Pour ou contre une « Grande Sécu » ?

📋  Le contexte  📋

En France, nos dépenses de santé sont payées par trois personnes. La sécurité sociale, organisme public, qui en prend en charge l’essentiel, et même 100% dans le cas des affections longue durée, de plus en plus fréquentes avec le vieillissement ; les mutuelles ou assureurs privés, qui complètent le remboursement ; et le patient lui-même, qui en général subit ce qu’on appelle le reste à charge. Il est particulièrement faible en France, de l’ordre de 7% des frais de santé.

Le projet de « Grande sécu » consisterait à supprimer les mutuelles et assurances santé complémentaires. Et la quasi-totalité des frais serait payé par l’assurance maladie. Il n’y aurait plus qu’un seul assureur santé, public.

Dans un document de travail publié en janvier 2021, le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (HCAAM) listait plusieurs inégalités liées aux complémentaires. Le HCAAM doit normalement clôturer ses débats le 16 décembre. D’après une version de travail qui a fuité dans la presse, plusieurs scénarios sont évoqués pour l’avenir de la Sécu. L’un d’entre eux prévoit tout simplement de créer une « Grande Sécu » qui absorberait la quasi-totalité des complémentaires santé.

Olivier Véran, le ministre de la Santé, semblait favorable à l’élargissement de la Sécurité sociale, au détriment des complémentaires santé. Mais selon Le Point, Emmanuel Macron ne compterait pas reprendre l’idée telle quelle dans son futur programme de campagne.

Affaire à suivre !

Pour les défenseurs de cette mesure, l’intérêt serait double : les finances et la justice sociale. Côté finance, on s’épargnerait des frais de gestion inutiles puisque chaque opération serait traitée par un seul organisme. De plus, les mutuelles étant en concurrence entre elles, elles dépensent de l’argent pour acquérir de nouveaux clients. Des frais qui se répercutent sur le coût de la complémentaire pour l’usager.  Côté justice social aussi, notamment pour les séniors. Lorsqu’ils sont à la retraite, ils ne bénéficient plus de la mutuelle de leur employeur. Ils doivent donc s’assurer eux-mêmes à un cout d’autant plus élevé que leur risque santé augmente. Un système unique permettrait de mutualiser les risques sur toutes les classes d’âge, et donc de réduire les inégalités dans l’accès aux soins.

Pour les opposants à cette mesure, il y a également de nombreux inconvénients. D’abord, le manque d’efficacité du public. L’exemple britannique, où l’assurance santé à été nationalisé, est souvent utilisé pour montrer les risques de dérive. Autre problématique soulevé : que deviendront les centaines d’assureurs et mutuelles et leurs 100 000 salariés si le projet de Grande Sécu se concrétise ?

Et vous, qu’en pensez-vous ? On en débat avec 2 spécialistes !

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »

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Nicolas Da Silva
Maître de conférences en sciences économiques, Université Paris 13
La Grande Sécu : nécessaire mais insuffisante

Les complémentaires santé sont chères et inégalitaires, voilà pourquoi il faut s’en débarrasser. D’un côté, alors que la sécurité sociale connait des frais de gestion inférieurs à 5%, ceux des complémentaires santé s’échelonnent de 15 à 20%. Cela signifie que sur 100€ de cotisation pour une complémentaire il y a entre 10 et 15€ de gaspillage que l’on pourrait utiliser pour augmenter le pouvoir d’achat ou pour rembourser plus de soins. Il y a près de 7 milliards d’euros d’économies à réaliser : on a fait une réforme de l’ISF pour moins que ça ! D’un autre côté, chaque euro dépensé dans une complémentaire est un euro d’inégalité. En effet, parce qu’ils vivent dans de plus mauvaises conditions que les autres, les plus pauvres sont les plus malades mais ce sont aussi ceux qui ne peuvent pas s’acheter une « bonne » complémentaire. L’aberration est totale : ceux qui ont besoin d’accéder aux soins ne peuvent pas le faire pour des raisons financières et ceux qui sont moins malades ont des complémentaires très protectrices qu’ils n’utilisent pas. Que l’on aime la rigueur budgétaire ou la solidarité, la Grande Sécu est une réforme à réaliser de toute urgence ! 

Que l’on aime la rigueur budgétaire ou la solidarité, la Grande Sécu est une réforme à réaliser de toute urgence !

