Job dating : une bonne solution pour pallier le manque de professeurs ?

📋  Le contexte  📋

La rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel, a lancé fin mai une grande opération afin de recruter 2035 contractuels, dont 700 professeurs de primaire et 600 en collège et lycée, qui manquent encore pour la rentrée de septembre.

Du 30 mai au 2 juin,  le rectorat a organisé des journée de recrutement avec Pôle emploi et l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Au programme de ces 4 jours, des  « job dating ». Des entretiens de 30 minutes avec des inspecteurs de l’Education nationale et des conseillers pédagogiques suivis d’échanges avec des contractuels déjà en poste. Selon l’académie, ce format a été choisi afin d’accélérer et de rendre plus efficace la procédure de recrutement.

Pour les candidats, un seul prérequis : avoir un bac +3 minimum. Les profils des potentiels futurs enseignants sont donc variés. Les « sélectionnés » enseigneront dès la rentrée, après avoir reçu une semaine de formation. Ils seront recrutés en tant que contractuels avec des contrats d’un an. Ces « contractuels » ont un statut un peu particulier qui pourrait s’apparenter à un CDD dans le secteur privé. Les contractuels pallient le manque de professeurs titulaires pour quelques mois ou une année scolaire entière, et leur contrat peut être renouvelé si les besoins persistent.

Le rectorat publié les niveaux de rémunération  : 2 022 à 2 327 € bruts mensuels, selon le niveau de diplôme, en enseignement général, et 1820 à et 2903 € bruts mensuels selon le niveau de diplôme et d’expérience pour l’enseignement technique et professionnel. Des primes sont prévues dans certains cas précis (enseignement en réseau d’éducation prioritaire, etc.).

 

Partout en France, les effectifs manquent. D’année en année, le nombre de professeurs du premier et du second degré diminue. Les causes seraient multiples. L’une d’entre elles serait la réforme du concours de professeur, entrée en vigueur cette année. Désormais, les étudiants qui souhaitent devenir professeur des écoles ou enseignant dans le second degré ne peuvent se présenter au concours qu’à la fin de leur master 2 – c’était auparavant en fin de master 1.

Mais d’autres y voient un phénomène plus ancien. L’année dernière, un rapport sénatorial pointait ainsi le manque d’attractivité du métier d’enseignant, de plus en plus pénible, mal considéré et faiblement rémunéré – en dessous de la moyenne européenne.

Quelles que soient les raisons réelles, le constat est clair : l’Education nationale manque de professeurs. Cette année, seulement 484 candidats ont été admissibles pour les oraux sur 1430 postes à pourvoir à Versailles.

Cette initiative avait été testée dans les académies de Toulouse et Poitiers et suscitait déjà la polémique. Mais c’est l’ampleur de l’opération qui a suscité autant de réactions. Car la méthode est loin de faire l’unanimité parmi les syndicats de professeurs. Quand les titulaires ont besoin d’un bac+5 pour devenir enseignant (niveau master), ce n’est pas le cas pour les contractuels, qui peuvent postuler à un niveau inférieur.

« On a 18 semaines de stage répartis durant les deux années de Masters, ce qui permet de découvrir l’enseignement, de consolider les connaissances disciplinaires. Là, on recrute en 30 minutes en regardant rapidement le CV, dont certains démissionneront car ils sont lancés sans formation dans le grand bain de l’enseignement« , pointe du doigt Sophie Vénétitay, secrétaire générale du premier syndicat du second degré, le SNES FSU.

Même son de cloche du côté des fédérations de parents d’élèves : « Certains contractuels peuvent être très bien, mais certains n’ont pas forcément la pédagogie nécessaire. Et comme il y n’y a pas de solution de repli, les académies laissent la situation s’enliser. On met l’avenir de nos enfants entre les mains de gens qui ne savent pas forcément ce qu’ils font, car ils ne sont pas formés« , déplore Laurent Zameczkowski, vice-président national de la Peep, fédération d’associations de parents d’élèves.

L’Education nationale rappelle que ces entretiens ne sont qu’une étape préliminaire. « Tout ne se joue pas dans le temps du recrutement, l’entretien est la première étape avant la mise en place d’un dispositif d’accompagnement et de formation tout au long de l’année » défend Jérôme Bourne Branchu, directeur académique de l’Essonne.

La polémique n’est pas prête de s’arrêter : après l’académie de Versailles, c’est celle d’Amiens qui se lance dans le recrutement d’enseignants par le biais de job dating. Une session est organisée à Beauvais le 20 juin.

Et vous, qu’en pensez-vous ? S’agit-il d’une méthode innovante qui permet de pallier efficacement le manque de professeurs pour la rentrée ou un constat d’échec sur les méthodes de recrutement des professeurs ? On en débat

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Le « Pour »
Charline Avenel
Rectrice de l'académie de Versailles
Les métiers de l’enseignement attirent !

Avec les journées du recrutement (Job Dating en anglais) organisées par l’académie de Versailles, nous en avons la démonstration. En témoignent les plus de 2 000 personnes venues à notre rencontre tout au long des quatre journées que nous avons proposées.

Alors pourquoi ce résultat si positif ?

D’abord parce que nous proposons des métiers qui ont du sens, qui suscitent un engagement pour notre jeunesse et pour le service public.

Ensuite, parce que le marché de l’emploi évolue, que les personnes ont parfois envie de carrières multiples et que nous devons nous y adapter. Certains souhaitent s’engager pour une carrière chez nous, en passant les concours. D’autres peuvent être intéressés par nos métiers sans vouloir s’engager sur toute une carrière, ou en cherchant à se reconvertir.

