LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU
Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…
Chaque année, le HCE (Haut Conseil à l’Égalité) rend un rapport sur l’état du sexisme en France. Le dernier en date a été publié le 23 janvier 2023, et dès la première ligne, le message est clair : « Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent, et les jeunes générations sont les plus touchées ». Alors, comment en est-on arrivé là, alors même que ces dernières années, les messages féministes semblent gagner en acceptabilité et la parole des femmes se libérer ? Décryptage.
Au niveau mondial, les droits des femmes reculent
Ce rapport s’appuie sur un sondage qui évalue la perception de la population face aux inégalités entre les femmes et les hommes, ainsi que le degré de sexisme dans la société française. On peut d’abord y lire que les droits des femmes semblent progresser en France : elles ont de plus en plus accès à des rôles de pouvoir (Elizabeth Borne a été nommée première ministre en mai 2022), la contraception est gratuite pour les moins de 25 ans, le délai d’IVG a été rallongé, des efforts ont été faits pour mieux prendre en compte les plaintes des femmes victimes de violence.
Et pourtant, le constat est sans appel : la société française reste très sexiste. Les femmes sont toujours victimes de plus de violences que les hommes et sont sujettes à des « actes et propos sexistes dans des proportions importantes ». Le rapport du HCE explique même que le nombre de ces actes sexistes est en augmentation. Le ministère de l’Intérieur estime que le nombre de victimes de violences conjugales a augmenté de 21% entre 2020 et 2021. Les clichés sexistes ainsi que les situations de sexisme quotidien perdurent, en particulier ceux liés aux rôles genrés dans la sphère domestique. Le rapport explique : « L’opinion reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique ». Ainsi, si certains déplorent le sexisme, les comportements sexistes dans la pratique ne sont pas altérés, en particulier les hommes interrogés. Ainsi, si le sexisme « est désormais reconnu par l’ensemble de la population, les violences sexistes et sexuelles déclarées continuent d’augmenter ».
Les violences systémiques subies par les femmes, qu’elles soient physiques ou psychologiques, font part intégrante d’un système patriarcal qui empêche les femmes de s’émanciper. En effet, le rapport explique que « Le sexisme conduit les femmes à des renoncements quotidiens » et donne l’exemple de la peur que peuvent ressentir les femmes quand elles sortent seules le soir, ce qui peut parfois les dissuader de sortir de chez elles, contribuant à les enfermer encore plus dans la sphère domestique.
Par ailleurs et comme le souligne le rapport, les droits fondamentaux des femmes dans le reste du monde semblent être en péril. L’accès à l’IVG a été limité aux États-Unis, les femmes afghanes n’ont plus le droit d’étudier, le régime iranien est de plus en plus répressif et les femmes en sont les premières victimes, à l’image de Mahsa Amini, jeune femme iranienne décédée après avoir été battue par la police. Des pays d’Europe de l’Est, comme la Hongrie et la Pologne, adoptent également des lois de plus en plus sexistes et dangereuses pour les femmes, notamment avec un recul du droit à l’avortement. Enfin, même en France, on observe de nouveaux phénomènes inquiétants : « violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux, barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique, affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe ».
Des jeunes générations toujours très sexistes
Suite au mouvement #MeToo et à la prise de conscience qui a suivi, de nombreux hommes se sentent menacés par le féminisme. Le rapport du HCE décrit un phénomène de Backlash (ou retour de bâton) avec une nouvelle vague anti-féministe : « 33 % des hommes interrogés pensent que le féminisme menace la place et le rôle des hommes dans la société, et 29 % d’entre eux estiment que les hommes sont en train de perdre leur pouvoir ».
On retrouve ainsi une vague de pensée masculiniste en ligne, où les valeurs traditionnellement dites masculines sont mises en avant. Le rapport explique que c’est notamment le cas chez les hommes de moins de 35 ans. Par exemple, « 23 % des hommes de 15 à 34 ans estiment qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter, et 52 % des hommes entre 15 et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculées par les contenus pornographiques n’est pas problématique ».