Les opposants au projet mobilisent différents arguments peu convaincants. Parfois on entend que se débarrasser des complémentaires, c’est en finir avec les mutuelles qui sont une institution de la solidarité. C’est faux : l’institution qui aujourd’hui assure la solidarité entre riches et pauvres et entre malades et bien-portants, c’est la sécurité sociale. Parfois on entend que la Grande Sécu aggraverait le « trou de la sécu ». C’est faux : le projet consiste à arrêter de payer des cotisations privées aux complémentaires au profit de cotisations publiques à la Sécu. Avec les économies, on pourrait même décider de réduire le déficit de la Sécu ! Parfois on entend que le projet réduirait la liberté des ménages. C’est faux : vous pourrez toujours acheter une complémentaire pour couvrir des soins supplémentaires. La vraie entrave à la liberté, c’est l’incapacité à vivre correctement parce l’on n’a pas accès aux soins. La Grande Sécu est même une libération pour tous : finit le temps perdu à comparer les avantages et inconvénients de telle ou telle complémentaire ! Le seul argument audible contre la réforme concerne les menaces qu’elle fait peser en termes d’emploi. C’est une question importante mais on ne manque pas de solutions, par exemple l’intégration des personnes qui le souhaitent dans les administrations publiques en pénurie de personnel.

Les seuls défenseurs du fonctionnement actuel sont ceux qui en bénéficient

En fait, les seuls défenseurs du fonctionnement actuel sont ceux qui en bénéficient : les complémentaires et leurs alliés politiques. Même des institutions conservatrices comme la Cour des comptes ou le Haut conseil sur l’avenir de l’assurance maladie considèrent que le système actuel est à bout de souffle.

Est-ce que cela signifie que le projet de Grande Sécu est parfait ? Non, loin de là.

Est-ce que tout cela signifie que le projet de Grande Sécu est parfait ? Non, loin de là. La réforme ne dit rien sur plusieurs aspects essentiels : faut-il augmenter le budget de la Sécurité sociale consacré à la santé ? Doit-on laisser aux mains du gouvernement et des « experts » le soin de décider ce qui doit être remboursé ou faut-il organiser une démocratisation de la Sécurité sociale ?

 


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr

Le « Contre »

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Jean-Paul Benoit
Président de la Fédération des mutuelles de France
Oui à la Grande Sécu : mais une vraie !

La démonstration qu’en fait la COVID-19 est incontestable : face aux crises sociales, économiques et politiques qui adviennent, la mise en sécurité sociale de la population est l’enjeu essentiel.

Et, précisément, le projet dit de « Grande Sécu » n’y répond pas. Ce qui est envisagé par le gouvernement est avant tout un projet de contrôle budgétaire de la Sécurité sociale. Rien n’est dit sur les questions cruciales que sont le niveau de remboursement et la qualité de prise en charge de la santé de chacune et chacun.

Pour un financement juste et à hauteur des besoins

La Sécurité sociale a été fondée autour du principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». 75 ans après, son financement est injuste : aujourd’hui, les ménages sont les principaux financeurs de la Sécurité sociale. Depuis 2007, leur contribution représente 53% des recettes de la Sécurité sociale et est en augmentation +8 points. Celle des entreprises, en revanche, a chuté de -4 points (moins de 39%), et celle des finances publiques a également chuté de -4 points (8%).

C’est une tendance constante que la « Grande Sécu » accentuerait. La voie envisagée de transformation des cotisations volontaires aux organismes complémentaires en impôts, via la CSG, renforce la sollicitation de plus en plus massive des revenus des seuls ménages. Par ailleurs, la CSG est une contribution injuste car non progressive en fonction des revenus. 

A l’inverse, un financement basé sur une assiette élargie, sollicitant clairement les revenus du capital, est plus juste et constitue une condition du renforcement de la solidarité.

Pour la prise en charge effective de tous les soins

La « Grande Sécu » est un leurre si elle ne prend en charge, comme aujourd’hui, que 56% des dépenses de santé (en ville, hors Affectation longue durée), voire moins, comme dans l’optique ou le dentaire où seulement quelques euros sont pris en charge, le reste étant remboursé par les organismes complémentaires, donc in fine les assurés.

Il n’y pas de « Grande Sécu » qui vaille s’il n’y a pas d’interdiction des dépassements d’honoraires et une régulation des tarifs particulièrement volontariste. Ce sont ces dérapages croissants qui minent l’égal accès à la santé et fondent en partie les renoncements aux soins de plus en plus nombreux.

