Retour sur le procès d’Amber Heard et Johnny Depp

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Le 11 avril commençait le procès entre les acteurs Amber Heard et Johnny Depp pour diffamation. Après 6 semaines de délibération, le jury de Virginie vient de rendre son verdict.

La prise de parole d’Amber Heard: 

En 2015, Amber Heard et Johnny Depp se marient quelques années après leur rencontre lors du tournage du film Rum Diary. Trois ans plus tard, l’actrice et ambassadrice de l’American Civil Liberties Union demande le divorce et une injonction d’éloignement pour des faits de violences conjugales. Une requête qu’elle retire par la suite. 

En 2018, Amber Heard publie un édito dans le Washington Post sur les violences qu’elle a subi. Son texte “I spoke up against sexual violence — and faced our culture’s wrath. That has to change” [Je me suis exprimée contre la violence sexuelle – et j’ai du affronter la fureur de notre système. Il faut que cela change]  ne mentionne à aucun moment Johnny Depp. 

“Je savais que les hommes avaient le pouvoir – physiquement, socialement et financièrement – ​​et que de nombreuses institutions soutenaient cet arrangement.”

J’écris ceci en tant que femme qui devait changer de numéro de téléphone chaque semaine parce que je recevais des menaces de mort. Pendant des mois, je quittais rarement mon appartement, et quand je le faisais, j’étais poursuivi par des drones-caméras et des photographes à pied, à moto et en voiture. Les tabloïds qui ont publié des photos de moi les ont présentées sous un jour négatif.  ”

Johnny Depp et Amber Heard – Aiden Johnson photography

Des attaques pour diffamation 

L’acteur poursuit son ex-femme en 2019 pour diffamation. Il considère, étant donné qu’ils étaient divorcés avec une injonction d’éloignement, que l’allusion à ces violences le concerne directement. Il l’accuse alors d’avoir eu un impact direct sur sa carrière et sa réputation. Le Daily Mail a en effet révélé un an plus tôt, que le “capitaine” avait été écarté par Disney pour le prochain Pirates des Caraïbes. Plus tard c’est au tour du film les Animaux Fantastiques de remplacer son Grindelwald. L’acteur demande alors 50 millions de dollars de dommages et intérêts. En réponse Amber Heard l’accuse d’avoir provoqué une campagne de dénigrement et de harcèlement et requiert 100 millions de dollars. 

Parallèlement à cette procédure judicaire, Johnny Depp poursuit en 2020 pour diffamation le tabloïd anglais The sun pour sa Une de 2018 où il est décrit comme “wife beater” (cogneur de femme). Mais le juge britannique chargé de l’affaire statue en faveur du journal et reconnaît 14 faits de violences conjugales.  En s’appuyant sur les déclarations d’Amber Heard, il a estimé que les paroles de The Sun étaient “substantiellement vraies » étant donné que “la grande majorité des agressions présumées été prouvées”. Durant ce procès, Johnny Depp  avait reconnu une consommation abusive d’alcool et de drogues tout en niant avoir levé la main sur son ex-femme. Après cette décision, il saisit la cour en appel, mais la justice britannique lui refuse. 

Un procès à Fairfax en Virginie 

La plainte pour diffamation contre la tribune du Washington Post porte quant à elle sur trois points : 

  • Le titre : “Je me suis exprimée contre la violence sexuelle – et j’ai du affronter la fureur de notre système. Il faut que cela change
  • Une première phrase à l’intérieur de l’article : “Puis, il y a deux ans, je suis devenue une figure publique incarnant les victimes de violence domestique, et j’ai ressenti toute la force de la fureur de notre culture envers les femmes qui dénoncent les abus
  • Une deuxième phrase : “J’ai eu le privilège de voir, en temps réel, comment les institutions protègent les hommes accusés d’abus

Il faut savoir que la diffamation n’est pas jugée de la même manière aux États-Unis qu’en France. 

