Sénégal : l’agroécologie est-elle l’agriculture de demain ?

Des fermiers sénégalais en pleine récolte dans un champ

LE DÉCRYPTAGE DE L’ACTU

Chaque semaine, on essaye de comprendre pour vous un sujet qui fait l’actu, mais qui peut paraître un peu ardu…

Dans le cadre d’un voyage parlementaire organisé par Oxfam, 5 députés français issus de différentes orientations politiques se sont rendus à Dakar au Sénégal afin de rencontrer leurs homologues sénégalais ainsi que des organisations de défense des droits des femmes, des acteurs de la société civile et des populations touchées par les inégalités ou le dérèglement climatique. Nous les avons suivis pour découvrir comment les députés appréhendent ce voyage et les enjeux sur le terrain.

Ce pays où près de 70% de la population travaille dans l’agriculture et où le développement durable fait partie intégrante de la stratégie politique du pays, notamment avec le Plan Sénégal Émergent (PSE), l’agroécologie suscite un réel intérêt.

Le Sénégal est l’un des pays les plus stables d’Afrique. Son économie repose principalement sur les services (57% du PIB en 2020), puis sur l’industrie (26%) et seulement en 3ème position sur l’agriculture (17%). Pourtant, cette dernière constitue 36% des exportations globales du pays. Mais alors, dans un pays où les exploitations familiales restent majoritaires et permettent de faire vivre plus de la moitié de la population du pays, le modèle agricole actuel est-il durable ?

Le modèle agricole sénégalais

L’indépendance du Sénégal en 1960 s’inscrit dans un contexte marqué par des innovations importantes du secteur agricole, notamment dans les pays en voie de développement. Ces transformations axées sur le modèle occidental se caractérisent par une amélioration des infrastructures d’irrigation, des variétés de céréales à haut rendement et l’ajout d’intrants chimiques afin d’augmenter la production et la sécurité alimentaire des pays en développement. Cette révolution agricole est appelée « révolution verte ». Un changement de paradigme qui promet l’augmentation drastique de la production et la régularité des cultures assurant un accroissement notoire des revenus pour les paysans. Les filières constituant les rentes majeures du pays se développent et s’industrialisent, favorisant ainsi les monocultures d’arachide et de coton. En parallèle continuent de se développer les cultures vivrières permettant l’auto-consommation des familles d’agriculteur.

Un modèle soumis à de nombreux défis

Toutefois, l’agriculture sénégalaise reste soumise à de fortes contraintes. Les champs agricoles de la zone des Niayes sur la façade nord-ouest du pays concentrent plus de 70 % de la production nationale en fruits et légumes. Cette région qui présente des caractéristiques favorables aux productions maraîchères subit des précipitations irrégulières et tardives notamment à cause du dérèglement climatique. Les déficits de pluie peuvent être très pénalisants certaines années et provoquer de grands écarts de production. 

Les infrastructures d’irrigation sont encore aujourd’hui trop incertaines pour assurer une sécurité alimentaire suffisante aux populations locales. Les surfaces irriguées ne représentent que 5 % de la surface agricole utile. De plus, alors que la demande alimentaire ne cesse d’augmenter, le modèle productiviste atteint ses limites et une stagnation des rendements voire un déclin dans des surfaces où les sols s’appauvrissent. Pour assurer des revenus suffisants, les agriculteurs sont sans cesse encouragés à augmenter les surfaces agricoles et participent ainsi à la déforestation et au déclin de la biodiversité.

Par ailleurs, l’instabilité des cours mondiaux ne permet pas de maintenir des recettes d’exportation continues. Les règles des échanges internationaux sont délicates, les normes sanitaires, phytosanitaires et techniques peuvent représenter de véritables obstacles. Nombre d’agriculteurs utilisent des produits agrochimiques sans avoir connaissance des modes d’épandage et des dosages recommandés. Des écarts qui peuvent avoir un impact sur la toxicité des denrées alimentaires produites, mais aussi sur la pollution des nappes phréatiques et provoquer des problèmes de santé à ceux qui les utilisent. Face à ces difficultés, il est donc important d’encourager des modes de production vertueux qui permettront de nourrir les populations locales avec des produits de qualité.

L’agroécologie, un choix d’avenir ? 

Si certains prônent une agriculture plus raisonnée pour dépasser les limites de l’agriculture industrielle, d’autres proposent d’aller plus loin en développant des techniques agricoles de préservation des ressources naturelles qui s’appuierait sur les écosystèmes pour assurer une production qui limite son empreinte environnementale. 

