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Parité aux postes de direction : les quotas sont-ils la bonne solution ?

📋  Le contexte  📋

Le quota est défini comme un contingent, un pourcentage déterminé, imposé ou autorisé. Dans le contexte de la parité en entreprise, il s’agit donc d’un pourcentage minimum de femmes que les entreprises sont légalement obligées de respecter.

Les quotas de femmes apparaîssent en France à la fin des années 1990 avec le début des lois paritaires, en particulier la loi électorale de 1999 qui prévoit une égalité obligatoire des candidatures pour les scrutins de liste et même une alternance des candidats de chaque sexe sur les listes.

Les entreprises françaises semblent en retard au sujet de la parité : seule une entreprise du CAC40 est dirigée par une femme, et les comités exécutifs et comités de direction des entreprises françaises ne comportaient que 21% de femmes en 2020.

La loi Copé-Zimmerman de 2011 impose 40% de femmes dans les conseils d’administration, une première pour le secteur privé. Toutefois, les quotas n’y font pas l’unanimité. Les détracteurs des quotas appellent à la patience en défendant le (lent) progrès des entreprises grâce à une auto-régulation de l’offre de candidats aux postes de direction par la constitution d’un vivier de femmes depuis l’arrivée de ces dernières sur le marché du travail.

Entre crainte de nommer quelqu’un de moins qualifié « parce que c’est une femme » et une frustration grandissante devant l’écart frappant de représentation entre femmes et hommes dans les entreprises, la question n’est pas simple. 

Une proposition de loi du 8 mars 2021, portée par LREM et la députée Marie-Pierre Rixain, soutient l’imposition de quotas en entreprise. Les entreprises de plus de 1000 salariés devraient poster une photographie genrée des 10% des postes à responsabilité de l’entreprise. La proportion de femmes sur cette photographie devrait être portée à 30% en 2027 et 40% en 2030, sans cela, une amende de 1% de la masse salariale sera infligée à l’entreprise.

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Le « Pour »
Brigitte Grésy
Présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE)
Le temps est venu de faire un pas supplémentaire vers le partage du pouvoir

Grâce à la loi du 27 janvier 2011, appelée aussi loi « COPE-ZIMMERMANN » et l’adoption de quotas pour permettre un égal accès des femmes et des hommes aux instances de gouvernance des grandes entreprises, la part des femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées du SBF 120 est, en 2020, de 45,2% et de 44,6% pour le CAC 40. C’est indubitablement un succès si l’on compare aux 10,7% de femmes présentes dans ces enceintes en 2009. Seulement, l’effet de ruissellement attendu de ces dispositions concernant les conseils d’administration jusqu’aux instances de décision de ces mêmes entreprises n’est pas au rendez-vous. En 2020, les femmes ne sont que 21% à siéger dans les comités exécutifs ou comités de direction des entreprises du SBF 120, contre 17% en 2017. A ce rythme, il faudrait attendre 2053 pour atteindre la parité*.

Sans quotas, il n’y a pas de résultats. C’est pourquoi, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes plaide également pour la mise en place de quotas au sein des comités. Bien sûr, compte-tenu de la composition de ces espaces, réunissant des directeurs et directrices en poste, il convient de procéder par étapes, de manière progressive. Concrètement, le HCE préconise 20% de femmes en 2023 et 40% en 2025 dans les grands comités (comprenant 8 membres ou plus) ou bien, pour les plus « petits » comités, 1 femme en 2023 puis un écart maximal de deux en 2025. C’est-à-dire, s’il y a 5 membres dans le comité, il devra y avoir 3 hommes-2 femmes ou 3 femmes-2 hommes (s’il y a 8 membres, c’est la règle des 20% et 40% qui s’applique). De telles dispositions devraient tout autant concerner des secteurs mixtes que des secteurs encore aujourd’hui à prédominance masculine ou féminine afin d’inciter toutes les grandes entreprises cotées à poursuivre leurs efforts en matière de mixité. 

Pendant longtemps, l’argument de la non-existence juridique des comités a été avancé pour exclure toute avancée dans ce domaine. Aujourd’hui, il ne tient plus. En inscrivant ces comités dans le Code de commerce, la loi dite « AVENIR » de 2018 a en effet ouvert cette possibilité. Plusieurs études menées auprès des entreprises montrent également que cette idée est en train de germer tant dans l’esprit des salarié.e.s que des personnes décisionnaires. 

L’accès des femmes aux postes de responsabilité fait partie intégrante des leviers à actionner pour parvenir à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et la parité est un outil de transformation sociétale profonde pour y parvenir. Le temps est venu de faire un pas supplémentaire vers le partage du pouvoir dans le secteur économique.

*Source : cabinet Ethics & Boards

     

Le « Contre »
Angela Sutan et Emmanuel Zenou
Professeurs, Burgundy School of Business
Parité aux postes de direction : non, il ne faut pas des quotas

Peut-on remplacer une discrimination par une autre à travers une loi qui formalise une inégalité (empêcher l’accès à des hommes compétents à poste égal) pour favoriser une égalité… Doit-on naturaliser les compétences des personnes ?

Le risque de choisir une personne en fonction de son genre avant de considérer ses compétences est inévitable, surtout quand une discrimination (positive) fait force de loi, comme avec des quotas à respecter.

En outre, se pose-t-on la bonne question ? Plusieurs études ont montré que l’impact des quotas de diversité de genre tenait surtout à la possibilité de faire entrer dans les comités de direction des gens différents, possédant des caractéristiques significativement différentes que leurs contreparties (hommes, en l’occurrence) (Rosenblum and Roithmayr, 2015).

Or les études montrent qu’il y a très peu de différences dans les profils entre femmes et hommes recrutés dans les conseils : formation, expériences… les caractéristiques dominantes sont les mêmes (Baromètre de la Diversité dans les Conseils d’Administration, BSB 2020).

D’où des effets sur la performance des organisations très controversés, voire peu convaincants (Carter et al. 2010; Rose 2007 ; Post and Byron 2015). À l’inverse, plusieurs études montrent une association positive entre cohésion et performance (Paniaga et al., 2018), or l’imposition des quotas ne suffit pas à faciliter la gestion de cette diversité, ni le management de la cohésion dans les comités de décision.

Enfin, nous avons montré qu’un quota fonctionne comme une norme. Lorsque les individus qui ont une influence sur la composition des conseils d’ad-
ministration ont en tête un chiffre à atteindre, plutôt que de faire rentrer des « vrais profils » adaptés au poste et divers sur des multiples critères, ils se concentrent sur le remplissage statistique des quotas de genre ; et donc la norme, même implicite, cristallise les stéréotypes (Galia et al.2017) : les femmes sont rentrées en dernier, après remplissage du quota restant pour les hommes, ceci limitant en fait le recrutement des femmes.

 

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