Violences conjugales : faut-il lever le secret médical ?

📋  Le contexte  📋

Au IVe siècle avant Jésus-Christ, le médecin grec Hippocrate aurait posé les fondements du secret médical dans son célèbre serment : « Admis à l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui m’y seront confiés« .

Selon, le site du Service Public, la confidentialité ou “secret médical” est “l’interdiction à tout médecin de communiquer à des tiers des informations sur ses patients”.

Le Code de la Santé Publique définit les droits du patient et les devoirs du médecin (article L1110-4) et stipule que le secret couvre tout ce qui a été « confié, mais aussi ce qui a été vu, entendu ou compris » pendant l’examen (Article R4127-4)

Source : Service Public et LegiFrance (article L1110-4 et article R4127-4)

Le médecin qui rompt le secret médical, y compris pour dénoncer des faits suspects aux autorités, s’expose à de lourdes sanctions. 

Ainsi, l’article 226-13 du Code Pénal punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire ».

Source : LegiFrance (article 226-13)

Face au nombre de féminicides, l’idée de lever le secret médical pour les victimes de violences conjugales a été évoqué.

La mesure a été défendue par la ministre de la Justice (Nicole Belloubet) et par la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes (Marlène Schiappa) au Grenelle des violences conjugales qui s’est achevé le 25 novembre. Elles y ont affirmé que les règles régissant le secret médical seront aménagées pour permettre aux professionnels de santé de signaler plus facilement les « cas d’urgence absolue où il existe un risque sérieux de renouvellement de violence ».

Le 29 janvier dernier, l’Assemblée Nationale a voté la proposition de loi de La République En Marche.

Mais pour certains professionnels de santé, la levée du secret médical briserait la confiance entre la patiente et le médecin.

Source : 20 Minutes

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Le « Pour »
Liliane Daligand
Professeur émérite de médecine légale, expert de justice, présidente de l’association VIFFIL SOS FEMMES – auteur de Violences conjugales (PUF, collection Que Sais-je ? 2016 et 2019)
Pas de secret pour les victimes de violences conjugales !

Les victimes de violences conjugales vivent dans le silence…

Les femmes victimes de violences conjugales subissent dans la peur, la culpabilité et la honte. Il leur est difficile de révéler, elles gardent le silence parfois jusqu’à la mort lors d’une ultime violence ou d’un suicide. Elles peuvent avoir consulté leur médecin, leur psychiatre, leur gynécologue ou un service d’urgence, sans dévoiler les violences.

Leurs médecins doivent les protéger et ont le devoir de les aider !

Si un médecin est capable d’entendre la détresse, de suspecter qu’elle est due à des violences conjugales, il doit soigner et protéger la victime. Si celle-ci a peur de porter plainte, il peut, avec son accord, signaler sa situation au Procureur de la République. Si elle n’est pas en état de se protéger, il peut le faire sans son accord.

En effet le code Pénal l’énonce en son article 226-4 : la loi autorise la révélation du secret :

« Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire. »

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi.

Le médecin peut-être sanctionné pour non-assistance à personne en danger

Cet article est clair et devrait être connu et appliqué par les médecins car on peut considérer que les femmes victimes de violences dans le couple sont dans l’incapacité physique et psychique de se protéger en raison de l’emprise exercée par un conjoint violent

Il suffit d’appliquer cet article du Code Pénal, inutile de rédiger une nouvelle loi.

De plus on peut admettre que cette victime est en péril imminent. Le médecin pourrait être sanctionné pour non-assistance à personne en péril, en cas de non signalement. Le péril doit être actuel et imminent ou le risque de récidive doit être certain. Or la répétition caractérise les violences conjugales.

Le « Contre »
Yannick Schmitt
Médecin généraliste, Maître de conférences associé à l’Université de Strasbourg, Chargé de mission pour le Collège de la médecine générale
Il faut faire confiance aux patientes pour mieux les accompagner

La lutte contre les violences faites aux femmes constitue un véritable enjeu de santé publique. Face à ce constat, le Gouvernement a pour projet de supprimer le secret médical dans ces situations.

Signaler les victimes sans les prévenir c’est agir à leur place et ôter leur libre-arbitre

La principale raison qui sous-tend cette décision est que les femmes victimes de violences seraient incapables d’agir par elles-mêmes car sous l’emprise de leur partenaire violent. Le médecin devrait donc signaler toute situation de violence sans l’avis de sa patiente. En faisant cela, la patiente devient un objet de protection et non plus un sujet à part entière. Quelle ironie du sort lorsqu’on sait que le principal moteur de l’emprise consiste à assurer, par domination sur les victimes, une dépossession d’elles-mêmes.

Le secret professionnel prend en compte la diversité des situations

L’article 4 du Code de déontologie médicale précise que le principe de « secret professionnel, (est) institué dans l’intérêt des patients, (et) s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi ». Sans le remettre en cause, il ne s’applique pas dans certains cas (majeurs vulnérables, enfants nés ou à naître) ou encore dans certaines situations (péril grave et imminent). Les possibilités d’action existent donc déjà et permettent de prendre en compte la complexité et la diversité des situations.

Quelle femme répondra affirmativement à la question « avez-vous déjà été victime de violences ? »

De plus, ce pilier de la relation médecin-patient est indispensable pour aborder une question aussi sensible en consultation. Grâce à cette confiance, le médecin peut mettre en œuvre une stratégie de dépistage systématique des violences comme le recommande la Haute autorité de santé. Sachant qu’elle sera immédiatement signalée, quelle femme répondra affirmativement à la question « avez-vous déjà été victime de violences ? ».

Une meilleure prise en charge des victimes par la police et la Justice avant tout

Pourtant, seul le repérage et l’accompagnement vers un départ sont en mesure de protéger durablement les victimes. Encore faut-il que la police et la Justice soient en mesure d’agir. En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 65% des victimes de féminicides étaient connues des services de l’État, 80% des plaintes pour violence sont classées sans suite. Et combien de femmes ne franchissent pas la porte du commissariat connaissant ces chiffres ? Face à cet évident constat de dysfonctionnements, comment espérer garantir une meilleure prise en charge des victimes ?

Cette mesure inefficace et dangereuse peut avoir le mérite aux yeux du Gouvernement de ne rien coûter à l’État. Mais il faudra bien s’attaquer réellement à ce fléau : former les professionnels, adapter notre système policier et judiciaire et mettre les moyens pour soutenir les associations.

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