur. De notre côté, nous insistons sur le « faire avec » au lieu du « faire à la place de ». A l’image de l’aide au développement, il convient de toujours être dans une démarche d’accompagnement, de transfert de compétences. Dans ce cadre, s’il y a partage, s’il y a des interactions positives entre individus de culture différente, je considère que c’est un vote pour un monde meilleur, donc une bonne chose. Mais tomber dans l’assistanat est la pire des choses…

Pour ce qui est du voyage solidaire où le « voyageur » n’est donc que spectateur, je pense également que cela peut être bénéfique aussi bien pour le voyageur qui ouvrira son esprit et rentrera au bercail plus éduqué et peut être plus responsabilisé que pour les communautés locales qui auront eux aussi appris de l’étranger de passage, qui auront mis en avant leur culture/traditions et qui auront gagné un peu d’argent qui pourra être utilisé, espérons-le, d’une bonne manière.

De notre côté, nous encourageons et facilitons ce type d’expériences. Le tourisme en général est un formidable vecteur de paix, de compréhension mutuelle. Le tourisme dit « humanitaire » peut l’être encore davantage, à condition qu’il soit bien cadré et que le voyageur soit respectueux, sympathique et si possible compétent. 

Au-delà de l’impact laissé localement, il convient également d’être attentif sur les changements qu’une telle expérience opère sur le voyageur à long terme. Notre expérience nous montre à quel point les voyages proches des populations locales permettent de gagner en maturité. Elles poussent souvent à l’engagement également au niveau local et permettent d’avoir un regard plus éduqué sur notre monde.

Le « Contre »
Marie Duong
Coordinatrice Mouvement ChildSafe, Friends-International
Les bonnes intentions : l’envers du décor

Le tourisme humanitaire et autre ‘’volontourisme’’ drainent une foule de voyageurs animés le plus souvent des meilleures intentions. Ces démarches alliant philanthropie et découverte du monde le temps de vacances ont généré une inquiétante commercialisation où l’on vend, à la carte, des missions humanitaires qui n‘en ont que le nom, où la pauvreté, les enfants et les communautés locales deviennent des attractions touristiques.

Malheureusement, les offres incluant des interventions auprès d’enfants sont en tête de gondole : s’occuper d’enfants dans des orphelinats, enseigner dans des écoles ou organiser des activités dans des centres pour enfants vulnérables. Qui, en effet, peut résister à l’envie de donner de l’attention voire de l’amour à un enfant qui en paraît déprivé ? 

Les voyageurs n’ont souvent ni expérience préalable ni compétences techniques nécessaires, ne reçoivent aucune formation, ce qui peut rendre leur aide inutile, voire contre-productive, d’autant plus lorsqu’elle est menée sur une très courte période et sans connaissance de la langue et de la culture locale. Cela peut perturber l’éducation des enfants mais aussi leur équilibre émotionnel avec la valse de volontaires étrangers auxquels ils s’attachent facilement. Pire encore, la grande majorité des associations ou des institutions proposant des missions de volontourisme auprès d’enfants ne vérifient pas les antécédents et références des personnes qui souhaitent s’engager,  laissant ainsi la porte grande ouverte à des personnes mal intentionnées et dans le pire des cas, à des prédateurs sexuels.

Dans certains pays, une offre locale s’est créée de toute pièce pour répondre à la demande, alimentant une réelle industrie qui exploite des enfants pour faire du profit.

Par exemple entre 2005 et 2015 au Cambodge, pendant que l’offre touristique se développait rapidement, le nombre d’orphelinats a augmenté de 60%, alors même que le nombre d’ orphelins baissaient dans le pays. Au Népal, 80% des orphelinats sont situés dans les villes les plus touristiques.

Il est également important de se questionner sur l’impact de ce type de tourisme sur les communautés locales. Ont-elles réellement besoin de faire appel à des étrangers pour creuser un puits ou apprendre à leurs enfants quelques rudiments d’anglais ? Quelles peuvent être la véritable qualité et pérennité de tels projets ? Qu’en est-il de la main d’œuvre locale qui perd des opportunités d’emploi quand la tâche est accomplie « gratuitement» par des voyageurs ?

En 25 ans, notre organisation a été le témoin de trop nombreuses dérives liées au tourisme humanitaire, c’est pourquoi nous mettons en garde les voyageurs et leur offrons des conseils. Car, oui, il faut continuer à aider mais le faire de manière informée, responsable et pérenne.


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