La diffamation est définie en Virginie “comme une fausse déclaration qui porte atteinte à la réputation du plaignant dans la communauté ou dissuade d’autres personnes de s’associer avec lui”. L’opposition doit alors prouver qu’il y a eu une intention malveillante, c’est-à-dire que les déclarations étaient fausses ou que celui ou celle qui les a prononcées n’a pas tenu compte de leur fausseté. 

La déclaration de preuve

L’attention est ainsi portée sur l’impact de cette déclaration sur l’acteur. Johnny Depp devait alors démontrer qu’il n’avait pas été violent, avec autant de preuves qu’il désirait. Ses déclarations avaient pour but de montrer qu’en réalité c’était lui la victime. En opposition, Amber Heard devait prouver, en théorie, un seul fait de violence pour que la diffamation ne soit pas établie. 

À titre de comparaison, dans son procès avec The Sun, Johnny Depp n’a pas eu de preuves à présenter étant donné que la charge de preuve reposait sur le journal. C’était à lui de prouver qu’il ne mentait pas et qu’il avait le privilège de la vérité. Certes, cela avait atteint la réputation de l’acteur mais comme il s’agissait de faits avérés, le droit de la presse s’appliquait. 

6 semaines de procès surmédiatisées

Le 11 avril commençait donc le procès, décrit par le journal USA Today comme un “divertissement public”.  Ces six semaines d’audiences ont été transformées en une véritable série TV, retransmise en direct sur Youtube par la chaîne police-justice Court TV. Les journaux du monde entier en parlaient, et pas toujours de la manière la plus neutre. Certains médias comme 20 minutes classaient par exemple les articles portant sur ce procès dans la catégorie people, montrant bien que cette audience n’était pas 100 % juridique. 

La forte présence des réseaux sociaux a également joué un rôle dans cette médiatisation mettant en avant chaque geste des acteurs, avec toujours plus de sensationnalisme. 

La Stan Culture

Par ce procès on a vu l’effet d’une Stan culture, qui est définie comme un “phénomène d’attaques coordonnées de communautés d’admirateurs véhéments envers les détracteurs de leur idole”. À titre d’exemple, le 13 avril, soit deux jours après le début du procès, le média américain Gawker comptait 1.1 milliards de vues pour le hashtag #justiceforjohnnydepp. 6 semaines après, il a atteint les 19.3 milliards. À l’inverse, fin mai le #justiceforamberheard en comptabilise 53 millions.

Un soutien indéfectible envers Johnny Depp

L’acteur, idole de plusieurs générations, a reçu un soutien indéfectible de la part de ses fans et a pu s’exprimer seul pendant les premières semaines, sans contradiction. Cela a entraîné une couverture médiatique essentiellement centrée sur ses propres déclarations, qui le présentait comme une victime de violences conjugales. 

Si vous êtes sur les réseaux sociaux, comme Instagram ou Tik Tok, le nombre de courtes vidéos reprenant des passages d’audience n’a pas dû vous échapper. Sur des musiques du moment, on voit Johnny Depp partager des bonbons avec son avocat Ben Chew, être galant avec son autre avocate Camille Vasquez. On le voit même provoquer des fous rires dans le public. Un véritable show à l’américaine. Les arrivées de l’acteur au tribunal, où ses fans se regroupent, étaient dignes des tapis rouges. 

Un procès sur les réseaux sociaux

Le média Daily Wire a même dépensé des dizaines de milliers de dollars pour promouvoir ses articles sur les réseaux sociaux selon Citizens et Vice World. Ce média conservateur est le 2ème éditeur de nouvelles sur Facebook et son influence lui a permis de mettre en avant des articles contre l’actrice. 

Lors du témoignage d’Amber Heard, des millions de vidéos ont repris parodiquement ses prises de parole afin de démontrer ses mensonges et de la ridiculiser. Tous ces procédés contribuent à balayer la gravité du procès. Après tout, n’oublions pas qu’il s’agit d’une affaire de violences conjugales et sexuelles. 

