une jeune femme installée sur son lit

Économie : pour ou contre un salaire étudiant ?

📋  Le contexte  📋

En 1946, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) rédige la charte de Grenoble dans laquelle elle reconnaît l’étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel » (article 1). Ce texte devient alors le point de départ du syndicalisme étudiant en France. En 1951, le rapport Cayol en faveur d’une rémunération étudiante, pourtant accepté à l’unanimité par la commission de l’Éducation nationale, est renvoyé en commission des Finances et classé sans suite. Depuis, l’idée d’une rémunération étudiante en France a été abandonnée, le système actuel préférant les bourses.

Sources : UNEF, Revue française de pédagogie

La notion de « salaire étudiant » place l’étudiant comme un producteur de valeur et qui doit donc être rémunéré pour son activité. Il toucherait alors le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). L’allocation d’études ou l’ « allocation d’autonomie étudiante » est sensiblement différente. Elle reconnaît l’étudiant comme le bénéficiaire d’une pension financée par les cotisations sociales des contribuables, à la manière des retraites ou du chômage. Dans les deux cas, le but est de responsabiliser les étudiants en leur conférant une autonomie suffisante sur le plan financier. Par là, ils pourraient s’affranchir des jobs étudiants – qui nuiraient à leur réussite scolaire – mais aussi de la dépendance économique à l’égard des bourses et de leurs parents.

Source : Libération

Selon un rapport de l’IGAS publié en 2015, près de 20 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté. En novembre dernier, un étudiant s’est immolé devant un CROUS à Lyon. Par son acte, il souhaitait dénoncer la précarité à laquelle il était confronté et plaidait pour l’instauration d’un « salaire étudiant ». De nombreuses manifestations étudiantes ont pris place en soutien à sa situation. De plus, le coronavirus n’a pas épargné les étudiants puisque certains se sont retrouvés dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins. En réponse, l’État a mis en place des aides financières exceptionnelles. Mais jugées insuffisantes, l’idée d’une rémunération étudiante est revenue dans les débats.

Sources : Le Monde et Ouest France

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Le « Pour »

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Aurélien Casta
Chercheur associé au CLERSE (Université de Lille) et à l’IDHES (Université Paris Ouest Nanterre), auteur d’Un salaire étudiant. Financement et démocratisation des études, La Dispute, « Travail et salariat », Paris, 2017
Un salaire étudiant pour mieux étudier et mieux travailler

La revendication du salaire étudiant a été remise en lumière lors du drame du 8 novembre. Cet événement intervient à un moment où le gouvernement prépare une politique inégalitaire et dangereuse : une augmentation générale des frais d’inscription et une introduction de prêts étudiants fondées sur l’idée que les personnes en formation sont des investisseurs cherchant les études les plus « rentables ». Dans ce contexte, dans Slate, Le Monde ou sur le Mouv’, le « salaire étudiant » a été défendu en prenant l’exemple du Danemark, où selon Eurydice on accorde 809€ chaque mois aux personnes en formation à temps plein qui ont quitté le domicile parental.

En réalité, le salaire étudiant n’a pas grand-chose à voir avec l’allocation danoise que l’on peut assimiler à « l’allocation d’autonomie » de l’UNEF actuelle. Il regroupe des projets et des stratégies façonnés par les organisations étudiantes à travers le monde par exemple par l’UNEF en 1945 ou au Québec en 2019 par les CUTE. Le salaire étudiant vise à garantir la gratuité totale des études et le versement à chaque étudiant et chaque étudiante d’une rémunération égale à un barème de salaire au moins égal au barème minimal du SMIC (1200€ net par mois).

L’enjeu du salaire étudiant est double. Premièrement, il vise à supprimer les prêts et l’emploi étudiants, phénomènes assez développés au Danemark selon le Centre d’analyse stratégique et Eurydice. Le second enjeu du salaire étudiant est culturel. L’objectif est de diffuser une autre image de la personne en formation. Ici, l’étudiante et l’étudiant ne sont ni des investisseurs, ni des personnes à assister ou à aider par exemple avec une bourse ou un « RSA jeune » (559€ par mois pour une personne seule).

Avec le salaire étudiant, les personnes en formation sont présentées comme des « travailleurs » et des « travailleuses » dont l’activité est tout aussi légitime que les autres. Associée au salaire étudiant, une telle idée pourrait permettre aux étudiants et aux étudiantes de se sentir légitimes pour se consacrer davantage à leur formation et pour proposer comme l’UNEF en 1945 des réformes de l’enseignement (supérieur).

De plus, étudiantes et étudiants seraient plus en confiance, fortes et forts de leur salaire et aussi de leur nouvelle légitimité économique de « travailleuse » et de « travailleur ». En s’appuyant sur les collectifs de travail qu’elles et ils côtoient sur les campus (associations, etc) et en dehors, elles et ils pourraient entreprendre, expérimenter et développer en plus de leurs études une autre économie, non lucrative, plus égalitaire, plus démocratique et plus respectueuse de l’environnement.


Tom Chevalier
Chercheur CNRS/Arènes
L’allocation d’autonomie: rompre avec la familialisation des étudiants

L’idée d’un « salaire étudiant », ou d’une « allocation d’autonomie », consiste à délivrer des
ressources monétaires aux étudiants, indépendamment des ressources de leurs parents.