En conséquence, on observe de nouveaux comportements, surtout en ligne, s’attaquant directement aux femmes. Le rapport explique que « Les “raids” masculinistes se multiplient en ligne pour réduire les femmes au silence ou les discréditer ». À l’échelle globale, on observe une hausse des violences misogynes en ligne : le cyberharcèlement et le cybersexisme (injures, menaces de violences et de mort, propositions indécentes, insultes, persécution) auraient déjà été expérimentées par 73% des femmes dans le monde selon l’ONU ». La violence expérimentée par les femmes au quotidien (remarques sexistes, violences physiques…) se retrouvent donc également en ligne dans une volonté de faire taire les femmes, voire de les humilier. Les discours masculinistes sont de plus en plus présents en ligne et semblent séduire le jeune public, banalisant ainsi des propos très violents.
Face à cette nouvelle forme de sexisme chez les jeunes, le rapport s’inquiète et rappelle qu’il « existe une continuité entre comportements sexistes et actes de violence ». Il est pointé que ces violences et ce sexisme pourraient devenir très marqué chez les jeunes actifs et dans le monde du travail. Au-delà des violences directes subies, cela contribue à ralentir l’avancement professionnel des femmes, maintenant une inégalité d’accès aux postes de pouvoir et à un salaire égal.
Les hommes admettent un problème de société mais ne se remettent pas en question
Comme l’a très justement énoncé Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, « #MeToo est un mouvement de victimes sans coupables ». Elle explique que malgré une prise de conscience dans la société sur l’ampleur des violences faites aux femmes, les comportements n’ont pas évolué. Il n’y a eu « aucune conséquence pour ceux qui en sont les responsables».
Les hommes ont « tendance à ignorer le lien entre le sexisme ordinaire, bénin à leurs yeux, et les suites qu’il suscite en matière de domination et de violence ». Pourtant, le rapport souligne qu’il y a un lien direct entre les clichés sexistes, qui peuvent paraître bénins, la domination des hommes et les violences perpétrées sur les femmes. Par ailleurs, 97% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes.
On parle d’un « continuum des violences entre des manifestations insidieuses, clichés, stéréotypes, blagues et les violences plus graves ». L’adhésion encore forte aux clichés patriarcaux contribue à banaliser le sexisme ordinaire, auquel la population reste relativement indifférente, alors même que cela impacte les femmes au quotidien.
Ainsi, malgré leur prise de conscience, les hommes ne se sentent pas concernés par les violences perpétrées. Le rapport rappelle que : « alors que 37 % des femmes ont déjà vécu une situation de non-consentement, seuls 12 % des hommes déclarent qu’ils ont déjà insisté pour avoir un rapport sexuel alors que leur partenaire n’en avait pas envie et 10 % qu’ils ont déjà eu un doute sur le consentement de leur partenaire ». Statistiquement, vous connaissez tous au moins une femme ayant déjà subi une agression sexuelle dans sa vie. Il est même très probable que vous en connaissiez plusieurs. En conséquence, on pourrait imaginer que vous connaissiez également tous un agresseur ou plusieurs. La différence étant que les femmes savent qu’elles ont subi une situation de non-consentement, tandis que les hommes (dans leur majorité) semblent fermer les yeux à ce sujet.
Des pouvoirs publics perçus comme impuissants
Face à ces reculs, la population française en attend beaucoup de ses institutions pour préserver les droits des femmes. Pourtant, le rapport du HCE souligne un « manque de confiance important de la part des personnes interrogées à l’égard des pouvoirs publics portant la lutte contre le sexisme et l’inefficacité des outils mis en place ». En effet, la population juge les institutions impuissantes dans la lutte contre le sexisme. Une partie de la société souhaite une plus forte prise en compte de ces enjeux et dénonce l’impunité de certains hommes politiques, ce qui créée une défiance envers les pouvoirs publics.
Le rapport montre que seulement 37% des personnes interrogées font confiance à la justice pour prévenir et lutter contre les actes et propos sexistes. De même, « 80 % estiment que l’arsenal juridique existant est mal appliqué voire insuffisant » et « 27 % seulement considèrent que les pouvoirs publics font tout ce qu’il faut pour lutter contre le sexisme (-3 points), 25 % qu’ils font tout ce qu’il faut pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (-4 points) et 25 % contre les féminicides (-3 points) ».
