Le contexte
Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Un accord positif et stratégique : l’effet Kiss Cool du CETA
Les raisons pour l’Europe de soutenir le CETA sont nombreuses mais beaucoup plus longues à expliquer que les caricatures faciles qu’on lit souvent. Chaque fois que l’Europe signe un accord commercial (voire dès qu’elle fait quelque chose), les Cassandre nous prédisent l’Apocalypse. Ainsi l’UE comploterait sournoisement dans le dos des citoyens pour empoisonner leur nourriture, en faire des esclaves du « grand capital » et noyer des chatons. Un peu de sérieux, il est grand temps d’arrêter les fantasmes et de se baser sur des faits.
Pour commencer, le CETA est un bon accord qui respecte les lignes rouges européennes et françaises : les marchés publics canadiens seront plus accessibles aux entreprises européennes, nos services publics ne pourront pas être libéralisés, le droit des États à réguler est garanti, etc. Les normes européennes ne seront nullement réduites par le CETA, le bœuf aux hormones et les produits OGM ne sont donc pas prêts d’arriver dans nos rayons. Trois chapitres sont même consacrés à la protection des droits des travailleurs, au développement durable et à la protection de l’environnement.
L’autre grande victoire européenne est la reconnaissance et la protection, pour la première fois dans un traité commercial, de 143 indications géographiques européennes (qui protègent les produits régionaux comme le Roquefort), dont 42 françaises, liste qui pourra être élargie dans le futur. Enfin, le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs a été remplacé par une Cour permanente conformément aux demandes européennes afin de garantir plus de transparence et d’indépendance.
Au-delà du fond de l’accord, l’Europe a un intérêt stratégique à signer le CETA.
À court terme, ce que nous avons pu obtenir dans le CETA servira de précédent sur lequel l’Europe pourra s’appuyer dans ses négociations avec les États-Unis. Refuser le CETA serait donc faire un cadeau aux américains.
À moyen-terme, le CETA est un pas de plus pour pousser au niveau international les standards européens. C’est aujourd’hui que se joue la question de savoir si le commerce du futur se fera selon les normes occidentales, protectrices des consommateurs et de l’environnement, ou selon les normes chinoises, qui ne protègent rien du tout. Se poser la question de signer ou non le CETA revient donc à savoir quel modèle commercial l’on veut dans 20 ans.
Il y a enfin une question de crédibilité pour l’Europe. Car si nous ne sommes pas capables de trouver un accord avec le Canada, pays de 36 millions d’habitants avec qui nous partageons les mêmes valeurs, avec qui pourrons-nous bien nous entendre ?
Signer le CETA c’est donc défendre les intérêts européens aujourd’hui et dans le futur.
Pour une Europe ouverte sur le monde
Constance Le Grip
Députée (PPE-LR) au Parlement européen, membre de la délégation pour les relations avec le Canada
Qu’est-ce que le CETA (Accord économique et commercial global) ? Il s’agit d’un projet d’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Canada conçu pour favoriser les échanges et les investissements, dans le but de nous apporter un meilleur accès aux marchés, un surplus de croissance et, donc, plus de développement économique et d’emploi.
Il repose sur cinq piliers : réduction des tarifs douaniers, coopération normative et réglementaire, ouverture réciproque des marchés publics, préservation de la création et des produits traditionnels, et protection des investissements.
Il s’agit probablement du projet d’accord commercial négocié par l’UE le plus équilibré et le plus porteur. Il est le fruit de sept années de travail et de négociations, menées sous l’égide de la Commission européenne, en étroite collaboration avec les gouvernements des États membres de l’UE.
L’accord menacerait la démocratie ? Non, nous serons toujours libres de développer des politiques protectrices des consommateurs, des travailleurs, de la santé et de l’environnement.
L’accord menacerait notre patrimoine culturel et agricole ? Au contraire. Nombre de produits européens couverts par des Indications Géographiques Protégées (IGP) ne sont aujourd’hui pas protégés. Avec le CETA, près de 150 IGP, parmi lesquelles 42 produits français, pourront uniquement être commercialisées au Canada par des producteurs européens. C’est le cas notamment de grands fromages tels le Roquefort ou le Camembert de Normandie. Cette liste, qu’il sera possible de faire évoluer, vise à protéger l’identité des produits de nos terroirs.
L’accord menacerait les services publics ? Faux encore, puisque le texte garantit explicitement aux États qu’ils ne seront jamais empêchés d’assurer les missions d’intérêt public.
Toutes ces craintes sont clairement écartées par la déclaration interprétative adoptée par l’UE et le Canada, visant à répondre au blocage de la signature de l’accord par le Parlement wallon. Pour un Parlement régional représentant 3,5 millions d’habitants, prendre ainsi en otage, aussi tardivement, un projet d’accord commercial devant concerner 820 millions de citoyens canadiens et européens était un peu surprenant. Pour autant, les réticences exprimées par les parlementaires wallons ne pouvaient être écartées d’un revers de main méprisant… C’est pourquoi, malgré le report du sommet UE – Canada du 27 octobre où le CETA devait être signé, j’accueille avec satisfaction l’annonce d’un accord belgo-belge qui devrait permettre sous peu sa signature officielle.