Amber Heard, la “mauvaise victime”

L’actrice d’Aquaman vit ainsi un véritable black clash (contrecoup) depuis sa tribune dans le Washington Post. D’ailleurs la pétition pour l’évincer du deuxième Aquaman a dépassé les 4 millions de signatures. En comparaison, celle de Free Britney, contre la mise en tutelle abusive de la star Britney Spears avait atteint les 150 000 signatures. Les trois premières semaines de ce procès où son ex-mari a pu parler sans contradictoire a généré un déferlement de haine et de harcèlement.

L’actrice lutte alors contre plusieurs stéréotypes. Celui de “l’ex folle” par exemple, qui est pour ses détracteurs une femme manipulatrice qui ferait tout pour empêcher son ex-mari de s’épanouir et lui extorquer le plus d’argent possible.

À quoi ressemble un coupable dans notre imaginaire collectif ?

Si Amber Heard pleure, elle joue la comédie. Si elle reste impassible, elle ment. Ce n’est que du cinéma pour ses détracteurs, qui semblent oublier le métier de Johnny Depp. À ce jugement s’ajoute la figure de la mauvaise victime dans l’imaginaire collectif. Le fait qu’elle ait été diagnostiquée d’un trouble de la personnalité borderline pendant le procès et qu’elle n’ai pas nié avoir riposté va alors à l’encontre du stéréotype de la victime passive, celle que la société accepte. Face à cette “mauvaise victime”, Johnny Depp ne semble pas pouvoir être perçu comme coupable ou comme un bourreau. La sensation de proximité que ressent le public, dû à sa présence dans de nombreux films cultes, semble lui conférer un fort capital sympathie. 

Malgré les 14 faits de violences conjugales reconnues par le tribunal britannique, les photographies de son visage tuméfié, les vidéos, les messages de Johnny Depp à l’acteur Paul Bettany (Vision dans Marvel) où il parle de “baiser son cadavre brûlé”, le public reste persuadé de sa culpabilité. 

Le jugement

Après trois jours de délibération, les 7 jurés ont rendu leur verdict. Il a été considéré à l’unanimité que Amber Heard avait diffamé “dans une intention malveillante”. Johnny Depp a ainsi obtenu gain de cause dans 3 de ses chefs d’accusation. Mais le jury populaire a aussi statué que l’avocat de l’acteur avait tenu des propos diffamatoires en qualifiant les allégations de violences sexuelles d’Amber Heard de “coup monté”. 

Amber Heard doit ainsi à son ex- mari 15 millions de dollars et Johnny Depp doit lui verser 2 millions. Mais les dommages et intérêts ont une particularité en Virginie. Ils sont divisés en punitifs et compensateurs. Selon la loi, les dommages et intérêts punitifs ne peuvent pas dépasser 350 000 dollars, même si le jury accorde une somme supérieure.

Johnny Depp percevra alors 10 millions de dommages et intérêts compensateurs et 350 000 dollars de punitifs. À cette somme, il faudra imputer les 2 millions de dollars de dommages et intérêts compensatoires dû à Amber Heard, qui n’en a pas eu de punitifs. Au total Amber Heard lui doit donc 8.3 millions de dollars.

Les réactions d’Amber Heard et Johnny Depp  

À la suite de ce jugement, l’acteur s’est dit touché en déclarant que le jury lui a “rendu la vie ». L’actrice s’est quant à elle dit “dévastée” de ce verdict et déçue du message envoyé à toutes les femmes victimes de violences conjugales et sexuelles. Cinq ans après Metoo,“C’est un retour en arrière vers un temps où quand une femme parle publiquement, elle peut être publiquement humiliée. Cela remet en cause l’idée que la violence envers les femmes doit être prise au sérieux”. 

Sources : .

 

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