On voit donc un manque de confiance de l’opinion à l’égard des pouvoirs publics dans la lutte contre le sexisme et les violences faites aux femmes.
Recommandations du HCE
Pour remédier à ce backlash sexiste, le HCE propose plusieurs recommandations. La première série de recommandations porte sur l’évolution des mentalités, à l’échelle individuelle comme collective. Il peut s’agir de « dégenrer les jouets destinés aux enfants dès la naissance » ou de « garantir des enseignements obligatoires à la sexualité et à la vie affective », ou encore « d’éliminer les stéréotypes sexistes et les séquences dégradantes pour les femmes de l’univers médiatique et numérique », ou de « renforcer la lutte contre la diffusion de contenus pornographiques illicites ».
Une seconde série de recommandations porte sur les effets du sexisme, avec un premier volet concernant la protection des femmes, et un second volet sur les représailles pour les entreprise ou institution qui ne mettrait pas en place de dispositif efficace.
Enfin, le HCE émet une troisième série de recommandations pour assurer une meilleure performance des pouvoirs publics dans la lutte pour l’égalité (« diligenter une étude sur les refus de plaintes », « garantir une permanence d’accueil des victimes par une personne dédiée dans chaque commissariat de police et brigade de gendarmerie »…).
Conclusion
Ce qu’il faut retenir de ce rapport, c’est que si les lois sont essentielles pour changer le quotidien des femmes en assurant leur indépendance économique, leur place dans la sphère publique et leurs droits reproductifs, elles ne sont pas encore suffisantes pour faire évoluer les mentalités. En effet, tant que les clichés sexistes perdureront, tant qu’une majorité des hommes percevront les femmes comme plus aptes à s’occuper d’un foyer, alors les violences sexistes continueront.
Le rapport du HCE et les statistiques montrant la prévalence des clichés sexistes montrent que le combat n’est pas acquis et qu’il y a énormément de travail à faire au niveau des mentalités. Il revient donc à chacun d’entre nous d’être vigilant à l’égard des comportements et des remarques sexistes, et à nous remettre en question pour créer une société qui soit réellement plus égalitaire.
Si vous êtes témoin ou victime de violences conjugales, sexistes ou sexuelles, vous pouvez contacter le 3919 (appel gratuit depuis un fixe ou un mobile) ouvert 7 jours sur 7 et 24h/24. L’appel est anonyme et ne figure pas sur les factures de téléphone.
Vous pouvez également signaler ces violences en ligne sur le site du service public, qui propose aussi un moteur de recherche pour trouver un commissariat ou une gendarmerie à proximité, qui a obligation de prendre votre plainte.
Enfin, si vous le souhaitez, vous pouvez vous tourner vers une structure d’accompagnement proche de chez vous répertoriée par Solidarité Femmes.
Quelques chiffres clés du rapport :
- 93% des personnes interrogées (hommes et femmes) estiment que les femmes et les hommes ne connaissent pas le même traitement dans au moins une des sphères de la société (travail, espace public, école, famille…).
- 37 % des femmes affirment d’ailleurs avoir déjà vécu des discriminations sexistes dans leurs choix d’orientation professionnelle.
- 37 %, des Françaises interrogées ont déjà vécu une situation de non-consentement
- 57 % des femmes ont déjà subi des blagues ou remarques sexistes (au sein des catégories socio-professionnelles supérieures, il s’agit même de 2 femmes sur 3)
- 14 % des femmes déclarent avoir subi un « acte sexuel imposé », c’est-à-dire une agression sexuelle ou un viol (22 % des femmes de 18 à 24 ans)
- 15 % des femmes ont déjà subi des coups portés par leur partenaire ou ex-partenaire
- 7 % des femmes françaises ont déjà subi des étreintes, baisers par un collègue ou un homme qu’elles ne connaissaient pas.
- 122 femmes sont victimes de féminicide conjugal en 2021 (augmentation de 20% par rapport à 2020)
Sources :
Signaler une violence conjugale, sexuelle ou sexiste
POUR ALLER + LOIN
💬 Suivez-nous sur les réseaux :
ARTICLES RÉCENTS