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Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
Protéger l'habitabilité de la Terre
Depuis la montée en puissance des multinationales dans les années 70, le droit des entreprises et les règles du commerce mondial ont tendance à primer de plus en plus sur les droits de l’Homme et n’ont aucun respect pour les écosystèmes. En conséquence, le climat s’emballe, la biodiversité s’est effondrée, la pollution est omniprésente. Les catastrophes naturelles ont forcé au déplacement de 227,6 millions de personnes entre 2008 et 2016. Une étude publiée en juillet 2017 par une équipe de l’Université de Cornell aux États-Unis révèle qu’en 2060, environ 1,4 milliard de personnes pourraient devenir des réfugiés du changement climatique, puis 2 milliards d’ici 2100.
Les atteintes les plus graves aux écosystèmes terrestres restent non sanctionnées
Si les conditions de la vie elle-même sont menacées sur Terre, comment pourrions-nous espérer garantir à l’humanité son droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé et même à l’habitat, comment donner force au droit à un environnement sain ? La Terre doit rester sûre et habitable pour l’humanité et pour l’heure, le droit international est en incapacité de le garantir car les atteintes les plus graves aux écosystèmes terrestres restent non sanctionnées. C’est le constat fait par cinq juges de renommée internationale dans une opinion juridique rendue le 18 avril 2017, suite aux témoignages entendus lors du Tribunal Monsanto citoyen auquel ils avaient été conviés en octobre 2016. Selon eux : « Le temps est venu de proposer la création d’un nouveau concept juridique : le crime d’écocide, et de l’intégrer dans une future version amendée du statut de Rome établissant la Cour pénale internationale ». Ce nouveau crime international permettrait de poursuivre des personnes physiques mais aussi des entités morales.
Un concept juridique clair et appuyé sur la théorie scientifique
Cette opinion conforte la demande du mouvement End Ecocide on Earth mobilisés depuis 2013 dans la lignée de nombreux juristes qui oeuvrent à la reconnaissance du crime international d’écocide depuis les années 70 . Les juristes du mouvement proposent aux Etats signataires du Statut de Rome une liste d’amendements « clé en main » permettant de caractériser le crime d’écocide, à savoir « la destruction ou l’endommagement grave de communs naturels et/ou de systèmes écologiques » susceptibles de menacer les conditions d’existence des générations présentes et/ou futures. Pour estimer la réalité et la gravité des faits reprochés, nous proposons que l’instruction s’appuie sur la théorie scientifique des limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Center et reconnues aujourd’hui par les Nations Unies et l’Union européenne comme un cadre pertinent pour déterminer les objectifs du développement durable. Ces neuf limites ne doivent pas être dépassées si l’humanité souhaite pouvoir se développer dans un écosystème sûr. Quatre d’entre elles ont déjà été franchies à ce jour concernant le climat, l’intégrité de la biosphère, le changement d’usage des sols et la modification des cycles biogéochimiques. Il est urgent d’agir et de lever l’impunité des pollueurs.
Un nouveau concept juridique inutile et contre-productif
Bernard Perret
Socio-économiste, enseignant au Centre Sèvreshttps://centresevres.com/enseignant/bernard-perret
Il est bien-sûr très important que le combat pour la défense de la Planète se porte sur le terrain juridique, mais faut-il pour cela faire entrer dans notre droit un crime d’écocide ? Sans même parler de la difficulté de définir ce crime avec une précision suffisante, deux grandes objections peuvent être formulées :
Un nouveau concept juridique nullement nécessaire
Ce n’est nullement nécessaire. Le droit existant offre en effet des points d’appui suffisants pour exiger des actions plus fortes de la part des pouvoirs publics. Des objectifs de préservation à long terme (du climat, de la biodiversité et des espaces naturels, des ressources aquatiques, etc.) ont été formulés depuis des décennies dans un ensemble de textes de différentes portées, souvent d’origine communautaire. Ce corpus fournit une base juridique pour des actions en justice au nom des générations futures. En France, l’un des textes les plus importants du point de vue de ses conséquences juridiques est le « Principe de précaution » qui figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement annexée depuis 2005 à la Constitution française. En se fondant sur ces textes, les ONG environnementales ont commencé à intenter des actions contentieuses à l’encontre des gouvernements ou des entreprises. Fin 2018, plusieurs d’entre elles (FNH, Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France…) viennent d’assigner l’État français en justice devant le tribunal administratif de Paris pour inaction face aux dérèglements climatiques. Onze plaintes de ce type ont été recensées au plan mondial.En 2015, une ONG a eu gain de cause contre le gouvernement néerlandais (mais ce dernier a fait appel).
Un risque de parallèle fâcheux entre écocide et génocide
Demander la reconnaissance d’un crime d’écocide risque d’être contre-productif en donnant inutilement des arguments à ceux qui suspectent (ou feignent de suspecter) les écologistes d’être des anti-humanistes prêts à opposer les droits de la nature à ceux des êtres humains. Écocide suggère en effet un parallèle fâcheux entre écocide et génocide, dont on peut prévoir qu’il heurterait inutilement la sensibilité des victimes de crimes de masse. Mieux vaut laisser sa spécificité au registre de la répression des actes meurtriers et avancer avec des concepts spécifiques sur le terrain de la défense des droits des générations futures qui, elles, en tant que personnes humaines à naître, ont tout à fait vocation à devenir des sujets de droit.
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