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Le revenu de base, pour remettre l’humain au cœur du XXIème siècle
La courbe du chômage ne cesse d’augmenter. La précarité des emplois sévit de plus en plus. Le travail se métamorphose continuellement et les inégalités se creusent chaque jour davantage. La robotisation se développe à folle allure, dans les emplois peu qualifiés mais aussi dans les emplois cognitifs. Nous faisons face à des crises économique, sociale, environnementale et politique, auxquelles nos gouvernements ne parviennent plus à répondre. La démocratie a besoin d’un nouveau souffle pour rendre à chaque citoyen sa capacité d’action au sein de la société.
L’instauration d’un revenu de base versé à chaque individu tout au long de la vie, sans condition de ressources ni de contrepartie, est l’une des réponses à cette crise sociétale. Universel, il simplifie une administration devenue trop complexe, bureaucratique et souvent intrusive. Inconditionnel, il reconnaît les activités non-marchandes et bénévoles et permet à chacun de maîtriser différemment son temps. Individuel, il instaure un socle d’égalité entre toutes et tous. Versé de la naissance à la mort, il offre à chacun un socle permanent lui permettant de vivre avec souplesse les différents moments de son existence, dont bien sûr les plus difficiles. Cumulable avec d’autres revenus, il augmente la capacité de négociation de chacun face à son employeur et élimine les effets de seuil.
Même s’il n’est pas une baguette magique qui résoudra tous les maux de l’humanité, le revenu de base est la condition sine qua non pour créer les conditions de leur résolution.
Car non seulement le revenu de base est souhaitable et nécessaire face aux évolutions sociétales actuelles, mais il est aussi réaliste et applicable dès aujourd’hui.
Plus que la question de son montant, différente selon les situations individuelles ou les choix géographiques, c’est la question du financement du revenu de base qu’il est intéressant d’explorer. Et les possibilités ne manquent pas ! Simplification du maquis d’aides sociales actuel, réforme de l’impôt sur le revenu ou de la taxe sur la consommation, mise en place d’une taxe écologique, réforme du système monétaire, taxe sur l’utilisation de ressources naturelles ou de produits polluants… Ces propositions peuvent se cumuler et se compléter, afin d’atteindre un revenu de base émancipateur pour chaque citoyen.
D’autre part, des étapes de mise en œuvre sont envisageables comme l’automatisation du RSA, la création d’une allocation universelle pour les jeunes, la mise en place d’un revenu de base pour les enfants… Autant de premiers pas concrets qui peuvent être réalisés dès aujourd’hui !
Loin d’être une utopie, le revenu de base est sans conteste la première des mesures pour remettre l’humain au cœur du XXIème siècle.
Le travail collectif et les revenus sont indissociables
Jean-Marie HARRIBEY
Économiste, Université de Bordeauxhttp://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/
Le revenu d’existence (ou revenu inconditionnel) est considéré par certains comme une solution au chômage et à la pauvreté. Malheureusement, la plupart des partisans de ce revenu se placent peu ou prou dans l’hypothèse de la fin du travail et du plein emploi, voire du refus du travail car celui-ci ne serait pas un facteur d’intégration dans la société. Or, le travail est fondamentalement ambivalent, aliénant sous sa forme salariée car installé dans un rapport de subordination, mais porteur de reconnaissance sociale. De plus, le chômage n’est pas une fatalité mais le résultat d’un capitalisme très violent et inégalitaire qui a capté de plus en plus de valeur au détriment du travail.
La revendication d’inconditionnalité part du souci légitime que tout individu puisse vivre dignement. Et ses théoriciens disent que chacun pourrait se livrer à des activités libres et autonomes, qui seraient autant de richesses supplémentaires, sans avoir à subir l’emploi salarié. Or, toute activité doit être validée socialement pour qu’elle puisse être source de nouvelle valeur monétaire et non pas simplement de valeur d’usage individuelle, car la monnaie est une institution sociale et ne découle pas d’un acte personnel. Autrement dit, on ne peut confondre les activités privées et les activités validées collectivement, soit par le marché, soit par l’État, les collectivités locales ou les associations. L’activité d’un individu sans regard des autres n’a aucun sens économique et social. L’inconditionnalité souffre donc d’un contresens : un droit peut être inconditionnel, mais ce n’est pas ce droit qui engendre la valeur monétaire qui serait distribuée. On retrouve ici la faille de toutes les pseudo-théories économiques qui n’ont jamais accepté ni compris que seul le travail socialement validé était créateur de valeur, et qui glosent sur le miracle monétaire de la finance ou de la nature.
Les transformations du capitalisme actuel où les connaissances jouent un rôle décisif dans le processus de production n’invalident pas le lien indéfectible entre travail, valeur, validation sociale et revenu, au contraire. Mais elles rendent indispensable une forte réduction générale du temps de travail et des inégalités – d’autant plus dans une perspective écologiste – de telle sorte que tous les individus puissent s’insérer dans toutes les sphères de la société, dont celle où s’accomplit le travail collectif.
L’enjeu est crucial car les libéraux intelligents ont compris le parti que le patronat pouvait tirer d’un revenu inconditionnel qui serait donné par la collectivité, le dispensant ainsi de verser des salaires décents.
Face à cela, il convient de penser la transition : tant que le chômage n’a pas été éliminé, des revenus de transferts élevés doivent assurer la continuité du revenu, mais il faut cesser de croire en la génération spontanée de valeur qui naîtrait d’une inconditionnalité du droit.