La philanthropie peut-elle modifier le capitalisme ?

Débat philantrophie transformer capitalisme

Numéro 1

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Qu'est ce que la philanthropie ?

La philanthropie est un mot venant du grec philanthrôpia désignant l’amour du genre humain. On l’utilise aujourd’hui pour exprimer une générosité désintéressée à l’égard d’une autre personne. En d’autres termes, cela désigne une action ou une attitude bienveillante accompagnée d’altruisme. La philanthropie repose sur l’action volontaire d’individus et d’organisation privée en faveur de l’intérêt collectif. En ce sens, elle se distingue de l’entreprise privée et de l’action publique.

Comment définit-on le capitalisme ?

Le capitalisme est une notion plus difficile à définir. Il repose principalement sur trois éléments clés : la propriété privée, la liberté d’entreprendre et le profit. Il s’agit d’un système socio-économique organisant la production, la répartition et la consommation des richesses.
Le capitalisme moderne se caractérise par un partage du capital de l’entreprise entre plusieurs parties prenantes, une recherche de davantage de sécurité et une certaine puissance visant à influencer les décisions politiques. Ses principaux détracteurs dénoncent notamment une absence de morale et de coopération entre les individus.

Quelle est la relation entre les deux ?

De nos jours, la philanthropie est vue comme un investissement dans des actions visant à améliorer l’intérêt général. Quand les particuliers y participent par l’intermédiaire de dons, les entreprises, elles, créées des fondations pour défendre une (ou plusieurs) cause(s). Les intérêts y sont nombreux : possibilité de choisir où va son argent (contrairement aux impôts), déductions fiscales, sentiment de générosité et une perception de l’opinion publique généralement plus favorable.

En 2017, l’observatoire de la philanthropie dénombrait près de 2500 fondations en France dont 1/3 ont été créées depuis 2010. Les créateurs de ces fondations sont de plus en plus jeunes et se veulent de plus en plus impliqués dans leurs projets. L’action sociale est le premier domaine d’intervention des fondations (24%), suivi par la santé (17%) et la culture (17%), puis l’enseignement supérieur (9%). Ces fondations représentent un actif financier (valorisation de l’ensemble des possessions) estimé à 26,5 milliards d’euros. Mais une question se pose au niveau des impacts réels, et notamment sur le système capitaliste. Découvrez nos tribunes !

Source : Les fonds et fondations en France (2017) – Observatoire de la philanthropie

Numéro 2

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La philantropie : une contribution pour faire bouger le système

Précisons pour commencer que j’utilise le terme de philanthropie de façon large pour parler des différentes façons de combiner l’économique, le social et l’environnemental ou dit autrement, l’intérêt général et les intérêts particuliers, ou encore, la rentabilité et la solidarité. Ces différentes façons sont pratiquées par des associations, des fondations, des entreprises, des investisseurs ou des pouvoirs publics.

Car tel est le contexte actuel, certaines associations adoptent la logique entrepreneuriale pour pratiquer la solidarité, des fondations « font le bien » grâce à leur puissance financière issue de l’activité économique, tandis que certaines entreprises affirment avoir des « raisons d’être » sociétales et que des investisseurs se préoccupent de l’impact social. D’où un certain « brouillage des frontières » autour d’un apparent consensus général en faveur d’une « croissance inclusive et durable ». D’où également la question : la philanthropie a-t-elle incité le capitalisme à devenir « responsable » ?

Une prise en compte progressive des objectifs sociaux et environnementaux

Ma réponse est positive, car cette combinatoire de la rentabilité et de la solidarité menée par une variété étonnante d’acteurs exprime une prise en compte progressive des objectifs sociaux et environnementaux par d’aucuns dont la préoccupation dominante était jusqu’alors davantage économique et financière. La philanthropie a donc certainement contribué à faire bouger le système, mais sans oublier la pression déterminante des mouvements sociaux en faveur d’un monde plus juste et plus écologique.

