Ce débat a été réalisé en partenariat avec les rédacteurs de Ciné Maccro : un site qui propose une vision hétéroclite du cinéma.
📋 Le contexte 📋
Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Considérée comme mystique et vénérée par son entourage religieux, elle est finalement arrêtée et jugée pour saphisme.
Il s’agit de l’adaptation du livre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne de l’historienne Judith C. Brown (1987) relatant l’histoire de Benedetta Carlini.
Genre : Drame, Biographique, Historique Réalisateur : Paul Verhoeven Avec (entre autre) : Virginie Efira, Charlotte Rampling, Lambert Wilson et Clotilde Courau Durée : 2h 07 minutes Sortie : 9 juillet 2021
La Russie a interdit sa diffusion ! Le film, qui devait sortir dans les cinémas russes le 7 octobre, n’a pas reçu de licence de distribution de la part du ministère de la Culture. A priori, certaines scènes ont été considérées comme « offensantes pour les croyants ».
🕵 Le débat des experts 🕵
Dieu qu’il a été attendu. Achevé de tourner en 2018, il aura fallu un chemin de croix de trois ans, dont une pandémie, à Paul Verhoeven pour pouvoir enfin voir sa Benedetta se frayer un chemin dans les
salles obscures. Une attente à la hauteur des promesses, la preuve que, du haut de ses 83 ans, le cinéaste néerlandais tient encore la dragée haute à nombre de ses jeunes confrères et consœurs.
Le film est un perpétuel et astucieux labyrinthe au sein de la religion sclérosée
Sexe, violence et religion : pas de doute, Benedetta, c’est du Verhoeven dans le texte. Un triptyque qui tient lieu, chez le réalisateur, de moyen d’analyse de la nature humaine et de ses pulsions. C’est Robocop et la passion pour la violence, c’est Showgirls et l’amoralité des strass, c’est Elle et l’ambiguïté, celle de son héroïne. Benedetta, histoire d’une nonne qui découvre son lesbianisme en même temps que son lien profond à Jésus, s’inscrit dès lors complètement dans ce schéma d’auteur. L’ambiguïté y est permanente : folie, manipulation, manifestation du divin ? Le film est un perpétuel et astucieux labyrinthe au sein d’une religion sclérosée, d’un couvent où se jouent à la fois la plus grande pureté et le plus impensable pêché (pour l’Eglise). Une toile d’araignée dont jamais Paul Verhoeven ne démêlera les fils, préférant laisser au spectateur le choix de croire, ou non, à des agissements dont la précision de sa mise en scène rend les contours flous.
Benedetta c’est la caméra qui sert non seulement le récit, mais fait corps avec lui
Car en dehors de ses thèmes, hautement imprimés dans la filmographie de Paul Verhoeven et superbement traités, c’est par le travail de sa caméra que le cinéaste soigne son récit. Par un travail de précision anatomique qui n’a rien perdu de sa superbe, tout d’abord. Une caméra millimétrée, qui sert autant l’intime, le sexuel, que l’ambiguïté, l’exagération, voire le kitsch. Verhoeven est loin d’être un formaliste : c’est un naturaliste provocateur, qui, par l’image, fait du corps l’instrument d’une vision d’un monde pulsionnel. Benedetta, c’est la caméra qui sert non seulement le récit, mais fait corps avec lui. C’est le regard distant et voyeuriste, c’est le sexe, la mort, la violence, celle du monde, de l’Eglise, jetés à la figure du public. C’est l’hyperbole sur pellicule.
Benedetta, au-delà d’un excellent Verhoeven, est surtout une œuvre sombre, cruelle, drôle, érotique, qui fait éclater Virginie Efira comme jamais. Une œuvre complète, rassasiante, qui jette un froid regard sur le monde, et qui est la marque d’un cinéaste toujours immense.