Faut-il restituer les oeuvres d’art héritées de la colonisation ?

Image de masques africains

Numéro 1

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Qu'est-ce que c'est la restitution?
Le terme « restitution » désigne le fait de rendre une chose à son propriétaire légitime.

Or, de nombreuses œuvres d’art, notamment africaines, ont été acquises frauduleusement pendant les colonisations. Après avoir acquis leur indépendance, plusieurs états, se considérant comme propriétaires légitimes, ont donc demandé à ce que ces biens culturels leurs soient rendus.

Aujourd’hui, environ 90% du patrimoine africain se trouverait hors du continent.

Sources: Arte

Des œuvres ont-elles déjà été restituées?
La France a déjà restitué ou prêté « à durée indéterminée » des biens culturels acquis par la France pendant les colonisations. On peut par exemple citer les têtes de guerriers maoris restituées en 2012 suite à l’adoption d’une proposition de loi. Depuis le début des années 2000, les exemples s’additionnent lentement : manuscrits coréens, la Vénus Hottentote…

Cependant, la restitution fait aujourd’hui office de casse-tête juridique. En effet, selon le Code du Patrimoine, elle n’est possible que si l’acquisition illégale est vérifiable et le propriétaire légitime identifiable. Cela explique le recours à plusieurs solutions moins contraignantes : prêts renouvelés, lois au cas-par-cas…

Sources : France Culture

Pourquoi en parle-t-on en ce moment ?
Ce débat revient périodiquement dans l’actualité. En Mars 2018, Emmanuel Macron l’a relancé en s’engageant à restituer, sous 5 ans, des biens culturels béninois. Le 4 Juillet dernier, le ministre de la Culture a annoncé que ces œuvres retourneraient très rapidement dans leur pays d’origine. Cette accélération des restitutions est incarnée par le rapport sur la restitution des patrimoines africains, commandé par le Président.

Ce rapport Sarr/Savoy préconise de restituer 90 000 objets, notamment pour permettre aux états de jouir de leur patrimoine historique et culturel. À l’inverse, de nombreuses critiques s’élèvent contre ce rapport et considèrent que la restitution est une menace pour ce patrimoine et pour l’échange culturel. C’est en débat…

Sources : RFI et Le Monde

Numéro 2

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LE « POUR »

La restitution, une question de justice, de souveraineté, de spiritualité, de mémoire et d’histoire

Billet rédigé par :

Saskia Cousin

Anthropologue à l'Université Paris-Descartes
http://canthel.shs.parisdescartes.fr/sc/

C’est une question de justice

Razzias, sacs lors des conquêtes coloniales, achats à des prix dérisoires ou sous la menace, vols au nom de la science, comme le raconte Michel Leiris dans L’Afrique fantôme : voilà comment se sont constituées la plupart des collections européennes. 90 000 objets ainsi retenus en France, dont 70% sont arrivés avant les indépendances. La plupart des 46 000 objets concernés par ces restitutions sont au Quai Branly. L’argument du risque encouru en raison des conditions matérielles des musées dans les pays concernés n’est en rien légitime. Ces objets doivent être retournés à leurs créateurs et propriétaires. Lorsque l’on vole une voiture, on n’exige pas la rénovation du garage de son propriétaire avant de la restituer. Restituer des objets volés, c’est donc d’abord une simple question de justice

C’est une question de souveraineté

Ces objets doivent être rendus à leurs propriétaires légitimes, c’est à dire les Etats-nations concernés. Les difficultés du rapatriement ne sont pas un argument : on parle ici de transfert de propriété. Les pays qui auront récupéré la propriété de leurs biens pourront opter soit pour le rapatriement immédiat, soit pour un dépôt temporaire dans des musées autres : en Occident mais pas seulement : le nouveau musées des civilisations noire à Dakar peut par exemple accueillir des collections internationales.

C’est une question de spiritualité

Ces objets ne sont pas seulement des œuvres d’arts. La plupart sont sacrées et considérées par les communautés qui les ont créées comme maltraitées par les musées européens. Les musées nord américains permettent aux communautés autochtones de venir effectuer des rituels, à l’inverse du Quai Branly qui a toujours interdit la moindre parole ou incantation. Rapatrier ces divinités ou ces entités sur leurs terres, c’est leur permettre de retrouver leurs forces, et d’être traitées selon leurs rangs, leurs rôles et leurs fonctions.

