Caricature pour Le Rire, Charles Léandre, 20 mai 1905

[Historique] Faut-il séparer l’Église de l’État ?

Avertissement !

Ce débat, surtout formulé comme ceci, peut sembler trompeur. Il place sur le même plan deux opinions dont l’Histoire a montré qu’elles n’étaient pas forcément sur le même plan. Néanmoins, à l’époque, elles l’étaient. Nous ressuscitons ces débats historiques dans leur contexte pour montrer que les débats d’hier ont contribué à façonner le monde que nous connaissons, et par extension que les débats d’aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain. Et, qui sait ? Peut-être que dans quelques générations, certains de nos débats actuels ne mériteront plus le pied d’égalité dont ils ont bénéficié aujourd’hui ?

📋  Le contexte  📋

Sous l’influence de l’Empire romain, le christianisme pénètre lentement en Gaule sans véritablement s’affirmer.

En 496, le baptême de Clovis est un tournant : il inaugure une royauté sacrée où le pouvoir politique est légitimité par la volonté de Dieu. Dès lors, jusqu’en 1789, la France est une monarchie de droit divin.

En parallèle, le monachisme bénédictin et les différents ordres (clunisiens, cisterciens, franciscains, dominicains,…) installent la religion dans les pratiques occidentales. Le territoire se couvre alors d’églises autour desquelles la vie en communauté s’organise en “paroisses” et contribue grandement à l’évangélisation de la population française.

La Révolution Française voit l’adoption de la Constitution civile du clergé en 1790. D’inspiration gallicane, ce texte crée l’Eglise constitutionnelle, subventionnée par l’Etat et autonome vis-à-vis du Pape. Cependant, en 1801, le Concordat napoléonien abroge ce dernier en rétablissant la primauté du pape et en requalifiant le catholicisme comme “religion majoritaire des Français” (et non plus comme “religion d’Etat”)

Le 9 décembre 1905, dans un contexte anticlérical (porté par Emile Combes), le député Aristide Briand promulgue la Loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cette loi fonde alors le principe de “laïcité”.

Depuis 1905, la République française est neutre en matière de religion et tolère toutes les croyances, dans le respect de l’ordre public. Les citoyens sont alors libres de croire ou de ne pas croire.

Pourtant, depuis 2004 et la loi qui interdit le port ostensible de signes religieux dans les écoles publiques, certains élus semblent vouloir imposer cette neutralité dans l’espace public. Cette volonté vise en particulier le voile islamique qui, depuis 1989, fait l’objet de nombreuses polémiques. En témoigne, l’intervention de Julien Odul (élu du Rassemblement national) en octobre 2019, au conseil régional de Bourgogne Franche-Comté qui, en demandant à une accompagnatrice de retirer son voile, a suscité l’indignation de l’assemblée.

🕵  Le débat des experts  🕵

Le principe du Drenche est de présenter l’actualité sous forme de débats. Le but est qu’en lisant un argumentaire qui défend le « pour » et les arguments du camp du « contre », vous puissiez vous forger une opinion ; votre opinion.
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Le « Pour »
Aristide Briand
Député socialiste
L’Église catholique est déjà morte

Discours prononcé lors de la séance du 3 juillet 1905

« [Nous étions] désireux de faire accepter la séparation par les nombreux catholiques de ce pays. Nous n’avons pas oublié un seul instant que nous légiférions pour eux et que les droits de leur conscience exigeaient de la loi une consécration conforme à l’équité. C’est dans cet esprit que nous avons entrepris et réalisé cette grande réforme.

Et la loi que nous avons faite […] est finalement, dans son ensemble, une loi libérale.

[…]

Dans ce pays où des millions de catholiques pratiquent leur religion – les uns par conviction réelle, d’autres par habitude, par traditions de famille -, il était impossible d’envisager une séparation qu’ils ne puissent accepter.

[…]

Nous n’avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République.

Eh bien ! Je dis que telle que nous l’avons conçue, telle que nous l’avons réalisée, laissant aux catholiques, aux protestants, aux israélites ce qui est à eux, leur accordant la jouissance gratuite et indéfinie des églises, leur offrant la pleine liberté d’exercer leurs cultes […] sans autres limites que le respect de l’ordre public, permettant aux associations cultuelles de s’organiser en toute indépendance avec des facultés plus larges que celles du droit commun ; ne prenant à l’égard des ministres d’autres précautions que celles qu’ils devraient être eux-mêmes les premiers à approuver, s’ils sont réellement guidés par l’intérêt de la religion et non pas par des préoccupations électorales.

