Pour ou contre StopCovid ?

📋  Le contexte  📋

StopCovid est un projet d’application de « suivi de contacts » ou contact tracing pour smartphone, porté par le gouvernement en relation avec l’INRIA (l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique).

Son objectif est de limiter la propagation du Covid-19. En effet, grâce au Bluetooth, l’appareil détecterait et stockerait (de manière anonyme) le contact des personnes croisées lors des déplacements de l’utilisateur. Ainsi, lorsqu’un individu serait atteint par le virus, il pourrait le signaler à l’application qui informerait les autres utilisateurs. Son utilisation se ferait sur la base du volontariat.

La France n’est pas un cas isolé, d’autres pays sont en train d’étudier le recours à une application similaire.

Plusieurs pays ont même déjà mis en place ce genre d’application, notamment en Asie. La Chine, par exemple, a adopté l’application Alipay Health Code. Cette dernière est même devenue obligatoire pour pouvoir sortir du domicile. L’application suit les déplacements de l’utilisateur et en fonction des lieux fréquentés, elle évalue le risque que cet individu soit infecté.

L’application StopCovid fait débat en France et notamment sur le registre des libertés individuelles et de la protection des données. A plusieurs reprises, le débat parlementaire sur cette application a été repoussé, accentuant les polémiques à son propos.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Quelle est votre opinion avant de lire l'article ?
Le « Pour »
Christine Hennion
Députée (LaRem - Hauts-de-Seine)
L’application StopCovid pourra sauver des vies

Mardi 28 avril, les députés seront amenés à débattre, puis voter, sur le plan de déconfinement du Gouvernement. L’une des mesures de ce plan consiste en une application mobile, StopCovid, utilisant la technologie Bluetooth, qui sera en capacité de détecter si un individu a été en proximité immédiate avec une personne infectée pendant un temps suffisamment long pour risquer une contamination.

Un tel système contribuerait à casser la chaîne de transmission du virus, en permettant de repérer les personnes qui ne présentent pas ou peu de symptômes, en les accompagnant dans les démarches de test et en mettant en place des mesures ciblées d’isolement. 

Le Gouvernement et la majorité parlementaire entendent construire un outil numérique efficace qui ne remettrait en aucun cas en cause la protection de nos données personnelles. Le Conseil National du Numérique (CNUM), la Commission Supérieure de Numérique et des Postes (CSNP), la Commision Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) se sont prononcés favorablement au projet du Gouvernement à condition que celle-ci soit ouverte, facultative, d’utilisation simple, et temporaire. Un avis final de le CNIL sera nécessaire une fois l’application prête au déploiement. 

Les épidémiologistes attendent cette application comme un outil d’aide au service de santé publique qui devra détecter, suivre et isoler les cas contacts. Ils estiment que si même un petit nombre de Français l’adoptait, elle leur serait utile. StopCovid sera un outil beaucoup plus anonyme et efficace qu’une équipe d’agents de santé questionnant une personne détectée positive. En effet celle-ci sera bien incapable de se remémorer les noms des personnes (donc pas d’anomymat) qu’elle aura rencontrées dans les deux semaines précédant son test. Et ceci d’autant plus qu’elle risque de ne pas toutes les connaître, comme par exemple dans les transports publics, alors que StopCovid préviendra ces personnes de manière anonyme. 

Des débats sont apparus sur le caractère volontaire ou obligatoire du chargement de l’application. Outre que le cadre légal français et européen demande un consentement éclairé, donc volontaire, pourrait-on rendre obligatoire un dispositif qui ne pourra dans un premier temps s’installer que sur certains types de mobile ? Ceci d’autant qu’Apple, ne souhaitant pas se ranger derrière l’argument de bien commun décide de ne pas ouvrir son code pour favoriser sa propre application. Il faut donc très vite aller plus loin et trouver le dispositif très grand public, qui pourra être diffusé très largement auprès de tous ceux qui le désirent. La poste, que j’ai sollicitée, pourrait être un de ces acteurs.

Tout contribue à penser que cet outil, ne peut être qu’un plus et qu’il faut le déployer. N’oublions pas, néanmoins, que télécharger l’application, tout comme porter un masque, ne remplacera pas les gestes barrières : distanciation et lavage des mains. Elle s’y ajoute. 

