Extraits de viande dans un laboratoire

Viande de culture : la viande du futur ?

📋  Le contexte  📋

La viande de culture est une viande produite en laboratoire à partir de cellules animales. S’il s’agit réellement de viande, sa production ne nécessite aucun abattage : la viande en question est produite à l’aide de cellules-souches ou de cellules issues du muscle animal. Celles-ci sont cultivées dans des cuves chauffées à 37°C qui permettent  aux cellules de se multiplier et de former une fibre musculaire. La viande reste toutefois assez différente, puisque l’on ne retrouve pas toutes les composantes du muscle animal.

En 2013, la nutritionniste autrichienne Hanni Rützler goûtait le premier steak cultivé in vitro au monde. Issu de trois mois de fabrication, le burger de 140 grammes a coûté pas moins de 250 000 euros à l’équipe de Mark Post de l’université de Maastricht aux Pays-Bas.  Aujourd’hui, la viande de culture est en pleine croissance et de nombreuses start-up en ont fait leur gagne-pain : Memphis Meats, Eat Just, Aleph Farms ou encore Mosa Meat travaillent dans ce secteur. Singapour fait un pas en avant en autorisant en décembre 2020 la consommation de nuggets à base de viande de poulet fabriquée en laboratoire. 

La viande de culture soulève de nombreuses questions, à la fois éthiques, sanitaires et environnementales. Si elle est avancée comme étant une façon de nourrir l’humanité dans le futur sans faire peser le coût environnemental de l’élevage sur la planète, elle est aussi présentée comme une alternative à l’abattage des animaux et aux scandales sanitaires. Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent contre la viande in vitro,  tantôt pour rappeler l’importance des élevages dans nos paysages, tantôt pour infirmer les arguments selon lesquels cette nouvelle technologie polluerait moins : c’est le cas d’une étude publiée en février 2019 dans la revue Frontiers in Sustainable Food Systems.

🕵  Le débat des experts  🕵

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Le « Pour »

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Axelle Playoust-Braure
Journaliste scientifique, co-rédactrice en chef de la revue L’Amorce et co-auteure de Solidarité animale. Défaire la société spéciste (La Découverte, 2020)
Une opportunité majeure de réduire les désastres causés par l’élevage

Les quelque 360 millions de tonnes de viande consommées annuellement à travers le monde proviennent en grande majorité de l’élevage intensif. Il s’agit à la fois d’une tragédie morale et d’un désastre écologique : l’élevage engloutit d’énormes quantités de ressources, produit des montagnes de déjections et déverse chaque seconde des hectolitres de sang. Il implique de mettre au monde, chaque année, des milliers de milliards d’animaux, de leur imposer des conditions de vie extrêmement pénibles pour ensuite les tuer – et cela d’une manière souvent très violente.

La tendance, malheureusement, est à la hausse : une importante étude de la FAO datant de 2012 prévoit une augmentation de 76 % de la quantité totale de viande consommée d’ici 2050[1]. Car malgré un consensus scientifique sur l’impact environnemental élevé de l’élevage et un fort rejet populaire de l’exploitation animale, nous aimons la viande et nous ne voulons pas arrêter d’en manger.

La viande de culture est une opportunité sans précédent de résoudre ce paradoxe. Il s’agit d’un nouveau mode de production de viande : à partir d’une biopsie indolore réalisée sur un animal vivant, des cellules de muscle sont placées dans des bioréacteurs – comparables à ceux utilisés pour la production de bière ou de yaourt – pour être cultivées. Cette viande obtenue par agriculture cellulaire remplit les mêmes fonctions gustatives et nutritionnelles que la viande d’élevage, mais sans la plupart des externalités négatives associées à cette dernière.

Ses détracteurs adoptent une rhétorique catastrophiste, très éloignée de la réalité. Pourtant, les bénéfices de l’adoption de cette viande cultivée dépassent de loin les coûts de transition engendrés. Les élevages ne disparaîtront évidemment pas demain ; leur place diminuera à moyen et long terme, mais pour un bénéfice considérable du point de vue du bien-être animal et de l’environnement. La viande de culture ne signe pas non plus la fin des relations entre humains et animaux domestiqués. Elle ouvre une nouvelle ère, plus responsable et pacifiée.

Si nous devions ne pas l’encourager, nous nous rendrions coupables de ne pas avoir contribué à diminuer un immense carnage lorsque cela nous aura été possible. Car dès lors que nous avons, à notre portée, une méthode non meurtrière de produire de la viande, nous avons le devoir de renoncer à la méthode meurtrière de le faire. Cela commence par l’octroi de financements à la recherche portant sur le développement de la viande de culture, et par l’élaboration d’un cadre réglementaire favorable à sa commercialisation.

 

[1] N. Alexandratos, J. Bruinsma, World Agriculture Towards 2030/2050. The 2012 Revision. ESA Working paper No. 12-03 (FAO, 2012).


