📋 Le contexte 📋
La taxe carbone, aussi appelée Contribution Climat-Énergie ou CCE, est un impôt écologique ajouté au prix de vente de produits et de services selon la quantité de gaz à effet de serre qu’ils rejettent, notamment le CO2. Plus ils rejettent de CO2, plus ils seront taxés, selon le principe du pollueur-payeur : les pollueurs doivent assumer les coûts de la pollution engendrée par leurs activités. Parmi les énergies concernées, on recense le gaz naturel, le charbon, le fioul, le diesel et l’essence. La taxe carbone doit augmenter progressivement pour laisser le temps aux entreprises et aux particuliers de se tourner vers des alternatives plus durables. Elle est imaginée en 1997 lors du protocole de Kyoto, puis adoptée en France en 2014 avec la taxe carbone sur les carburants et les combustibles fossiles.
La taxe carbone est facturée à 7€/t de CO2 en 2014. Elle est ensuite réévaluée chaque année pour atteindre 44,6€/t de CO2 en 2018. Cette taxe, qui pèse lourdement sur le prix de l’essence, donne lieu au mouvement social des Gilets jaunes. Ces derniers déplorent l’injustice de la taxe carbone, qui ne tient pas compte des inégalités. À la suite des manifestations, elle cesse d’être réévaluée et n’a plus augmenté depuis. La loi de transition énergétique pour la croissance verte prévoit tout de même une taxe de 100€/t de CO2 d’ici 2030. Le 14 juillet 2021, l’Union européenne annonce vouloir imposer une taxe carbone à ses frontières, notamment pour rétablir une concurrence équitable entre l’Europe, qui taxe lourdement le carbone, et certains de ses partenaires commerciaux qui ne le taxent pas.
Sources : Les Échos, L’Est Républicain, La Tribune
Pour certains, la taxe carbone paraît indispensable afin de lutter contre le réchauffement climatique. Néanmoins, les changements de comportement nécessaires à la diminution du CO2 sont difficiles à adopter pour les acteurs économiques et les particuliers. En effet, les énergies fossiles sont plus rentables et faciles à produire que les énergies propres (éoliennes, panneaux solaires) qui ne font pas encore l’unanimité. De plus, l’impact de la taxe carbone est considérable sur les ménages à bas revenus et creuse les inégalités sociales, les alternatives durables n’étant pas accessibles à tous. Alors, pour ou contre la taxe carbone ? On en discute aujourd’hui en décryptant le pour et le contre avec deux experts !
Source : Youmatter
🕵 Le débat des experts 🕵
L’idée d’une transition écologique heureuse est une utopie
Remplacer en moins de 30 ans nos énergies fossiles par des énergies décarbonées actuellement beaucoup plus coûteuses constitue un challenge unique dans l’histoire de l’humanité. Même si on peut espérer développer des technologies vertes qui réduiront ces coûts, cette transition va impliquer des sacrifices à court terme. Interdire les vols domestiques, augmenter les standards de sobriété énergétique dans le transport et le résidentiel, produire du ciment et de l’acier sans CO2, tout cela peut être fait par des règles coercitives qui auront un impact négatif sur le pouvoir d’achat et le bien-être des ménages. L’idée d’une transition écologique heureuse est donc une utopie. Elle a conduit en France au rejet de la taxe carbone, qui apparaît trop explicitement comme sacrificielle. C’est pourtant la politique climatique la plus efficace, puisque ce « signal-prix » incite chacun à intégrer dans ses décisions la valeur des dommages climatiques qu’elles engendrent. La gratuité du carbone constitue une subvention déguisée considérable faite aux pollueurs. Il faut mettre une valeur aux choses qui nous sont chères, comme notre climat ! Si le prix du CO2 est égal au dommage qu’il engendre, son imposition fait en sorte que chaque pollueur intégrera ce dommage climatique dans ces décisions comme s’il en était lui-même la victime. Ce principe pollueur-payeur aligne donc la myriade d’intérêts privés sur l’intérêt général. Il permet aussi d’atteindre l’objectif climatique au moindre impact sur le pouvoir d’achat, puisque seules les actions dont le coût par tonne de CO2 évitée est inférieur au prix du carbone seront effectivement mises en œuvre.
Au contraire, beaucoup de politiques climatiques ont par le passé conduit à bien des sacrifices pour des résultats parfois dérisoires, par exemple dans les biocarburants, les panneaux photovoltaïques, le bonus-malus auto, ou l’isolation thermique. Le malus auto n’a pas réduit l’engouement pour les SUV, et n’a aucun effet de réduction des émissions sur leur propriétaire. De même, les subventions pour une meilleure isolation thermique ont souvent conduit les habitants à augmenter la température ambiante dans le logement plutôt qu’à réduire leur consommation d’énergie. Seul un prix du carbone peut créer les bonnes incitations.