Le « Contre »
Paula Forteza
Députée Amérique latine et Caraïbes
#StopCovid : une efficacité incertaine pour des risques réels

Il ne s’agit pas d’une posture ni d’une opposition de principe. J’ai été rapporteure du texte RGPD (règlement général pour la protection des données) qui encadre l’utilisation des données personnelles. J’ai écouté avec beaucoup d’attention toutes les prises de paroles gouvernementales lors des auditions à l’Assemblée nationale. A ce stade, le projet d’application soulève beaucoup plus d’incertitudes qu’il ne rassure. L’urgence du déconfinement ne doit pas conduire à une précipitation sur des sujets aussi sensibles.

Tout d’abord, #StopCovid serait d’une efficacité relative… Le fonctionnement de l’application se basant sur des effets de réseaux et de masse critique, seul un téléchargement et un usage “massif” (60%, selon plusieurs sources académiques) rendraient le dispositif efficace. Or tout nous laisse à penser qu’une telle proportion ne pourrait être atteinte que par un recours obligatoire et non volontaire, ce qui est contraire à notre droit. La fracture numérique (que 44% des plus de 70 ans sont équipés d’un smartphone et 16 millions de Français souffrent d’illectronisme) installerait une inégalité de traitement dans la population. Par ailleurs, la technologie “bluetooth” n’a pas le degré de précision suffisant pour constituer un indicateur de contagion fiable. Vous pouvez, par exemple, être séparé d’une personne malade par un mur et être signalé comme en contact “rapproché” avec elle. Les faux positifs et les faux négatifs de ce type se multiplieront.

Ensuite, #StopCovid engendre des risques individuels certains. La confiance des utilisateurs concernant la protection de leurs données personnelles n’est pas encore acquise : qui fait tourner le serveur de coordination où les identifiants sont divulgués ? Qui surveille que tout est fait correctement ? Qui est en charge de la supervision d’un tel système ? Quels sont les risques de réidentification face à une éventuelle fuite des données ? Le stockage des données d’un tel dispositif doit être décentralisé par nature. La question du consentement libre et éclairé prévu par le RGPD est aussi sujette à caution : nous devrions éviter de faire porter à nos concitoyens un dilemme moral : serions-nous fautifs si nous ne téléchargeons pas cette application ? La pression sociale ou le sentiment de culpabilité pourrait faire naître un consentement induit, indirectement contraint.

Enfin, #StopCovid soulève des questionnements éthiques et sociétaux. L’Etat pourrait déclencher un “effet de cliquet”. De par sa légitimité, il serait en train de rendre socialement acceptable, en temps de crise et dans l’urgence, une technologie dont nous n’imaginons encore pas les usages potentiels à l’avenir. Certains d’entre eux, s’ils suivent la logique de ce que nous avons vu se développer autour des techniques de ciblage et de profilage basées sur les données personnelles, pourront être sans aucun doute, dangereux et mener à des actes de discrimination. En outre, le poids des géants du numérique, qui ont annoncé des développements spécifiques, en lien avec l’Etat, pourrait devenir très inquiétant pour garantir le libre choix et le respect des  utilisateurs à l’avenir. Nous devons à tout prix assurer la neutralité des terminaux, notamment des systèmes d’exploitation.

C’est pour toutes ces raisons que je demande un débat au Parlement suivi d’un vote. La représentation nationale doit pouvoir décider si oui ou non, elle considère que nous devons acter ce changement paradigmatique. Aujourd’hui, le gouvernement refuse de soumettre au vote ce projet : c’est pourquoi j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues, de tous bords, une proposition de résolution l’invitant à faire trancher démocratiquement.

Il faut se garder de tous fantasmes liés à la technologie. La technologie ne peut pas tout. Elle peut au contraire renforcer un climat anxiogène et de défiance qui serait extrêmement préjudiciable pour réussir à sortir de la crise.

Quelle est votre opinion maintenant ?

🗣  Le débat des lecteurs  🗣

 

💪  Pour aller plus loin...  💪

Vous avez aimé ? Soutenez notre activité !
 

Vous avez remarqué ?

Ce site est gratuit. En effet, nous pensons que tout le monde devrait pouvoir se forger une opinion gratuitement pour devenir un citoyen éclairé et indépendant.

Si cette mission vous touche, vous pouvez nous soutenir en vous abonnant, sans engagement et dès 1€ par mois.

A propos La Rédaction 1034 Articles
Compte de la Rédaction du Drenche. Ce compte est utilisé pour l'ensemble des articles rédigés collectivement, ou les débats, où seul le contexte est rédigé par la Rédaction. Pour plus d'informations sur la rédaction, on vous invite à lire l'article sobrement intitulé "L'équipe", ou "Contactez-nous".