Maarten Bosch
CEO de Mosa Meat
La viande de culture est la nouvelle panacée alimentaire

Dans un avenir proche, vous serez au supermarché et vous verrez deux hamburgers de bœuf identiques. Pour l’un d’entre eux, une vache a été élevée dans le but précis d’être abattue. Le processus a nécessité de grandes quantités de terre, d’eau, de nourriture, probablement des antibiotiques et a produit de grandes quantités de méthane et de CO2. Le hamburger qui en résulte doit être bien cuit, en raison de la contamination potentielle par l’e-coli (NDLR : bactérie intestinale). Rien de tout cela ne s’applique à l’autre hamburger. Lequel mangez-vous ce soir ? 

Chez Mosa Meat, on aime la viande. Et elle est très demandée : ~95% de la population mondiale veut en manger. Mais dans de nombreux pays, la majorité des gens disent vouloir réduire leur consommation de viande, principalement en raison d’une prise de conscience croissante des conséquences négatives de la viande d’élevage industriel à grande échelle. Mais dans la pratique, nous constatons qu’il est vraiment (vraiment !) difficile de changer les habitudes. La consommation de viande dans le monde devrait continuer à augmenter régulièrement au cours des prochaines décennies. 

C’est pourquoi nous utilisons la technologie pour satisfaire à la fois la demande mondiale de viande bovine réelle, sûre et juteuse, sans nuire aux animaux ni à la planète.

Nous sommes les pionniers d’une nouvelle façon de faire de la viande et nous vous servirons un hamburger qui ressemble à un hamburger ordinaire. Il est moelleux et plein de saveur, et il a l’air, l’odeur et le goût d’un hamburger tout aussi bon – avec la grande différence qu’aucun animal n’a été blessé lors de sa fabrication. Cultivé directement à partir de cellules de vache (également appelé « culture »), dans des conditions totalement contrôlées, en utilisant une fraction des ressources naturelles et avec une empreinte climatique nettement plus faible.

Nous sommes encouragés par les recherches qui montrent que 44 % des consommateurs français et 58 % des consommateurs allemands veulent essayer la viande cultivée. Nous sommes encouragés par le fait que l’acceptation est encore plus grande parmi les travailleurs agricoles et les travailleurs de la viande, qui ont une connaissance de première main sur la nécessité de créer de nouvelles façons de satisfaire la demande de masse pour une viande abordable .

Bientôt, des gens comme vous et moi pourront faire ce choix dans les restaurants et les supermarchés. Et que vous mangiez actuellement de la viande, que vous soyez végétarien, pesco-végétarien, végétalien, casher ou halal, nous voulons vous offrir cette nouvelle option pour apprécier un bœuf plus propre et plus doux pour les animaux.  

Le « Contre »

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Jocelyne Porcher
Directrice de recherches à INRAE
La viande ou les vaches ?

Le soutien des associations de défense des animaux au développement de la viande cultivée est paradoxal, pour ne pas dire cognitivement dissonant.

En effet, remplacer les produits animaux par des substituts biotech conduira inévitablement à la disparition des animaux de ferme. Contribuer à la disparition des animaux au prétexte de les protéger est une étrange démarche. Préférer les incubateurs aux vaches en est une autre. Cela revient à considérer que la vache n’est rien d’autre que le contenant de la matière animale, qu’elle n’a pas d’existence en elle-même et que l’on peut avantageusement la remplacer par un incubateur. Cela revient à préférer la viande à la vache, ce qui est surprenant de la part de vegans ou de végétariens.

En effet, soutenir la viande cultivée, c’est promouvoir la production de la viande au lieu de privilégier l’existence des vaches et nos relations avec elles. Les discours sur les horreurs de « l’élevage industriel » qui justifieraient de passer à une agriculture sans élevage masquent la profonde indifférence de ces « défenseurs » pour les animaux réels, ceux qui sont au travail avec leurs éleveurs. Elever les animaux n’est pas les produire. Elever est une relation qui repose sur le respect.

Après 150 ans de pensée instrumentale dans nos relations aux animaux de ferme ancrée dans le capitalisme, il est temps de sortir les animaux des mains de l’industrie et non pas de sortir les animaux de nos vies. Il est temps de changer de modèle. Or la viande cultivée est issue de la pensée zootechnique et repose sur le même triptyque que les systèmes industriels : science, banque, industrie. La viande cultivée n’est donc pas un jalon civilisationnel, elle n’est que la suite de ce qui précède. La production du profit à partir des animaux, de la cellule ou de l’animal entier, peu importe, le système de pensée est le même.

Les enjeux portés par l’agriculture cellulaire sont cruciaux pour l’avenir de nos relations aux animaux de ferme mais aussi plus largement aux animaux domestiques. Car nous sommes pris dans un processus d’exclusion des animaux et leur remplacement par des substituts, des artefacts ou des robots. Remplacer une vache par un incubateur, remplacer un animal de cirque par un hologramme, remplacer un animal visiteur en Epadh par un robot, nous remplacer par des algorithmes. Remplacer le travail vivant par du travail mort. Est-ce bien cela que nous voulons ?


Malgré nos recherches, nous n’avons pas pu trouver de contributeur pour défendre cette thèse. Si vous êtes compétent et légitime ou que vous connaissez quelqu’un qui l’est, n’hésitez pas à nous contacter : contact@ledrenche.fr !

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