Et sans être trop naïfs sur la portée du changement. D’une part parce qu’à la reconnaissance du besoin de réduire les inégalités et de sauver la planète, continuent de s’opposer des intérêts en faveur du « business as usual ». D’autre part parce que l’influence est aussi inverse, la financiarisation du monde impacte le monde de la philanthropie : gestion par les résultats, prédominance du quantitatif, objectifs à court terme, audit principalement comptable, etc. Enfin parce que cette nouvelle philanthropie n’est pas sans contradictions, citons-en trois : une partie bénéficie d’avantages fiscaux qui réduisent les capacités budgétaires des Etats ; les choix, les priorités sont celles décidées par les philanthropes qui peuvent avoir leurs propres objectifs ; enfin certaines activités philanthropiques sont génératrices d’inégalités.

Il ne s’agit pas de changer de système mais de régime

Au total, il y a effectivement besoin de changer de « régime de croissance » car le capitalisme financier actuel génère des dégâts sociaux et écologiques menaçants pour l’humanité et la planète. Ce changement se fera, comme précédemment (du capitalisme fordiste au capitalisme financier), en restant dans les fondamentaux du capitalisme. Il ne s’agit donc pas de changer de système mais de régime, au profit d’une croissance inclusive (moins d’inégalités), durable (assurant une transition écologique) et démocratique (renforçant le pouvoir d’agir des parties prenantes). Réservons le qualificatif de philanthropes à ceux qui contribuent à un tel changement de régime de croissance.

Conseil de lecture :

LE « CONTRE »

La responsabilité sociale et environnementale des entreprises ou le « social business » ne transforment pas le capitalisme

Billet rédigé par :

Michel Aglietta

Economiste et professeur émérite de sciences économiques à l'université Paris X
http://www.cepii.fr/BLOG/bi/contributeur.asp?auteur=Michel%20Aglietta

Nous venons d’assister à une formidable démonstration de philanthropie à l’occasion de l’incendie de « Notre Dame ». En un temps record les patrons des industries du luxe ont mis sur la table près de €1md. Quelques jours plus tard, le mouvement des « Gilets Jaunes » manifestait de plus belle son rejet du néolibéralisme à l’occasion de la fête du travail. Saisissant contraste qui témoigne de l’ambivalence du « capitalisme philanthropique ».

Des avantages fiscaux aux dépens du secteur public

Celui-ci est né aux Etats-Unis à la fin du XIX° siècle des rentes extraites des positions de monopole des Rockefeller, J.P.Morgan, Dupont de Nemours et autres, appelés les « barons voleurs ». Ils ont créé des fondations pour éviter la dispersion des héritages. Celles-ci leur ont permis d’extorquer des avantages fiscaux et d’établir des universités prestigieuses aux dépens du secteur public ; ce qui a perpétué la discrimination sociale dans l’éducation, sans parler de la main mise sur le système de santé qui est parvenue à faire baisser l’espérance de vie dans le pays le plus riche du monde.

La philanthropie alimente l’exercice du pouvoir par les grandes fortunes

Y a-t-il un changement de nature des rapports entre la finance et la philanthropie face aux mutations du capitalisme du XXIème siècle ? Non, ni la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, ni le « social business », ne transforment le capitalisme. La souveraineté actionnariale est entière et les inégalités de revenus et de richesses ont inexorablement progressé. Quant à la philanthropie pratiquée par les fondations, elle reste un exercice du pouvoir par les grandes fortunes, au service de leur reproduction.

Il faut une mutation de la démocratie en faveur de biens communs

Les enjeux du futur nécessitent de contrer le fondamentalisme du marché, donc une mutation de la démocratie en faveur de « biens communs ». Autrement dit, il faut des innovations institutionnelles conséquentes qui relèvent de collaborations originales entre la puissance publique, l’expertise scientifique et les institutions financières.

L’économie circulaire est certainement un facteur de régénérescence environnementale. De même l’association des banques publiques de développement et des investisseurs responsables peut faire évoluer la culture financière à l’encontre de la finance spéculative.

Mais la puissance publique est, pour ce faire, indispensable : pour remettre la fiscalité dans le sens de l’équité, pour réinvestir les rentes des ressources non renouvelables, pour éradiquer la pollution chimique, pour établir des normes industrielles respectant les limites planétaires. La montée d’un engagement civique pourrait permettre d’aller dans ce sens.

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