📋 Le contexte 📋
En France, les consignes du vote lors d’élections politiques sont simples. Chaque électeur doit se déplacer au bureau de vote où il est inscrit, faire son choix dans le plus grand secret dans un isoloir, et insérer son bulletin de vote dans une enveloppe déposée dans une urne.
Seule exception à la règle : la procuration, qui confère à une personne désignée par l’électeur la responsabilité de faire entendre sa voix par le processus décrit ci-dessus si le déplacement en bureau de vote n’est pas possible.
Le vote par correspondance, qui retirerait cette obligation de déplacement de l’électeur ou d’un tiers en envoyant son vote par voie postale, a existé en France de 1964 à 1975, mais a été remplacé par le vote par procuration, principalement en raison de fraudes régulières.
Sources : Le Monde, Ministère de l’Intérieur
Le vote par correspondance est pourtant une option dans la plupart de nos voisins européens, et vise en premier lieu a réduire l’absentionnisme en augmentation en Europe.
La Suisse, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne font notamment partie des pays qui autorisent le vote par correspondance par voie postale – soit en cas d’impossibilité de déplacement en bureau de vote, soit de manière inconditionnelle et sur simple demande de l’électeur en amont.
Evolution logique et contemporaine du vote par correspondance, le vote électronique est plus rare, et si de nombreux pays sont en train de tester cette option, seule la Belgique l’a déployée à échelle nationale. Les cyber-attaques lors des élections présidentielles américaines de 2016 incitent à la patience et à la réflexion avant de mettre en oeuvre le vote électronique, qui requiert des dispositifs de sécurité solides.
Sources : Le Monde, UK Government
La pandémie de COVID-19 soulève cette épineuse question et pousse certains à appeler de leurs voeux une remise en question du système électoral établi pour préserver la démocratie malgré la crise sanitaire. La question avait été posée lors des élections municipales de 2020, maintenues en dépit d’un nombre de cas qui grimpait en flèche – et le gouvernement Philippe avait été sous le feu des critiques de tous bords politiques.
Les Etats-Unis, eux, utilisent le vote par correspondance depuis bien longtemps. La pandémie a évidemment accentué le recours au vote par voie postale, et le monde entier a été suspendu aux résultats du dépouillement des bulletins postaux des derniers Etats-clés lors des élections présidentielles de novembre 2020. Les accusations de fraudes de la part d’une frange du Parti Républicain ont aussi montré la faiblesse que le vote par correspondance peut conférer au processus électoral, et remettent en question la confiance du peuple envers les institutions de nos démocraties occidentales. D’un autre côté, le vote par correspondance a sans doute évité un large taux d’abstentionnisme « sanitaire ».
L’approche des élections régionales en France, dans une crise sanitaire qui n’en finit plus, amène le gouvernement à se confronter, une fois encore, à la question du vote par correspondance. Initalement prévues pour mars 2021, les élections régionales auront lieu en juin 2021 – le temps d’en débattre sérieusement.
🕵 Le débat des experts 🕵
Comment exercer le droit de vote en période de crise sanitaire ? La possibilité de voter par correspondance revient dans le débat. J’y suis favorable. Les élections à venir en 2021 (départementales et régionales) ne pourront se dérouler correctement que si elles garantissent la sécurité sanitaire de nos concitoyens, afin de ne pas revivre le scénario des élections municipales. Nous le savons : la peur de la contamination avait durablement affecté la participation, avec un triste record d’abstention à 58,4%, soit environ vingt points de plus qu’en 2014.
Les élections américaines de début novembre ont révélé l’efficacité du vote par correspondance. Plus de 60 millions d’Américains ont recouru à cette modalité de vote, soit 40% des 158 millions de votants. En France, nous l’avions abandonné en 1975 à la suite de fraudes électorales. Il est cependant toujours appliqué pour les élections des Français de l’étranger – dont je suis une des représentant.e.s – et concerne 1,8 millions d’électeurs.
Le vote par correspondance ne peut être envisagé s’il n’assure pas une confiance absolue dans le résultat du vote. Un vote qui par définition se doit d’être honnête, anonyme, sincère et transparent. C’est pourquoi, si je suis aujourd’hui favorable à l’idée de pouvoir le rétablir, je reste sceptique sur le vote électronique : nous n’avons aujourd’hui pas encore les capacités techniques suffisantes pour sécuriser entièrement ce genre de procédures.
Permettre le vote à distance serait également une solution pour lutter contre l’abstention des jeunes qui quittent le foyer familial après dix-huit ans, changent parfois de ville mais restent inscrits sur les listes électorales de la ville de leurs parents. 25% des 18-25 ans et 40% des 25-30 ans seraient ainsi “mal inscrits” (inscrits sur une liste qui n’est pas celle de leur commune de résidence). Aux élections présidentielles de 2012 et 2017, un tiers des personnes mal-inscrites se sont abstenues.
Le vote par correspondance doit être pensé comme un complément au vote en présentiel. Pour les prochaines élections régionales et départementales, nous ne serons probablement pas encore sortis de la pandémie. Son expérimentation avant sa possible généralisation à d’autres élections, comme les élections législatives et présidentielles de 2022, est une opportunité à ne pas rater !
On peut être étonné qu’un problème d’outre-Atlantique ait été aussi rapidement importé en France. Un indice parmi d’autres de la domination exercée sur les esprits français. L’élection présidentielle américaine de 2020 a mis au centre des polémiques la question du vote par correspondance dénoncée par Donald Trump comme instrument de fraude. L’accusation a été balayée mais souhaite-t-on à ce point importer en France, où le verdict électoral n’est pas discuté, des polémiques qui minent la démocratie ?
Le vote par correspondance aux Etats-Unis, plus ou moins large selon les Etats, mais dans tous les cas, doit être mis en relation avec une situation particulière : scrutin le premier mardi de novembre donc un jour de travail, faible densité des bureaux de vote qui oblige à faire de longues queues et une faible participation électorale dans bien des régions. Aucune comparaison avec la France. Certes, les taux de participation baissent sauf pour l’élection présidentielle, mais croit-on sérieusement que la défiance politique serait combattue par le vote par correspondance ? Aller à la poste ou aller au bureau de vote un dimanche ne changerait rien.
Cela entraînerait surtout de graves inconvénients. Je ne parle même pas de la fraude électorale. On peut supposer qu’elle serait réduite tant le dispositif de contrôle des élections est rigoureux en France. Par contre, on n’éviterait pas de ressusciter le vote communautaire qui fut combattu dans la France du 19ème siècle. Pour cela fut instauré le secret du vote. Pas un luxe. Un moyen d’affranchir les citoyens de toute pression comme on pouvait l’observer dans des lieux dominés par un notable propriétaire, patron ou le clergé. Plus tard, on alla même jusqu’à créer un instrument – l’isoloir – pour prendre des précautions mais aussi pour symboliser l’affranchissement des citoyens ayant à exprimer une opinion personnelle.
Le vote par correspondance ne ferait pas que favoriser l’influence des générations actives sur de vieux électeurs dans le cadre des familles – cela existe déjà marginalement – mais permettrait des mobilisations locales sur la base du quartier, de l’origine ou de la religion. Ce serait ainsi des « paquets de voix » qui iraient dans les urnes. Cette fois, ce serait les méthodes de régimes autoritaires qui seraient importées en France. Pays qui au passage a inventé le suffrage universel et n’a peut-être pas besoin de leçons d’obscurantisme.