📋 Le contexte 📋
L’uniforme à l’école a été porté couramment à partir du XIXe siècle. C’était la norme dans la plupart des écoles françaises au début du XXe siècle. Après 1968, la règle change et les uniformes disparaissent des écoles, collèges et lycées. Aujourd’hui en France, seuls quelques écoles privées et les lycées militaires imposent le port d’un uniforme à leurs élèves. Dans les DOM-TOM, et notamment dans les Antilles françaises et en Guyane, le port de l’uniforme à l’école, ou l’imposition d’un code vestimentaire est encore très courant.
Le débat sur l’uniforme à l’école est un débat de longue date, qui resurgit quasiment à chaque rentrée. En 2015, c’est Eric Ciotti, président « Les Républicains » du département des Alpes Maritimes, qui a plaidé pour un retour de l’uniforme à l’école. La question de l’uniforme à l’école a également été très présente dans l’actualité dans le cadre du débat sur la laïcité. En effet, l’uniforme scolaire a été présenté par ses défenseurs comme une réponse à la question des signes religieux à l’école.
🕵 Le débat des experts 🕵
Un code vestimentaire est utile, il l’est encore plus dans les établissements qui offrent une gamme élargie d’enseignement et donc, qui accueille un public qui n’est pas toujours socialement homogène. Le code permet de faire coexister ces enfants venant d’horizons divers et ayant des aspirations parfois différentes. Il permet de gommer les différences de classe qui sont perceptibles même au sein d’un établissement à discrimination positive comme notre lycée. Au sein même de notre population scolaire, nous constatons que certains publics sont plus précarisés que d’autres, ce qui les met souvent à l’écart des autres.
C’est aussi un signal envoyé aux parents qui sont demandeurs de plus de discipline. Il y a une réelle demande de discipline chez les familles, encore plus celles issues de quartiers populaires. Quand de plus en plus de gens ont le sentiment que l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, les écoles qui ont ce type de règlement sont très recherchées par les familles des quartiers populaires qui n’hésitent pas, parfois à y mettre le prix. Contrairement à ce que l’on pense, les familles issues des quartiers populaires perçoivent beaucoup mieux l’aspect structurant que peut avoir un code vestimentaire sur leurs enfants.
Le code crée un sentiment d’appartenance. Il permet de stabiliser et mieux « fidéliser » notre population scolaire. On constate que le code permet d’augmenter le nombre d’années passées en moyenne par les élèves dans notre établissement.
À l’extérieur, les élèves sont les ambassadeurs de notre école. Ils portent l’image de l’école, cela impacte leur façon d’interagir avec l’environnement scolaire (magasins, riverains, équipements publics, etc.). Les élèves hésitent à deux fois avant de mal se comporter à l’extérieur, ce qui permet également de les distinguer des autres jeunes qui se trouvent aux abords de l’établissement. De manière générale, l’existence d’un code vestimentaire permet aux élèves de mieux faire la distinction entre le temps scolaire et les autres instants de la vie.
Vu de ma Belgique (et donc loin du projet de « l’école républicaine »), je veux balayer d’entrée de jeu l’argument classique des partisans de l’uniforme, blouse et autres « codes couleurs » : sous l’uniforme, les différences sociales disparaîtraient. Vision bien simpliste, comme si une appartenance sociale se résumait à quelques morceaux de tissu… Une classe sociale, ce sont surtout des codes, un langage, des comportements, des rituels, le plus souvent implicites. Le vêtement n’y joue qu’un rôle marginal et sous l’uniforme, les différences sociales sont toujours bien là. Je crois que le débat est ailleurs et que l’uniforme est une (mauvaise) réponse à une vraie difficulté que traverse l’enseignement aujourd’hui : la nécessaire prise en compte d’une hétérogénéité grandissante du public. L’élève occidental du XXIe siècle renâcle à être un anonyme dans une classe ; il veut être considéré dans sa singularité, avec ses dys-(-calculie, -lexie, -orthographie, -praxie…) son éventuel haut potentiel, son histoire personnelle… Essayez pour voir d’appliquer aujourd’hui une punition collective ! S’en suit un métier, celui d’enseignant, devenu autrement plus complexe, tant il doit prendre en compte ces individualités et différencier les apprentissages, avec de surcroît une compréhensible perte de son autorité: ce sont maintenant 20 ou 30 individus qui s’expriment, contestent ou l’affrontent désormais, lui qu’Internet vient de déposséder de son monopole du savoir. L’uniforme et son spectaculaire retour n’a donc d’autres buts que de ramener de l’homogénéité, voire un peu d’ordre, de « je ne veux voir qu’une seule tête », avec sans doute un soupçon de nostalgie (« de mon temps, ça filait droit ») et l’influence lointaine de quelque série US. On me dit par ailleurs que cela contribue à créer un esprit de corps, un sentiment d’appartenance, une fierté… Ce qui dans le contexte actuel ne me rassure guère : de l’esprit de corps au repli sur soi entre gens qui se ressemblent, il n’y a qu’un pas. L’intolérance n’est jamais loin, ni la peur de l’autre et de sa différence… Or, de quoi nos sociétés vieillissantes ont-elles besoin pour se réinventer, se « réenchanter » ? Une connaissance des codes, des savoirs de base et de tout notre héritage – valeurs, savoirs ou techniques, c’est évident. De même, le sens de l’effort ne peut pas faire de tort ! Mais a-t-on besoin besoin de normaliser les gens sous un uniforme ? Ne faut-il pas au contraire encourager l’expression personnelle, la créativité, l’audace d’entreprendre ? Nos sociétés ont besoin d’adultes autonomes, qui ont intégré les codes « de l’intérieur ». Pas en leur plaquant un uniforme sur le dos, qui les moulera ou les révoltera, c’est selon !