Ce débat a été réalisé en partenariat avec Purpoz (le nouveau nom de Parlement & Citoyens).
📋 Le contexte 📋
Les énarques sont les élèves de l’École nationale d’administration (ENA). Crée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette école avait pour objectif de démocratiser le recrutement des hauts fonctionnaires d’État et de professionnaliser leur formation. Les énarques ont pour mission de servir l’État et d’œuvrer pour le Bien commun de la France. Aujourd’hui, en plus de former les grands serviteurs de l’administration, l’ENA est devenue une véritable fabrique de dirigeants ! Un tiers des anciens élèves est passé par les cabinets ministériels et près d’un président sur deux viennent de l’ENA.
L’ENA a souvent privilégié d’un certain prestige dans l’enseignement supérieur. Malgré tout, elle est souvent critiquée pour être trop élitiste et technocratique. En effet, elle apparaît comme peu méritocratique et représentative de la population française : les deux tiers des élèves de l’École nationale d’administration sont des fils de cadre, tandis que les fils d’agriculteurs, d’artisans ou encore d’ouvrier ne représentent que 15 % des effectifs de chaque promo. La plupart d’entre eux sont ce que Bourdieu appelle des « héritiers », des enfants provenant des couches les plus privilégiées de la société française. Ainsi on peut se demander si les énarques sont les plus à même de comprendre les enjeux qui préoccupent actuellement les Français
Pour répondre à ce problème, Emmanuel Macron a annoncé jeudi 8 avril la dissolution définitive de l’ENA. l’Institut du Service Public, la remplacera pour former des hauts fonctionnaires plus représentatif de la population française. Mais les énarques sont-ils si déconnectés des enjeux qui préoccupent la France ? Une récente tribune de François Sureau, ancien élève de l’ENA, affirme que les énarques sont animés par un sentiment particulier pour l’intérêt général, qui s’éteint aujourd’hui avec la fin de cette école historique.
🕵 Le débat des experts 🕵
Toutes les personnes qui étaient dans ma promotion on fait l’ENA parce qu’elles croient en l’intérêt général et qu’elles ont envie de changer les choses de l’intérieur. Donc oui, les énarques sont encore au service de la France.
L’ENA est critiquable, mais elle a permis de rendre les modalités de recrutement de la haute fonction publique plus claires et transparentes. Envisager sa suppression reviendrait à ce qui prévalait avant 1945 : un système de cooptation basé sur des critères non objectifs.
Il y a également une fausse idée, qui ne lui fait pas bonne presse, et qui consiste à croire que l’ENA propulse des élèves à peine tombés du nid sur des postes clés. C’est faux. Une promotion de l’ENA, comprend environ 60% d’élèves qui entrent par le concours externe et 40% d’élèves qui arrivent de l’interne. Il y a donc un mélange relativement hétérogène entre les « jeunes » issus de grandes écoles et les fonctionnaires ayant déjà accompli entre 5 et 10 ans dans l’administration.
Il n’en demeure pas moins que cette école doit-être réformée pour vivre avec son temps. L’ENA doit continuer à démocratiser son concours d’accès et permettre une meilleure représentation des classes sociales, des femmes ou encore des étrangers. Elle doit également revoir la fameuse “botte” qui ouvre une voie royale jusqu’au sommet de l’État aux 15 premiers élèves d’une promotion et repenser les carrières sur le long terme pour empêcher la fuite des talents vers le privé.
Pour résumer ma pensée, oui à une réforme de l’ENA, de son concours d’accès, de sa scolarité et de ses débouchées, mais non à sa suppression. En voulant abattre un symbole, on ne ferait en réalité que créer une multitude d’autres problèmes.
La question de l’avenir de l’ENA se pose d’abord en raison de la dévalorisation du service de l’État dans notre société. La crème des énarques, ceux qui devraient avoir le service public chevillé au corps, sont les plus nombreux à pantoufler. Formés pour devenir de hauts fonctionnaires dévoués à l’intérêt général, les énarques ont solidement pris pied dans la sphère politique, tandis que les privatisations leur ont permis de coloniser les états-majors du CAC 40. La devise de l’ENA était pourtant claire : “Servir sans s’asservir”. Auraient-ils perdu foi en l’intérêt général au profit de leurs intérêts individuels ?
Passé la débâcle de 40, le général de Gaulle revenu au pouvoir créa l’ENA pour remplacer l’élite avilie de l’époque par une nouvelle catégorie de leaders. Dévoués au bien commun, les énarques et polytechniciens réalisent des prouesses dans les années 60, 70 et 80, en modernisant le pays. Depuis, la modernité est synonyme de décentralisation. En remplaçant la nation par l’Europe, l’intérêt général par l’omnipotence du marché mondial, les énarques ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis.
Ils ont détruit eux-mêmes la raison d’être de leur école et de leur supériorité. Lorsqu’une classe dirigeante trahit ses propres idéaux, elle finit par s’écrouler. Je crois que l’ENA doit être rétablie dans sa mission première : former des hauts fonctionnaires de qualité, dévoués à l’État. Je crois que la classe dirigeante française doit rompre avec l’idée que l’archétype de l’énarque correspond au nec plus ultra et je crois également qu’elle doit penser au-delà de la mondialisation marchande et de l’UE.
Chateaubriand écrivait dans les Mémoires d’outre-tombe : “L’aristocratie connaît trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges et l’âge des vanités. Sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le troisième. » Je vous laisse deviner dans quel âge se situent les énarques qui nous dirigent actuellement.