C’est une question de mémoire et d’histoire

Le vol de ces objets c’est aussi le vol des traditions, le vol de l’histoire, notamment précoloniale. Restituer, c’est permettre aux pays concernés de disposer d’artefacts, de traces, de jalons pour transmettre leur histoire, notamment aux jeunes générations. Rapatrier ces objets, c’est les mettre à la disposition de nouveaux publics qui ne viendront jamais en Europe pour des raisons économiques ou parce que le visa leur serait refusé.

C’est une question économique et politique

Le retour des objets volés est un enjeu économique pour les pays concernés : pouvoir faire découvrir leur histoire aux visiteurs, notamment issus de leurs diasporas. Les Occidentaux, qui peuvent beaucoup plus aisément voyager que les autres peuples pourront venir les découvrir ou les retrouver dans leurs pays d’origine.

LE « CONTRE »

La restitution est une mesure politique et inefficace à l'encontre de l'unification des cultures

Billet rédigé par :

Reginald Groux

Président - fondateur du MAHICAO à Djilor Djidiack au Sénégal
https://www.mahicao.org/

Dans la louable intention de permettre à l’Afrique Noire de se doter de musées, l’emploi du mot «restitutions» par Emmanuel Macron est une faute de langage qui induit de facto la notion pernicieuse de possession illicite. Partant du principe controuvé que tout a été volé ou pillé, c’est la voie ouverte à des querelles byzantines où l’on constate déjà que la passion l’emporte sur la raison.

Le débat échappe au domaine culturel pour devenir un enjeu idéologique et politique

Le dérapage verbal de Macron a été aussitôt exploité par une intelligentsia afrocentriste qui a fait des restitutions une arme idéologique : parvenir à déposséder l’ancien colonisateur, ce serait l’humilier, lui faire reconnaître et lui faire payer le « crime » de la colonisation (un autre excès verbal du président Macron).. Le débat échappe au domaine du culturel : les restitutions sont devenues un enjeu idéologique et politique, comme sortir du franc CFA.
J’invite les lecteurs à lire deux articles que j’ai publiés dans la Tribune de l’Art (consultables ici et ici) ainsi que le remarquable travail de Xavière Malabouche, lesquels rendent compte de la complexité du problème.

Les musées doivent plutôt servir à unifier l’Histoire, les traditions et les cultures

Ce dont les africains ont besoin, c’est d’être fiers de l’art, de l’histoire, de la culture de leur continent, fiers d’appartenir au même creuset culturel plutôt que de se sentir supérieur d’être Baoulé ou Fang parce que tel ou tel objet de leur ethnie aura atteint un record chez Sotheby’s. Si l’Afrique Noire a besoin de musées, c’est pour unifier son histoire, ses traditions, sa culture, pour échapper au communautarisme, pour rassembler et ouvrir les esprits. Les restitutions ne vont pas dans ce sens. Elles ouvrent la porte au repli identitaire et/ou aux revendications suprématistes communautaires qui ont divisé une Afrique qui a tout au contraire besoin de s’unir. Le nouveau Musée des Civilisations Noires de Dakar est un exemple concret de musée militant qui établit une hiérarchie entre les peuples et les cultures, dont on peut se demander s’il ne va pas diviser les communautés Noires et Blanches plutôt que d’établir les passerelles indispensables pour se rapprocher de l’Autre.

Le don et l’accompagnement culturel sont des attitudes plus généreuses et efficaces

Selon mon opinion, il eut bien mieux valu que Macron propose des dons. Les états occidentaux qui possèdent des collections publiques d’art africain pourraient se cotiser pour constituer des collections cohérentes et documentées qui seraient offertes aux pays africains, et accompagner la formation de personnels compétents.

Restituer me semble être une attitude complaisante, purement morale, qui ne définit aucun objectif culturel précis. Donner de son plein gré et accompagner un projet culturel me semble être une attitude plus digne, généreuse, et surtout, plus efficace. C’est ce que j’ai réalisé au Sénégal. L’incroyable succès de l’expérience suffit à me donner raison.

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