L’agroécologie réintroduit de la diversité dans les systèmes de production agricole. Mais ce mode de production nécessite de bien maîtriser tout un ensemble de techniques qui utilisent au maximum la nature comme facteur de production. Il est donc nécessaire d’améliorer l’expertise des acteurs locaux pour permettre une telle pratique. Des centres de formation à l’agroécologie commencent à émerger au Sénégal et suscitent la curiosité de certains agriculteurs qui souhaitent convertir leur exploitation.

Une transition pas si nouvelle  

Récemment, l’État sénégalais a placé la transition agroécologique parmi les initiatives majeures du programme PSE Vert (qui est l’une des priorités de la deuxième phase du Plan Sénégal Emergent – PSE).

Mais l’idée d’une transition agroécologique n’est pas si nouvelle au Sénégal. Depuis plusieurs décennies, des organisations de la société civile portent diverses initiatives pour développer l’agroécologie. C’est le cas d’OXFAM. 

À l’occasion d’un voyage parlementaire organisé par OXFAM France, 5 députés français ont pu se rendre au Sénégal. Ils ont été à la rencontre de leurs homologues sénégalais, mais aussi d’acteurs de la société civile sénégalaise et sahélienne. L’objectif de ce déplacement était de permettre aux députés français de comprendre comment l’aide au développement française peut accompagner les politiques publiques qui ont pour finalité de réduire la pauvreté et les inégalités. Dans leur programme : visite d’une exploitation agricole familiale située à Mboro à 2h au nord de Dakar.

La particularité de cette région est liée à la présence d’entreprises minières combinée à une attractivité forte de la culture maraîchère. Une attractivité économique dont bénéficient peu les populations locales soumises à un épuisement des réserves foncières de la commune, des infrastructures de transports et d’assainissement quasi-inexistante et une pollution impactant les cultures et les habitants. Face à cette situation qui s’aggrave d’année en année, des acteurs locaux se mobilisent pour sensibiliser les populations locales et les pouvoirs publics. Les besoins en compétences techniques et en financement sont importants pour atteindre un modèle durable. Des associations locales soutenues par Oxfam apportent un soutien technique aux agriculteurs et à la collectivité locale pour permettre aux habitants de s’adapter et d’être plus résilients face aux conditions de vie difficiles dues à des événements climatiques extrêmes et à la présence intrusive des sociétés minières.

Des actions qui, aujourd’hui, permettent à la population locale de prendre conscience de l’importance de produire une alimentation saine et en quantité suffisante pour alimenter leur territoire. Le lycée agricole d’Mboro sensibilise également ses étudiants à l’agroécologie. Dans la ferme que l’on a pu visiter, un ancien employé de l’usine d’extraction minière a fait le pari de développer sa propre ferme agro-écologique afin de nourrir sa famille et le village sans recourir à des pesticides et engrais de synthèse. Il permet ainsi aux élèves du lycée agricole de se former aux techniques agricoles respectueuses de l’environnement en les accueillant sur place. Un projet qui aujourd’hui se révèle être durable et surtout viable financièrement sans avoir recours aux aides locales, favorisant ainsi l’essaimage d’initiatives similaires dans la région. Une transition encore trop lente face à l’accélération des événements climatiques extrême, mais qui peut compter sur l’engagement des associations, acteurs incontournables face à l’urgence climatique et sanitaire.

Le débat autour de l’agroécologie

La principale critique faite à l’agroécologie est sa baisse de rendement. Ses détracteurs estiment qu’il est impossible de se passer de tous les intrants. Les techniques sont complexes et les écosystèmes fragiles. Les cultures peuvent être plus facilement affectées par les maladies et les nuisibles, ce qui ne permet pas d’assurer pleinement la sécurité alimentaire. 

D’autres rétorquent que le système productiviste est à bout de souffle et qu’il ne permet pas de faire face aux aléas climatiques qui se font ressentir plus fortement en Afrique. L’agroécologie serait plus résiliente, car sa pratique s’appuie sur la nature. Elle permettrait également l’émancipation des paysans qui ne seraient plus soumis aux agro-industries chimiques et aux semenciers pour travailler.

Aujourd’hui, la production agricole mondiale est suffisante pour nourrir toute la planète. L’enjeu est de bien répartir la production actuelle entre les différents continents. Mais si la population atteint les 10 milliards comme annoncé par les projections des Nations unies, l’agroécologie serait-elle en mesure de nourrir toute la planète ? Une question cruciale qui mérite un vrai débat.

Découvrez l’interview de Louis-Nicolas, Chargé de plaidoyer & campagne humanitaire, financement du développement chez Oxfam France 👇

 

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