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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Pour la réforme de l'orthographe
Michèle LENOBLE-PINSON
Membre du Conseil international de la langue française (CILF, Paris)http://www.orthographe-recommandee.info/
D’abord, l’orthographe n’est pas la langue. Elle est le vêtement de la langue ou un outil au service de la langue. Les œuvres de Montaigne, de Molière et de Bossuet sont écrites en français. Elles le restent aujourd’hui alors que les éditeurs en ont modernisé les graphies. Rénover un peu l’orthographe, ce n’est donc pas assassiner la langue, ni l’appauvrir, ni la simplifier, ni opérer un nivèlement par le bas puisque l’on ne touche pas à la langue, on touche seulement à son vêtement.
Ensuite, les rectifications de 1990 montrent une évolution de l’usage, et non une révolution. Le français n’est pas une langue morte comme le latin, c’est une langue vivante, il est normal que son ou ses usages évoluent. La prononciation, le vocabulaire, la terminologie, la féminisation des noms de professions évoluent. Les réformes font partie de l’évolution des usages de la langue.
Une saine évolution. Au cours des siècles, l’orthographe a accumulé des anomalies et des irrégularités. L’Académie française propose de mettre fin à certaines d’entre elles. Pourquoi « bonhomme » et « bonhomie », « vingt-deux » et « cent deux »? Pourquoi « un porte-avions » sans avion ? Les rectifications touchent environ 2000 mots, et souvent le changement ne concerne qu’un accent. Si toutes étaient appliquées, elles toucheraient en moyenne moins d’un mot par page. Et souvent la réforme se réduit à modifier soit un accent aigu qui ne correspond plus à la prononciation (allégement peut s’écrire allègement), soit un accent circonflexe sur le i ou le u lorsque celui-ci n’apporte pas de nuance indispensable (maître peut s’écrire maitre, coûter, couter). Ces modifications correspondent en grande partie à l’évolution naturelle de la prononciation et des graphies. On eût pu souhaiter une mise en ordre plus ample.
Enfin, le temps scolaire consacré à l’enseignement de l’orthographe traditionnelle pourra être réduit au profit d’autres aspects de la langue.
Que retenir?
Les graphies rectifiées correspondent à des variantes orthographiques. Aux 3000 variantes traditionnelles, du type clef ou clé, il payera ou il paiera, s’ajoutent 2000 variantes nouvelles. C’est tout.
L’inquiétude n’est pas de mise. La langue n’est pas touchée. Les rectifications ne sont pas imposées. L’orthographe traditionnelle reste valable. Aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive. Pendant un temps indéterminé, les deux orthographes auront à coexister.
Une langue vivante évolue d’elle-même
Dr Renaud MUSELIER
Ancien Ministre, Député Européen, Président délégué de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Président du Comité Régional du Tourismehttp://www.renaudmuselier.fr
La réforme de l’orthographe veut adapter et faciliter l’usage du français par rapport aux habitudes contemporaines.
Selon moi, il ne revient pas au Ministère de l’Éducation nationale actuel de déterminer les règles en vigueur dans la langue française. N’oublions pas que c’est l’Académie française, qui a d’ailleurs manifesté son désaccord face à cette réforme, qui est seule à même de modifier la langue française en fonction de l’évolution des usages. En voulant simplifier la langue et l’adapter aux besoins actuels, la réforme de l’orthographe porte pour moi en elle beaucoup trop de paradoxes. C’est par les usages qui en découlent, constatés a posteriori par l’Académie française que l’orthographe pourra à mon avis être modifiée.
En plus d’imposer l’évolution de la langue, elle menace la francophonie et comporte bien malheureusement de nombreuses incohérences. En effet, vouloir réformer l’orthographe, c’est ignorer l’essence même d’une langue vivante qui évolue naturellement d’elle-même. Le postulat même d’une réforme de l’orthographe pose donc, à mon sens, problème dans la mesure où elle ne vient pas constater puis formaliser une pratique, mais prétend au contraire en imposer une toute nouvelle.
Cela comporte le risque que non seulement les nouvelles règles ne s’appliquent pas partout de la même manière, mais qu’également l’écriture du français se trouve déstabilisée profondemment et durablement. La menace d’une telle réforme imposée est que la langue française « simplifiée » se voie finalement complexifiée par des pratiques radicalement différentes d’un pays francophone à un autre, voire même d’une région française à une autre. Dans l’abondance de variantes, légitimées ou non, le francophile qui souhaiterait apprendre et pratiquer le français se trouverait sans doute tout autant destabilisé et il en serait terminé de l’universalité de la langue française.
Enfin, La richesse d’une langue reflète la subtilité d’une pensée. La simplification de la première influe sur la deuxième. Il me semble qu’une réforme de la langue est implicitement accompagnée d’un projet politique visant à encourager ou bien défavoriser le développement d’une pensée propre et critique. Cette réforme pourrait donc aller vers une pensée plus pauvre.
En somme, même si l’intention est peut-être bonne, la réforme proposée aujourd’hui risque d’être inéficace et de nuire à l’utilisation et au rayonnement de la langue.