La Sécu du 21ème siècle doit intégrer les nouveaux risques 

Enfin, le projet de « Grande Sécu » du gouvernement est déjà obsolète puisqu’il n’élargit pas les « risques sociaux » pris en charge. Rien n’est dit sur la prise en charge crédible de l’autonomie, à l’aube d’une accélération inédite du vieillissement de la population. Rien non plus sur les autres défis : la prévention en santé, l’accompagnement de la jeunesse, la protection des nouvelles formes de travail. Ces risques, aujourd’hui identifiés, sont caractérisés par une sévère précarité.

Alors, que vaut un projet qui ne répare pas les injustices de notre système de protection sociale ? Et qui n’appréhende pas les enjeux du 21e siècle pour mettre la population en sécurité sociale ?


Cécile Philippe
Présidente de l’Institut économique Molinari
Elargissons le champ d’action des mutualistes

Le projet de Grande Sécu vise à réduire le rôle des complémentaires à portion congrue afin d’économiser 8 milliards d’euros, tout en améliorant la couverture santé des Français. 

Si certaines fusions peuvent créer de la valeur, dans nombre de cas, elles génèrent des surcoûts voire des déceptions. Cela n’est pas le fruit du hasard, les différences que l’administration cherche à gommer ont souvent une utilité. Elles sont le garant institutionnel que des processus d’expérimentation sont à l’œuvre.

Penser, que d’un côté l’Etat et de l’autre les entreprises à profit sont les seuls modèles nécessaires, est erroné

Sauf à croire que nous vivons dans un monde simple, certain et sans surprise, il nous faut préserver des mécanismes qui permettent de faire émerger des solutions à la hauteur de l’incertitude caractéristique du monde actuel. Penser, que d’un côté l’Etat et de l’autre les entreprises à profit sont les seuls modèles nécessaires, est erroné. Comme le rappelait Douglass North, prix Nobel d’économie 1993 « la diversité institutionnelle est une question de survie ». Il est essentiel de bénéficier de structures institutionnelles capables d’innover. L’argument de l’économie des frais de gestion, comptable et statique, ne prend pas en compte cette dimension dynamique. Or, elle est clef. D’autant plus que si l’on juge la Sécurité sociale à l’aune de cette dynamique, les résultats ne sont pas au rendez-vous, tant du point de vue qualitatif que financier.

Le régime général s’est avéré bien moins créatif que les mutuelles qu’il a supplantées

Le régime général s’est avéré bien moins créatif que les mutuelles qu’il a supplantées. Ces dernières disposaient de gouvernances qualitatives, leur conférant une véritable légitimité de terrain permettant d’innover. Elles ont déployé, dès la deuxième moitié du XIXème siècle, une grande intelligence dans l’achat de soins, avec l’agrément de praticiens, le salariat de professionnels de santé, l’emploi de la menace d’ouvrir des établissements mutualistes pour amener les praticiens à faire baisser leurs tarifs ou la création d’établissements mutualistes. De même, les mutualités étaient en pointe dans la création de mécanismes qualitatifs, avec de vraies politiques de prévention, notion qui pèche aujourd’hui, et de responsabilisation à base de carnets de santé voire de tickets modérateurs. La création du régime général a réduit drastiquement leur rôle et leur capacité à expérimenter. Les mutuelles qui constituaient l’ADN de la protection sociale française ont été marginalisées dans un rôle « complémentaire », sauf dans le secteur public où elles ont été autorisées à gérer le régime général des fonctionnaires.

Nous n’avons pas besoin de simplicité en santé mais de dynamisme, de capacité à s’adapter aux défis que représentent une population vieillissante

La centralisation sous la houlette de la Sécurité sociale s’est naturellement accompagnée de dérapages financiers. La Sécurité sociale monopolistique a été incapable de faire émerger l’information nécessaire à la bonne gestion de systèmes sociaux complexes. Le premier plan de lutte contre le déficit de l’assurance-maladie date de ses débuts, dès 1951. Il a été suivi d’une multitude d’autres qui n’ont pas empêché le régime général d’être déficitaire 85% du temps dans les 40 dernières années.

Nous n’avons pas besoin de simplicité en santé mais de dynamisme, de capacité à s’adapter aux défis que représentent une population vieillissante et l’augmentation des pathologies qui lui sont liées. Au lieu d’exclure les mutualistes, il serait judicieux de les autoriser à proposer des prestations de type régime général, en plus des complémentaires qu’ils gèrent. L’Etat se focaliserait sur la définition des prestations de base, l’accréditation des acteurs et les mécanismes de péréquation. Nos voisins néerlandais ou suisses illustrent que cette voie est créatrice de valeur.

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