[…]

La loi que nous aurons faite ainsi sera une loi de bon sens et d’équité, combinant justement les droits des personnes et l’intérêt des Églises avec les intérêts et les droits de l’État, que nous ne pouvions pas méconnaître sans manquer à notre devoir.

[…]

Maintenant, messieurs, permettez-moi de vous dire que la réalisation de cette réforme qui figure depuis 34 ans au premier plan du programme républicain aura pour effet désirable d’affranchir ce pays d’une véritable hantise sous l’influence de laquelle il n’a que trop négligé d’autres questions importantes, d’ordre économique ou social.

[…]

Mais, pour qu’il en fût ainsi, il fallait que la séparation ne donnât pas le signal de luttes confessionnelles ; il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement. Nous l’avons faite de telle sorte que l’Église ne puisse invoquer aucun prétexte pour s’insurger contre le nouvel état de choses qui va se substituer au régime concordataire. Elle pourra s’en accommoder ; il ne met pas en péril son existence.

Si la vie de l’Église dépend du maintien du Concordat, si elle est indissolublement liée au concours de l’État, c’est que cette vie est factice, artificielle, c’est qu’alors, en réalité, l’Église catholique est déjà morte.

Le « Contre »
Pie X
Pape
Sans cette union et sans cette concorde, aucune nation ne peut vivre ou prospérer

Vehementer Nos : lettre encyclique au peuple français, 11 février 1906

Notre âme est pleine d’une douloureuse sollicitude et notre coeur se remplit d’angoisse quand notre pensée s’arrête sur vous. Et comment en pourrait-il être autrement, en vérité, au lendemain de la promulgation de la loi qui, en brisant violemment les liens séculaires par lesquels votre nation était unie au siège apostolique, crée à l’Eglise catholique, en France, une situation indigne d’elle et lamentable à jamais.

[…]

Qu’il faille séparer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l’Etat ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d’abord très gravement injurieuse pour Dieu, car le créateur de l’homme est aussi le fondateur des sociétés humaines et il les conserve dans l’existence comme il nous soutient.

Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l’honorer.

[…]

Non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider.

[…]

Ces deux sociétés, la société religieuse, et la société civile, ont, en effet, les mêmes sujets, quoique chacune d’elles exerce dans sa sphère propre son autorité sur eux.

[…]

Le même pontife Léon XIII avait donc bien raison de dire: « La France ne saurait oublier que sa providentielle destinée l’a unie au Saint-Siège par des liens trop étroits et trop anciens pour qu’elle veuille jamais les briser. De cette union, en effet, sont sorties ses vraies grandeurs et sa gloire la plus pure. Troubler cette union traditionnelle, serait enlever à la nation elle-même une partie de sa force morale et de sa haute influence dans le monde ». (Allocution aux pèlerins français, 13 avril 1888.)

Les liens qui consacraient cette union devaient être d’autant plus inviolables qu’ainsi l’exigeait la foi jurée des traités. Le Concordat passé entre le Souverain Pontife et le gouvernement français, comme du reste tous les traités du même genre, que les Etats concluent entre eux, était un contrat bilatéral, qui obligeait des deux côtés: le Pontife romain d’une part, le chef de la nation française de l’autre, s’engagèrent donc solennellement, tant pour eux que pour leurs successeurs, à maintenir inviolablement le pacte qu’ils signaient.

[…]

Nous relevons, en effet, dans la loi, plusieurs mesures d’exception, qui, odieusement restrictives, mettent l’Eglise sous la domination du pouvoir civil. Quant à nous, ce nous a été une douleur bien amère que de voir l’Etat faire ainsi invasion dans des matières qui sont du ressort exclusif de la puissance ecclésiastique, et nous en gémissons d’autant plus qu’oublieux de l’équité et de la justice, il a créé par là à l’Eglise de France une situation dure, accablante et oppressive de ses droits les plus sacrés.

[…]

Vous savez le but que se sont assigné les sectes impies qui courbent vos têtes sous leur joug, car elles l’ont elles-mêmes proclamé avec une cynique audace : « Décatholiciser la France ».

[…]

Sans cette union et sans cette concorde, aucune nation ne peut vivre ou prospérer.

[…]
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