Aujourd’hui en France, les aides aux étudiants (bourses étudiantes, allocations familiales, aides fiscales aux familles) sont au contraire « familialisées » (à l’exception des allocations logement), autrement dit elles dépendent du revenu parental puisqu’elles visent avant tout à les aider à s’occuper de leurs enfants toujours scolarisés.

Dans d’autres pays pourtant, comme en Suède ou au Danemark, une telle aide financière pour tous les étudiants, indépendante des ressources parentales, est déjà présente depuis plusieurs décennies. Elle permet (avec la gratuité des études) de déconnecter la poursuite d’études de l’origine sociale en renforçant l’égalité des chances, tout en promouvant des niveaux élevés de scolarisation dans l’enseignement supérieur, au service de l’investissement dans le capital humain des jeunes et l’entrée dans l’économie de la connaissance.

Elle permet également de lutter contre la précarité étudiante, puisque les niveaux de l’aide sont souvent plus élevés que le montant le plus haut des bourses sur critères sociaux françaises (autour de 700€ au Danemark par exemple, auxquels il faut ajouter une forme de prêt proposé par l’État).

Enfin, de telles aides de l’État, non seulement reconnaissant le statut d’adulte des étudiants mais aussi consacrant l’investissement des pouvoirs publics dans la jeunesse, permettent de développer en retour la confiance dans les institutions des jeunes – au contraire de la familialisation qui nourrit davantage de défiance, alors même que celle-ci peut devenir à long terme un enjeu pour le devenir des institutions démocratiques.

Le coût budgétaire d’une telle réforme n’est pas insurmontable, avec un besoin de financement de l’ordre de 5,3 milliards d’euros selon le Haut conseil à la famille (2016), une fois prise en compte la réallocation des aides existantes. A titre de comparaison, la récente suppression de la taxe d’habitation s’élève à 17,6 milliards d’euros.

Une telle réforme n’est donc pas de l’ordre de l’impossible, au contraire : elle existe déjà ailleurs et n’est pas insoutenable financièrement, alors même qu’elle serait avantageuse à la fois d’un point de vue social (promouvoir l’égalité des chances), économique (investir dans le capital humain des jeunes), et politique (garantir de hauts niveaux de confiance politique).

Le « Contre »

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Laurent Pahpy
Analyste à l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF)
Non au salaire étudiant

Pourquoi étudions-nous ? Pourquoi passer toutes ces années à acquérir tant de connaissances et de compétences ? Trouver un travail, gagner plus d’argent, échapper à sa condition sociale, subvenir aux besoins de sa famille, assouvir une passion, poursuivre un idéal… Les raisons sont multiples et appartiennent à chacun. Ce projet personnel ambitionne toujours un retour sur investissement : exercer un métier rémunérateur, et, si possible, épanouissant.

L’investissement devient profitable une fois que l’on entre sur le marché de l’emploi. Tout le monde y gagne : le jeune travailleur, l’employeur et le consommateur. Ce jeu à somme positive crée de la valeur et donc une rémunération en récompense des sacrifices consentis. En attendant, le fait d’obtenir un diplôme n’apporte rien, en soi, à quiconque, sauf à celui qui va le recevoir.

Revendiquer un salaire étudiant pour cet investissement, c’est exiger du contribuable de financer tous les projets de carrière, indépendamment de leur valeur escomptée ou de leur issue. C’est risquer d’offrir un cadeau empoisonné à l’étudiant qui se lance dans une voie sans lendemain, car il n’en assume pas le coût. À titre d’exemple, la moitié des étudiants en sociologie n’ont pas d’emploi stable après leur master. Un salaire étudiant, c’est un investissement forcé et sans retour, sans contrepartie, comme si l’on obligeait le contribuable à financer le projet d’un entrepreneur sans toucher de profits si l’entreprise réussit.

Certes, cet investissement exige des ressources. Tous les étudiants n’ont pas la chance d’avoir des parents suffisament fortunés pour faire un virement mensuel payant loyers et frais d’inscription. Des alternatives sont possibles pour financer les études telles que travailler en parallèle ou faire un emprunt remboursé avec les premiers salaires. Pour les plus précaires, des bourses peuvent compléter les ressources manquantes.

Mais d’autres solutions existent. Avec l’apprentissage, les contrats de professionnalisation ou l’alternance, l’entreprise finance vos études et vous verse un salaire en espérant que vous commencerez votre carrière avec eux. Le projet devient dès lors commun entre l’étudiant et l’employeur. Ce modèle vertueux est encore trop dénigré et peu développé en France alors qu’il est une voie prestigieuse et fort rémunératrice dans de nombreux pays : selon l’OCDE, 33 % des étudiants allemands ou autrichiens sont en apprentissage contre 6 % en France. C’est aussi une garantie anti-chômage, l’investissement étant envisagé au regard des intérêts de l’entreprise. En France, le taux de chômage des élèves issus d’un CAP est deux fois inférieur à celui des jeunes diplômés sortant des filières générales. Développons l’apprentissage plutôt que le salaire étudiant !

Sources : Oecd-ilibrary, Midiformations, Le Monde


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