Ces profils, de très grande qualité, sont sélectionnés avec une forte exigence de nos jurys sur leur niveau de compétences

Enfin, parce que ces journées sont des moments de rencontre, d’échange. Que nos métiers méritent d’être connus, voire redécouverts par les candidats potentiels, dont une partie d’entre eux n’avaient peut-être pas imaginé qu’ils pouvaient nous rejoindre, alors qu’ils s’interrogent sur leur avenir professionnel.

Nous avons vu, lors de ses journées, une nouvelle diversité des profils qui pourraient nous rejoindre : des cadres en reconversion, des ingénieurs, des personnes ayant déjà eu des missions d’enseignement, des étudiants en fin d’étude…  Ces profils, de très grande qualité, sont sélectionnés avec une forte exigence de nos jurys sur leur niveau de compétences.

Cette attractivité, nous devons désormais la concrétiser. Pour cela, nous appliquerons cette même exigence dans l’accompagnement que nous mettrons en place pour ceux que nous allons effectivement recruter. Pour cela, ils seront très fortement accompagnés par nos équipes et par nos formateurs : avant la rentrée, pendant les vacances de la Toussaint, mais aussi et surtout avec un tuteur expérimenté tout au long de l’année, dans leur école ou établissement, et à travers un ensemble de ressources renouvelées, pour les guider au mieux dans leur prise de fonction.

L’académie des Versailles, en tant que premier employeur d’Ile-de-France, se doit d’utiliser les méthodes de recrutement d’aujourd’hui

La création de l’école académique de la formation continue (EAFC), inaugurée il y a deux semaines, nous permet en effet de construire un véritable parcours d’accueil et de formation pour les personnels qui vont nous rejoindre.

Alors oui, je l’assume ! L’académie de Versailles, en tant que premier employeur d’Ile-de-France, se doit d’utiliser les méthodes de recrutement d’aujourd’hui pour être attractive. Le format job dating permet à des personnes venues d’horizons divers de s’intéresser au métier de professeur, de s’engager et peut-être, à terme, de vouloir passer les concours et poursuivre leur carrière dans l’Education Nationale. Cette nouvelle richesse se fera au profit de nos élèves.

Le « Contre »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC (Syndicat National des Lycées, Collèges, Écoles et du Supérieur)
Ces « job dating » sont une honte

Le point de départ de tout cela, c’est le manque d’attractivité du métier d’enseignant, qui s’est terriblement aggravé cette année. Depuis longtemps, on a du mal à remplir les places au concours dans certaines disciplines (mathématiques, allemand, lettres classiques, plusieurs disciplines de la voie professionnelle…).

Et, depuis quelques années, cette crise des recrutements concerne aussi les professeurs des écoles. Mais elle touche bien au-delà du seul métier de professeur : on n’arrive pas non plus à recruter des médecins ou des accompagnants d’élèves en situation de handicap.

C’est en fait très pratique de pouvoir payer moins cher des gens qui, de surcroit, n’ont qu’une protection limitée, et n’ont aucun garantie individuelle d’être réemployés d’une année sur l’autre

Afin de mettre des personnes devant les classes, l’Éducation nationale a donc de plus en plus recours à des personnels contractuels, qui n’ont pas le concours. Ces collègues sont par nature précaires, très mal payés, très peu formés. Ils sont mis dans les pires conditions imaginables, et si certains tiennent, beaucoup craquent avant la fin de l’année scolaire. On est donc dans un système qui a institutionnalisé la précarité.

Il ne s’agit plus de recruter des contractuels dans des situations d’urgence : c’est quelque chose de structurel, qui est un révélateur très clair de la crise qui nous touche. Et c’est aussi un révélateur du manque d’éthique dans la gestion des ressources humaines : c’est en fait très pratique de pouvoir payer moins cher des gens qui, de surcroît, n’ont qu’une protection limitée, et n’ont aucune garantie individuelle d’être réemployés d’une année sur l’autre.

Cela laisse penser à la société qu’il n’y a pas besoin de compétences réelles pour devenir enseignant

Ce phénomène contribue évidemment à la dévalorisation de notre métier. Quelle image de notre profession donne-t-on si n’importe qui ou presque peut devenir professeur après un entretien de 30 minutes ? Imaginez si je prétendais devenir vétérinaire parce que j’ai un chat… Cela laisse penser à la société qu’il n’y a pas besoin de compétences réelles pour devenir enseignant, et donc qu’on peut rogner un peu plus chaque année sur notre pouvoir d’achat.

Et c’est ainsi que des personnes, certes pleines de bonne volonté, mais qui ne connaissent rien à nos conditions de travail et à ce qui constitue notre professionnalité, viennent postuler parce qu’elles ont bien aimé faire des devoirs de maths avec leurs enfants.

Le pire dans tout cela, c’est que le rectorat de Versailles en a fait toute une mise en scène. On se retrouve avec la lie de la com’ : on se réjouit de la réussite d’un « job dating », alors même que c’est un terrible aveu d’échec que de se retrouver à devoir organiser une telle mascarade. On a l’impression d’être chez Orwell, et on cherche sciemment à tromper les citoyens sur ce que constitue cette opération.

Ce n’est pas parce qu’on utilise une expression anglaise pour faire « in » et « monde de l’entreprise » que le processus est positif. Au contraire, on se sert de ce langage comme d’un cache-misère. Pour résumer, la maison brûle, et le rectorat de Versailles se félicite du fait que ça lui permet de faire des économies de chauffage.

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