Finalement, c’est toute une vision que porte ce projet d’accord avec le Canada, un pays aux valeurs si proches de celles des Européens. La vision d’une Europe ouverte sur le monde, qui a confiance en elle, qui n’a pas peur de la mondialisation, et qui est prête à partir à la conquête de nouveaux marchés. Il nous reste à faire partager à tous nos concitoyens européens la conviction que cette vision est celle qui peut le mieux les protéger.
L’Europe n’a pas besoin du CETA
L’Accord économique et commercial global (CETA) finalisé entre la Commission européenne et les autorités canadiennes a enfin été rendu public.
Ses promoteurs répétaient à satiété que cet accord poursuivait deux objectifs : définir des deux côtés de l’Atlantique des standards de qualité et permettre la création de nombreux emplois.
Les évaluations réalisées sur l’impact du CETA soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à l’élévation « mutuellement bénéfique » des normes. Alors même que l’étude produite en 2011 pour la Commission n’évaluait qu’à 0,03 % le surcroît de PIB à attendre l’application de cet accord, des recherches plus récentes alertent sur le risque de destruction nette d’emplois, de 200 000 pour l’Europe, 23 000 pour le Canada.
En effet, cet accord ne stimulerait pas seulement les échanges commerciaux, il intensifierait également la recherche de compétitivité liée aux coûts de production risquant ainsi de favoriser une compression salariale affaiblissant le niveau de la demande tant en Europe qu’au Canada.
Sur le plan environnemental, un consensus se dégage : l’accroissement des échanges entre ces deux ensembles débouchera sur un accroissement certain des gaz à effet de serre.
Nos concitoyens ne comprendraient pas que les chefs d’État européens qui célébraient solennellement en 2015 l’engagement pris à Paris à l’occasion de la COP21 de limiter le réchauffement planétaire, approuvent un an plus tard un accord en contradiction avec cet objectif climatique.
Cet accord renforce l’idée largement partagée par nos concitoyens que la capacité des gouvernements à imposer une régulation de la mondialisation reste un vœu pieu. La nouvelle mouture de tribunaux d’arbitrage destinés à régler les litiges pouvant naître entre les États et les principaux investisseurs n’est pas de nature à apporter les garanties nécessaires à la pleine souveraineté des États à pouvoir librement légiférer.
Enfin, le CETA a retenu l’approche dite de la « liste négative » : les services publics n’ayant pas fait l’objet d’une exclusion explicite sont susceptibles d’être libéralisés. Or ce parti pris contribue à faire de la marchandisation des services publics un principe de base et donc à limiter la marge de manœuvre des autorités publiques locales.
La première des responsabilités politiques qu’un élu doit assumer consiste à agir dans l’intérêt de ses citoyens. Le CETA ne permettra pas à l’Europe de relever les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés en termes de développement économique, de création d’emplois ou de lutte contre le changement climatique.
Le CETA n’est pas un accord du XXIe siècle
Emmanuel Maurel
Député européen, Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen
Instruits par l’expérience, nous pouvons désormais porter un jugement lucide sur les trente années de mondialisation libérale qui viennent de s’écouler. La réalité n’a plus grand-chose à voir avec ce que les tenants de la « mondialisation heureuse » prophétisaient: la levée des barrières aux échanges a certes créé des richesses, mais les a concentrées entre les mains d’une minorité.
Elle a produit des gagnants, mais aussi des perdants. Elle a fait reculer la puissance publique au profit du marché, et ne s’est pas adaptée aux défis climatiques et environnementaux.
Dès lors, il n’est pas question d’accepter n’importe quel accord de libre-échange. Il existe évidemment de bons accords – l’accord UE-Corée du Sud a permis de booster les exportations européennes (+ 55 %) – mais tout indique que le CETA ne fait pas partie de cette catégorie.
Les études d’impact officielles prédisent un gain de croissance hypothétique, de l’ordre de 0,03 % pour l’Union européenne à l’horizon 2020, quand d’autres universitaires anticipent des destructions d’emplois. Quoi qu’il advienne, le CETA est tout sauf un remède miracle à l’atonie de l’activité en France et en Europe.
Au-delà de ces chiffres, il serait naïf de croire que la manière dont s’est négocié le CETA (dans une opacité grotesque) explique à elle seule l’opposition dont l’accord fait l’objet dans la plupart des pays de l’UE. Ne nous y trompons pas : le CETA est par essence un accord de libéralisation et de dérégulation.
En ouvrant à la concurrence canadienne son secteur bovin (via un contingent annuel de 75 000 tonnes à répartir, in fine, entre les 27), l’Union européenne expose des éleveurs déjà en crise à la concurrence d’une agriculture industrialisée, ultra-compétitive, avec des standards minimaux en termes de respect de l’environnement ou du bien-être animal.
Moins d’un an après la signature de l’Accord de Paris, l’environnement est le grand oublié. S’il est clair que les produits canadiens devront se conformer à la législation européenne (les importations de bœuf aux hormones ou de porc à la ractopamine seront donc interdites), les négociations du CETA ont déjà contribué à affaiblir le droit européen : la Commission européenne a révisé son projet de Directive sur la qualité des carburants (DQC) afin d’autoriser l’importation en Europe du pétrole canadien issu des « sables bitumineux ».
À l’inverse, les décisions publiques de défense de l’environnement pourront être contestées devant des juridictions privées par des multinationales de l’énergie, de la construction ou des transports au nom de la défense de leurs « attentes légitimes ».
Sans conteste, le CETA n’est pas un accord du XXIe siècle.