Certes, la taxe carbone, comme toute politique conduisant à renchérir le prix de l’énergie, est régressive puisque les ménages les plus modestes consacrent une part plus importante de leur revenu aux dépenses d’énergie. Par exemple, le soutien au développement de l’éolien et du solaire en France augmente la facture d’électricité de 16%, payée par tous les ménages. De même le bonus aux véhicules électriques bénéficie aux ménages suffisamment riches pour acquérir un tel véhicule, et le tarif très favorable de rachat de l’électricité solaire bénéficie aux seuls propriétaires de maison, a priori plutôt aisés. Donc la plupart des politiques climatiques actuelles accroissent les inégalités. Par contre, la taxe carbone, contrairement à ces autres politiques, lève un revenu fiscal qui peut être utilisé pour compenser, voire surcompenser, les ménages les plus modestes par un « chèque vert » bien calibré et transparent. Ce faisant, on peut donc combiner l’objectif climatique avec celui de la réduction des inégalités. Cela passe par une tarification du carbone.
Les Assises du Climat 2021 portaient sur la question de quelle obligation de résultat, nécessaire en matière climatique et sociale.
Elles ont produit quatre familles de critères pour évaluer les différents mécanismes limitant le réchauffement climatique, dont la taxe carbone. On peut les résumer par 1-garantir le résultat, 2-intégrer importations et émissions locales, 3-justice sociale, 4-impliquer tous les acteurs.
La taxation carbone a été dûment examinée autant par des élus que des scientifiques et des économistes. Ces derniers, en particulier Christian de Perthuis et Christian Gollier, ont insisté sur l’effet de Signal-Prix déjà utilisé pour d’autres changements comme le tabac, pour réduire les tendances d’achat. Christian Gollier reconnaît l’injustice sociale que porte cette taxation : il propose une compensation pour les ménages modestes. Christian de Perthuis qui a été à l’origine de la taxe carbone en 2014, explique que c’est imparfait mais nécessaire devant l’urgence (il parle de tic-tac de l’horloge climatique, avec raison). Les élus rappellent l’impopularité de cette taxe dont les éventuelles compensations ne sont garanties que sur une courte période : un changement politique peut l’annuler.
Pour en revenir aux quatre critères, la taxe carbone échoue au premier : elle incite mais ne garantit pas. Elle échoue au second en ne comptant que les émissions locales sans les importations qu’on ne peut taxer en raison des accords OMC. Elle échoue au 3ème en coûtant une plus grande part de leurs revenus aux ménages modestes qu’aux riches. Elle échoue au 4ème en n’impliquant que les consommateurs, sans les administrations et les grandes entreprises.
Les disparités entre français, pourtant tous égaux devant la loi, rendent impossible la justice sociale dans un système de taxe
Le fait de payer sa taxe, contribuer à la lutte climatique, donne bonne conscience et fait oublier l’objectif de réduire notre empreinte moyenne de français de 10 à 2t/an. Les disparités entre français, pourtant tous égaux devant la loi, rendent impossible la justice sociale dans un système de taxe : selon Piketty & Chancel, les 10% les plus pauvres sont responsables en moyenne de 4t/an contre 40t pour les 10% les plus riches. La part des dépenses à contenu carbone dans leur budget est de 30% pour les plus pauvres et moins de 10% pour les plus riches. Une taxe carbone dépasse immédiatement le budget disponible des ménages modestes alors qu’elle n’ampute que de 5% celui des plus riches qui ne sont pas dissuadés de polluer.
Le mécanisme satisfaisant tous les critères des assises a été celui des quotas carbone individuels décrit sous www.comptecarbone.org et le Wikipédia correspondant. Il ne met pas en œuvre de taxe, d’interdiction ou de financement car il s’appuie sur l’information des contenus carbone des produits et services de l’ADEME : il s’agit d’étiqueter tous les achats, chaque citoyen est doté d’un quota annuel de kilos de CO2 équivalent (10 000 la première année) dans un compte suivi par l’Agence carbone nationale ; son compte est diminué à chaque achat, lesquels points carbone sont transmis au commerçant lequel en a besoin pour ses fournisseurs, lesquels en ont besoin pour leurs matières premières, etc. La circularité analogue à la TVA permet d’affiner la connaissance des contenus carbone. Comme le quota de chacun est réduit de 6% chaque année (conformément au GIEC), les entreprises réduisent leurs contenus pour ne pas être éliminées. Cette décroissance ciblée est défendue par Tim Jackson dans son livre « Prospérité sans croissance » : l’arrêt de la croissance du PIB qui entraîne le respect des limites planétaires est aussi un argument contre la taxe carbone qui ne subsisterait que par l’augmentation de son assise, justement ce qu’il faut réduire.